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Billet de blog 21 octobre 2025

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UNE PROPOSITION : INSCRIRE ENSEMBLE L'HOSPITALITÉ VIVE AU PATRIMOINE MONDIAL

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Illustration 1
Sur l'île de Lampedusa, octobre 2025 © Sébastien Thiéry

1. 

Il y a les balles réelles contre l'Ocean Viking de SOS Méditerranée, le 24 août dernier, armes utilisées par des milices libyennes, fournies par les États européens. Il y a le découragement sur le continent, la violence de ces mêmes gouvernements européens, la sidération aussi. Il y a la solitude, ici comme là, de nos organisations s'efforçant malgré tout de faire l'hospitalité vive. 

Il y a donc la nécessité, désormais cruciale, de relier la haute mer et les rivages, de dessiner la cartographie de nos gestes de sauvetage, de soin, de bienveillance, d'amitié, rassemblés par le chemin de celles et ceux qui cherchent refuge parmi nous. Il y a la nécessité d'apparaître ainsi innombrables et articulés, respirants, conspirants, inspirants : c'est qu'à la force de nos corps agissants, comme d'un seul tenant, nous faisons tenir ce qui ne peut s'effondrer, notre humanité précise. Et d'affirmer : nous sommes un seul et même mouvement, un soulèvement qui vient de loin et porte plus loin encore. 

Il y a cette proposition alors : finaliser ensemble en décembre prochain la requête à l'UNESCO visant à faire reconnaître nos gestes d'hospitalité, concrets et solides, solidaires et non plus solitaires, au Patrimoine culturel immatériel de l'humanité ; nous déclarer telle une seule et même communauté œuvrante, inscrite dans le temps long de ce qui s'avère une culture, une civilisation en devenir. 

2. 

Il y a le ressassement du « devoir d'hospitalité », l'injonction morale proférée à longueur de tribune, harangue, assemblée générale militante, qui, c'est l'évidence même, ne saurait (plus) éveiller quelque politique aimable que ce soit. Il y a ces bouches pleines de colère, au sein même de nos cercles activistes, et notre asphyxie commune qu'elles engendrent : des paroles accablées et accablantes ; la tristesse monumentale entre nous. Il y a l'écrasante culpabilité que nous administrons à tout va : au voisin, au cousin, à la petite nièce, à celle et celui qui passe à qui l'on assène « mais où est donc passée votre humanité ? », et qui de moins en moins nous rejoignent, et qui de plus en plus se rapprochent des grands et petits trumpismes autorisant à penser que l'indifférence à l'endroit de l'humanité qui appelle est une valeur, voire un programme.

Il y a nos slogans affligeants, et pourtant constamment répétés : le « ils ne sont pas si nombreux » faisant exactement entendre que ces migrants sont des fardeaux en puissance (il y aurait donc un nombre à partir duquel « ils » seraient de trop ?) ; le « nous ne devrions pas faire ce que nous faisons » (sous entendu : c'est à l'État d'accueillir !) faisant croire que la politique pourrait s'inventer ailleurs qu'au beau milieu d'entre nous, autrement qu'à la force de nos corps en travers et de nos mains nues, et ne permettant pas d'entendre combien nos gestes d'hospitalité techniques, sensibles, affûtés, experts sont non un « par défaut » mais un « par surcroit » de politique. 

Il y a cette proposition alors : affirmer maintenant au devant de l'UNESCO combien ces gestes sont d'une beauté et d'une portée extraordinaires, décrire nos savoirs et savoir-faire conquis par nos expériences multiples et les traduire ainsi sur la scène internationale comme un trésor pour le présent et l'avenir, comme une puissance à réaliser. 

3. 

Il y a l'impuissance néanmoins, quasiment constituée comme une identité, celle que nous avons érigée comme un principe en ne cessant d'adresser nos plaintes en haut-lieu, au professionnel de la politique censé détenir les clés de tout (la responsabilité de la crise migratoire, la capacité de son dénouement), alors qu'elle ne devrait être, la politique, que l'affaire d'amateurs, de personnes comme vous et nous éprises de ce que nous pouvons construire ensemble, vous et nous agissants, avant-garde politique et non périphérie. 

