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Billet de blog 3 avril 2017

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Le bon sens interdit

A-t-il disparu de la pensée politique contemporaine ? La complexité du monde et la science des experts l'ont-il définitivement supplanté au point de le réduire au triste et vain ressenti d'une population inculte ? Le bon sens se cogne au mur de la modernité … et se meurt de n'être pas soluble dans la finance mondialisée.

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Illustration 1
Les gueux

Est-il en notre temps, rien de plus odieux, de plus désespérant que de n'pas croire ... en eux ?

Eux, ce sont bien sûr ces hommes et femmes, élites politiciennes qui nous promettent le bonheur sur terre pour peu que nous les Élysions sur l'autel des urnes sacrées. Mon voisin Blaise m'a convaincu que parmi les prétendants il en était trois qui feraient fort bien l'affaire et que, même pour le plus indécis d'entre nous, il suffisait d'en choisir un au hasard et de faire semblant de lui donner raison, mais avec conviction, pour que fonctionne rapidement la magie de l'adoration.

Cette nouvelle religion à expérimenter pendant cinq ans, a laissé sceptique mon copain René qui n'y voit qu'une simple resucée de l'ancienne mais en pire. Je l'ai trouvé un peu tatillon René, mais il m'a rétorqué : le simple bon sens voudrait qu'on passe à autre chose, car enfin tu l'as constaté toi-même, la croyance ne suffit plus à satisfaire nos besoins les plus élémentaires. Bon c’est pas faux, mais c'est quoi autre chose  et c'est quoi le bon sens  je lui ai demandé. Alors là j'ai eu tort parce que quand on demande une explication à René, il devient intarissable … et interminable, mais comme c'est un copain, je l'ai écouté jusqu'au bout : 

Pour choisir autre chose, il m'a dit, il faut d'abord savoir ce que c'est le bon sens, sinon ça peut être du n'importe quoi qu'on regrettera plus tard comme c'est arrivé si souvent.

Tout d'abord, ne pas confondre avec le « sens commun » réactionnaire et structuré qui a besoin d'une autorité forte et technocratique pour l'incarner. Pour beaucoup d'orgueilleux, le bon sens n'est qu'une raison grossière, un juste milieu sans intérêt entre esprit et stupidité, mais ils ont tout faux parce que le bon sens bien employé permet d'atteindre à la sagesse. Je ne sais plus qui a dit ça, mais je sens qu'il a raison parce qu'on voit bien que ceux qui font profession de penseurs intellectuels, politiciens ou philosophes disent quand même beaucoup d’âneries et ont amené le pays dans cet état de délabrement avancé.

Il est un peu savant René, je ne sais pas si c'est à force d'avoir accumulé du bon sens, mais il a continué à me dire des trucs un peu plus compliqués en abordant le terrain de la politique :

Le bon sens ne s'embarrasse pas d'outils conceptuels élaborés, il observe, analyse et déduit, se voulant le contrepoids aux excès de la subjectivité ou de l'intellectualisme. Le bon sens ne peut se situer que dans le champ du raisonnable qui n’est malheureusement pas démontrable à priori et n’est accessible que par expérimentation. Il est la voie nécessaire à l'accession à la démocratie tandis que le pur rationnel issu, dans un monde complexe, de réflexions appauvries par les dogmes, peut amener à un totalitarisme qui ferait de nous, non-êtres du commun, de simples objets du monde de « la désolation ».

Là je lui ai réclamé une pause pour cause de digestion difficile, bien désolé d'apprendre que, même en pleine forme, j'étais un non-être (il faudra que j'en parle à Blaise) et puis il a repris sa démonstration pour bien enfoncer son coin dans la vérité de ceux qu'il appelle des politignomes :

Illustration 2

  Le discours du politicien devrait logiquement être en accord avec la Raison, mais pour d'autres raisons pas toujours avouables, le harangueur des foules est parfois tenté de bricoler la Raison pour mieux l'adapter à son catéchisme personnel. C'est le concept de la logique floue. Ainsi par exemple il faudrait que chaque salarié travaille plus longtemps pour faire diminuer le chômage ou que, pour augmenter le pouvoir d'achat de chacun, il serait bon d'adopter définitivement le principe d'une précarité généralisée.

