Je dois l'avouer, Facebook m'a beaucoup offert. Je dirais même que c'est Facebook qui m'a politisé, ou plutôt les gens qui sont dessus. En quelques années, j'ai bénéficié d'échanges quasi illimité sur les sujets qui me passionnaient avec d'autres mordus. J'ai pu collectionner une multitude de points de vues, me forger des opinions et apprendre à débattre. Pourtant il est temps de tirer ma révérence et de déposer le bilan. Aujourd'hui Facebook me fait peur car il a réussi son œuvre : il m'est devenu complètement indispensable. Cela m'effraie, autant que toutes les donnés qu'ils ont collectés sur moi, et la manière dont ils sont capables de m'identifier sur n'importe quelle photo.
Je n'arrivais plus à concevoir mon quotidien sans, il me fallait ma dose au réveil. Facebook me servait d'outil de communication, d'information et de partage. C'est n'était plus pour moi un réseau social, c'était l'essentiel de mon réseau social.
L'idée de supprimer définitivement mon compte (et mon audience qui allait avec) me terrorisait. Maintenant que c'est fait, c'est un soulagement. Je peux commencer à y réfléchir sans être parasité par des questions comme :
Comment vais-je m'informer sans ce fil d'actualité qui me fournit exactement ce que j'ai envie de lire ? Comment vais-je rencontrer autant de personnes qui me ressemblent ? Voici comment et pourquoi je suis devenue accro.
1/ les groupes de discussions privés
Une des choses que j'avais le plus peur de perdre c'est bien les "groupes de discussion" qui se constituent autour d'une affinité commune. Ceux où j'ai fait mes armes féministes et déconstruit la plupart de mes représentations. Ceux où je pouvais poser une question à n'importe quelle heure de la journée et avoir plusieurs réponses, dans un accueil chaleureux et bienveillant, parfois quasiment anonyme.
C'est aussi ça, l'avantage des réseaux sociaux, il n'y a pas vraiment d'engagement dans les relations sociales mais permet de toucher au but. Ils sont en quelque sorte aux rapports sociaux ce que la pornographie est à la sexualité.
Sur internet, il y a plus de choix, c'est disponible tout de suite, c'est anonyme, et les sentiments sont moins à vif. Tout est à porté de clique, et on peut dire stop dès qu'on en a envie.
Mais il reste un vide. Ce vide grandissait avec le malaise, au fur et à mesure que cette hyperconexion me déconnectait du réel.
2/ Messenger
Une des fonctions de facebook qui m'a longtemps fait hésiter à la suppression de mon compte, c'est Messenger. Récemment il m'est pourtant apparu que c'était la plus vicieuse. La manière dont cette messagerie vous rend facilement accesible est séduisante. J'aimais l'idée que de vielles connaissances puissent facilement me contacter à nouveau j'ai aussi aimé pouvoir discuter avec des artistes ou des auteurs que je suivais de loin jusque là et qui semblait inacessibles. Mais cette hyperdisponibilité que me conferait ce réseau à tout le monde et tout le temps est devenu une charge mentale qui interferait directement dans mon quotidien. Je n'étais ni vraiment avec les gens sur Messenger, ni vraiment avec mes proches, mes enfants...
A force de mettre un écran entre moi et les autres, j'atrophiais mes aptitudes sociales. Faire face à des gens au quotidien avec qui je ne pouvais pas échanger sur un sujet comme j'avais pris l'habitude de le faire sur les réseaux avait un côté extrêmement frustrant et irritant. Je préférais me réfugier sur mon téléphone et dialoguer sans visage. Dire adieu aux froncement de sourcils, et aux sourires, aux silences inconfortables et aux éclats de rire par la même occasion.
3/ Partager
S'il n'y avait que ça, je pense que j'aurais pu me détourner de Facebook facilement. Mais non, il se trouve aussi que je suis une artiste. Même si mon syndrome de l'imposteur m'empêche de le dire sans rougir, ou de penser que je ne mérite pas ce titre. Je serai tenter de vous expliquer d'ailleurs comment le monde artistique actuel est le plus méritocratique qui soit (et pourquoi la méritocratie c'est mal) mais je m'égarerai.
Bref, Facebook, quand on est une artiste introvertie, c'est du pain béni. C'est pouvoir partager instantanément ses petits dessins, ses textes sans avoir à passer par un quelconque éditeur, avec toujours cette possibilité de déclencher un "buzz", de toucher plus de personnes qu'on aurait pu l’espérer et avoir un petit shoot de notoriété éphémère. C'est une source inopinée de reconnaissance pour les puits sans fond comme moi. Facebook offre ce "feedback" essentiel aux créateurs.
Ce sont ces retours qui me nourrissent, ceux qui donnent l'impression que l'art est magique et qu'il peut changer le monde en imprimant dessus une vision.
Quand on a gouté à un tel feedback et qu'on sait qu'on ne le trouvera pas ailleurs, on est fait comme un rat. Mais que c'est vampirisant !
Pour chaque chose que je créais, durant même sa conception, j'étais déjà fixée sur le plaisir de la publication au-delà du plaisir de créer. L'ironie était particulièrement criante lors de mes séances de land art, dont une des vertues est de se retrouver dehors, de faire de l'art avec chaque élément naturel qui nous entoure et de reprendre le temps d'observer : même dans ces moment là, mon esprit était tourné vers internet.
4/ C'est bien la culture capitaliste qui maintenait mon usage des réseaux sociaux malgré ses aspects délétères.
Sans compter que dans un monde où l'argent à une telle prépondérance sur notre survie, je ne perdais pas de vue que si je voulais vivre de mes créations, faire le buzz et avoir de l'audience pouvait être utile. Et c'est seulement parce que l'idée du refus de parvenir m'a complètement gagnée que perdre mon "audience" n'a plus d'importance. Je crée quand j'ai le désir de le faire, soit par simple plaisir, soit par militantisme mais plus dans une optique d'en vivre ou que ça rapporte. En définitive c'est bien parce que je me défait de la culture capitaliste autour de la production artistique que j'arrive enfin à lâcher les réseaux sociaux et c'est un soulagement.
J'ai toujours besoin de partager, preuve en est de cet article, mais il est hors de question de continuer à laisser les GAFA à se rendre indispensables.