Il y a l'impuissance de nos enfants assommées par nos grands mots au sujet de nos grands maux, les prétendues extinctions définitives que nous leur enseignons (y compris de l'hospitalité, résiduelle assurément puisque nous ne témoignons que de notre souffrance quand il s'agit de nos gestes), cet éloignement hébété dans lequel nous maintenons notamment ces étudiantes et étudiants d'écoles d'art, de design, d'architecture, de danse, de droit, et de tant d'autres disciplines de créations qui, précisément relié.e.s, articulé.e.s, agencé.e.s, pourraient assurément faire les grands chantiers qui manquent à notre humanité. 

Il y a l'impuissance des lieux de création que nous aimons tant pourtant : théâtres, musées, cinémas, festivals d'où l'on croyait, il y a peu de temps encore, pouvoir changer le monde, réduits aujourd'hui à programmer sur scènes, cimaises, écrans, les énièmes preuves du désastre, comme si tout était tragique parce que nous ne l'avons pas encore assez appris, ressenti, éprouvé. Il y a l'impuissance que nous nous infligeons donc, à tout va, alors qu'il y a notre jeunesse et notre expérience, nos savoirs et savoir-faire immenses, notre joie toujours possible et nos héritages certains, nos moyens économiques colossaux si nous savions les rassembler, nos inventions juridiques passés, présentes et toujours à venir, tout l'art, toutes les danses et toute la folie de notre côté.  

Il y a cette proposition alors : publier dans cette requête à l'UNESCO le plan précis de ce que nous construirons de grand à bâtir ensemble, avec tous les vieux et les tout jeunes que nous sommes, le programme de tout ce que nous feignons encore de croire impossible. À savoir la création d'une flotte européenne de sauvetage et de soin, des conditions de sa navigabilité et de sa prolifération. À savoir la construction d'un rivage composé de refuges magnifiques dressés au cœur de nos cités. À savoir, en somme, la mise en œuvre d'une constellation de lieux et de gestes d'avenir, du paysage précis d'une Europe du 21e siècle, désirable, respirable. 

4. 

Il y a donc cette proposition que nous vous adressons aujourd'hui à vous, ONG, associations, collectifs, organismes privés comme publics, individus épars. Invitation à contribuer à la finalisation de cette requête à l'UNESCO en nous faisant parvenir avant le 21 novembre une lettre adressée à Khaled el-Enany, son tout nouveau directeur général, décrivant les gestes précis, maritimes comme terrestres, qui sont les vôtres, et qu'il nous faut faire reconnaître nôtres, Patrimoine mondial de notre humanité. Nous rendrons public ce dossier en décembre prochain à Lampedusa, et le transmettrons depuis ce rivage, qui se trouve en haute mer, à l'organisation internationale, non sans déclarer bruyamment que nous nous chargerons de mettre en œuvre le plan de sauvegarde qu'il contient et, depuis nos expériences multiples et solides, de construire l'avenir.

Tout est précisé en français ici, en italien ici, en anglais iciMerci de vous saisir de cette proposition, et de la transmettre tout autour de vous, et de ne pas hésiter à glaner davantage d'informations au sujet des éléments du plan d'action d'ores et déjà en cours de réalisation ici www.navireavenir.eu et ici www.navireavenir.info 

Sébastien Thiéry, pour le PEROU et l'association Navire Avenir

PS : écrire une lettre c'est détailler les gestes que nous souhaitons voir protégés et transmis aux générations futures, ce qui est important aux yeux de l'UNESCO ; si toutefois une telle écriture était difficile à certain.e.s, il est toujours possible de simplement signer et nous renvoyer ce document : ici.  

image ci-dessus : carton d'invitation à l'inauguration de l'Avenir sur île de Lampedusa, (Sébastien Thiéry, octobre 2025)

image ci-dessous : Conserves Navire Avenir à bord de l'Ocean Viking, premier équipement mis en œuvre en collaboration avec les Hôpitaux de Marseille, les Grandes Tables de la Friche la Belle de Mai, la Conserverie Municipale de Bayonne, l'Ecole des beaux-arts de Nancy (Tess Barthès, SOS Méditerranée, août 2025)

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À bord de l'Ocean Viking, août 2025 © Tess Barthès, SOS Méditerranée

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