 Là j'ai bien vu que le bon sens de « l'oligarchie libérale européenne » dont il me parle parfois avec dégoût n'est pas franchement en phase avec le sien, lui qui se targue de toujours échapper à l'erreur par la simple observation des choses. Mais là il se vante un peu parce qu'en me donnant la météo du lendemain il se plante grave assez souvent, comme quoi il est plus facile de prédire le passé, même si le nouveau concept de post-vérité apporte aussi son lot d'erreurs. 

Je l'ai trouvé assez convainquant René, alors j'ai voulu moi aussi exercer mon bon sens personnel et, en vaquant par monts-villes-et-vaux aux accents de « vive la liberté », j'ai compris qu'elle était quand même un peu entravée et que mes envies était souvent interdites.

Illustration 3
Illustration 4

Aimez vous les uns les autres, il m'avait dit le Blaise, c'est ce qui fait la cohésion d'une société, et bien ce n'est pas toujours possible, la preuve. 

Et après on veux que je garde le moral ! Alors j'en ai parlé à René qui m'a reproché avec diplomatie la futilité de mes revendications, et que l'époque n'était pas à la recherche des joies champêtres et amoureuses, le plaisir des sens, même ceux qui sont interdits, ce sera pour plus tard. Un peu vexé quand même, j'ai continué à écouter sa leçon de choses :

L'heure est grave il m'a dit et il s'agit de donner toute la mesure de notre bon sens qui est attaqué de toutes parts. Alors un en mot comme en cent, avec notre bon sens de gouvernés, nous devons gouverner les gouvernants qui sont là depuis si longtemps que leur gouverne est devenue de la godille. Et toc ! il est fort René et comme il est aussi cultivé, il m'a balancé une citation que je pourrai recaser dans un commentaire de Médiapart : Les hommes politiques et les couches doivent être changés souvent... et pour les mêmes raisonsMais c'est difficile de les chasser parce qu'ils ont le cuir épais, l'esprit obtus, l'humanisme défaillant et qu'ils se reproduisent entre eux comme des lapins dans une caste clapière où l'abondance de carottes dissuade du vagabondage extérieur. Sur les estrades et dans les lucarnes ils s'efforcent souvent avec succès, de faire passer pour bon, un sens du vide idéologique qui n'appartient qu'à eux ; le verbe haut et la parole creuse rassure le gogo car le vide qu'elle lui offre peut recevoir, sans distinction d'opinion, ses désirs les plus fous et ses fantasmes les plus ignobles. Et même s'il sait que les désillusions seront proches il aura au moins eu la jouissance suprême mais éphémère d'avoir choisi le pur sans talent qui aura franchi le premier la ligne d'un nouveau départ calamiteux. Mais parmi les futurs cocus on trouve aussi hélas les pigeons crédules, les frileux et les couards qui, par crainte d'avoir peur que demain soit plus pire sont tentés par le moins pire qui au moins préservera le mauvais d’aujourd’hui. Le bon sens qui appelle avec évidence, à sortir du statut quo, ne les a pas atteint, la réflexion primaire que le mieux souhaitable serait accessible avec un epsilon de témérité, ne s'est pas déclenchée.

Ouf, il a fini sa tirade le René et après une gorgée de bière, il a repris avec encore plus de véhémence :

Tu vois leur bon sens à eux, les politignomes, c'est la direction du coffre-fort, du paradis fiscal, de la gamelle gratuite, de la position fictive mais avantageuse. Leurs convictions sont omnidirectionnelles et gratifiantes car dans cette vaste ménagerie, la carpe et le lapin s'entendent finalement très bien pour soustraire aux manants la dîme, la taille, et la gabelle qui leur assure opulence et longévité. 

Bon je crois que dans son emportement il s'est un peu trompé de siècle, mais sur la direction qu'ils prennent tous, il n'a pas vraiment tort. D'ailleurs, l'autre jour, pendant ma virée champêtre, j'ai vu un drôle de panneau :

Illustration 5

 Ils veulent nous barrir le bon sens, mais ils se trompent, nous on va plutôt de l'autre coté. J'ai demandé à René s'ils étaient seuls, les politicards à vouloir nous barricader le bon sens :

Tu sais, il y a tous ceux qui sont à leur service : la presse, la télé, les radios et tous les médias où l'on pratique assidûment le bon sens interdit de parole (Médiapart excepté) qui font semblant d'oublier que l'Histoire n'est pas finie et que le vent des révoltes peut faire tourner dans l'autre sens la vieille girouette rouillée. Mais il faudra souffler fort  parce qu'il y a aussi tous les bourgeois enfricotés dans leur confort égoïste et qui refusent pudiquement de voir la misère du monde. 

Avec de la colère et de la tristesse dans la voix, il m'a décliné un propos qu'il avait dû longuement mûrir :

Ces bourgeois, politiciens ou non, ils sont comme des insectes dans un bocal, se heurtant aux parois de leurs œillères. C'en est presque pathétique, les arguments s’appauvrissent, la langue devient floue, les contre-vérités inopérantes, les convictions cessent d'être convaincantes. Mais la parole bien léchée et académique, le consensus poli entre bourgeois de l'entre-soi, gardiens d'une caste que notre constitution a érigée comme étant légitimes propriétaires du pouvoir et des privilèges qu'elle leur confère, le discours donc que ces gens satisfaits diffusent sans que la moindre réfutation vienne éclairer leur pensée hélas à sens unique, n'est plus perçu que comme le bruit de fond d'un monde qui n'en finit pas d'agoniser.

Voyant qu'il était au bord de l'effondrement, j'ai voulu quitter le domaine de la politique pour en aborder un autre qui doit aussi le captiver, car je le soupçonne de les lire en cachette : les philosophes (bien qu'il se défende mordicus de jamais les consulter) et leur vision de ce qu'est le bon sens. Mais là, de pure mauvaise foi, il m'a rétorqué qu'il n'avait nul besoin de leur charabia verbeux qui te mène là où tu n'as pas envie d'aller, par la vertu d'une pensée élaborée que la pensée simpliste de ton sens commun ne saurait atteindre, en ajoutant rigolard, attitude qui était pour moi une petite victoire :

Est-il raisonnable de se prévaloir d'un raisonnement de bon sens sans une solide connaissance des grands philosophes ? Le bon sens paysan peut-il vraiment être crédible sans la moindre référence à Descartes, Thomas Paine, Hannah Arendt ou Habermas tout en rejetant Platon ? 

J'ai bien vu qu'il se moquait mais ça m'a bien fait rire et si je ne connais rien de ces célèbres personnages, j'ai maintenant la conviction qu'il nourrit dans leurs écrits une petite part de son bon sens. Il a repris un peu de bière et puis il a voulu conclure :

Pour ce qui nous attend dans trois semaines, je vais te dire : il en reste deux qui nous comprennent dont un qui a malheureusement perdu les clés du cadenas qui l’enchaîne à sa maison natale. Constatant le délabrement de la bâtisse, ses copainsdavant ont déserté, choisissant non pas une acceptable contre-allée mais carrément le contresens. Lamentable !

Et s'il est une voie que tous les puissants, les cumulards de privilèges, de fortunes, d'arrogance et de mépris, et leurs diffuseurs de vérités haineuses veulent nous dissuader d'emprunter, c'est que ce sens interdit est probablement très prometteur. Cette simple réflexion de bon sens ne nous pousse-t-elle pas à la joyeuse transgression de la coutume bien française de choisir toujours celle ou celui qui nous fera le plus de mal ? Alors nous sommes nombreux, forçons le barrage !

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