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Billet de blog 5 août 2022

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Tiret, virgule et délire bureaucratique

--------------------- ou « la folle quête d'une identité » -------------------- « La tolérance ! Il y a des maisons pour ça ! ». Aurait dit Paul Claudel soucieux sans doute de ne pas laisser se développer la libre pensée dans notre pays. « L'Identité ! Il y a des cartes pour ça ». Serait-ce la même préoccupation d'éviter d'éventuelles souillures ...

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... de natures diverses qui guiderait l'administration française à rendre l'obtention de ce sésame aussi difficile, en soumettant le candidat citoyen à ce parcours obligé, interminable, montant, sablonneux, malaisé voire dissuasif ? Seuls les esprits grincheux pourraient l'imaginer ! Il n'empêche :

Tout a commencé avec ce constat désolant : notre identité, à mon épouse et moi-même était obsolète depuis plus de deux ans, même avec la rallonge de cinq ans gracieusement octroyée en 2014. Ne plus être identifiable, ça fait quand même une secousse existentielle ; heureusement notre famille et nos amis continuaient à nous reconnaître mais malgré notre age avancé et nous considérant depuis toujours comme simples citoyens du monde, nous avions à cœur vis-à-vis de l'administration et surtout de la postérité, de mourir français. Bon, le paradis ne nous serait pas automatiquement promis pour autant, loin de là, mais décéder anonyme n'était pas une option acceptable car ce serait pour l'éternité.

Ce que nous pensions n'être qu’une simple formalité nous a clairement placé devant l'obsolescence de notre expérience multi-décennale dans le domaine des démarches administratives. Serait-ce la sénilité qui nous gagne ou l'exclusion rampante du monde numérique pour les inutiles que nous sommes devenus ? Pas de problème, on va leur montrer que les vieux croûtons savent encore surnager dans la soupe rance d'une bureau-crassie déshumanisante.

Après avoir clairement précisé à l'ordinateur impassible notre désir profond de rester français (comme si tout d'un coup nous venait l'envie d'être congolais ou corse!), il nous fallut, après des mois d'attente, passer aux choses concrêtes devant des vraies personnes en chair et en os et même assez mignonnes, les employées municipales du service des identités.

Pour moi, travailleur manuel, retraité besogneux, bricoleur et jardinier, les mains souvent plongées dans l'eau de vaisselle, la prise des empreintes digitales fut une épreuve pour moi et pour la machine qui refusa mordicus pendant un bon quart d'heure de valider une empreinte exploitable. Seuls 2 doigts furent finalement sélectionnés. Quelques semaines plus tard, pour le retrait effectif de la carte, il fallut prouver à la même employée qui m'avait si joliment accueilli, que j'étais bien moi, ce que la machine d'empreintes refusa catégoriquement de reconnaître. Un courrier à la préfecture suffira-t-il à lever l’ambiguïté ? On m'a quand même donné la fameuse carte mais je m'attends à une contre-offensive préfectorale.

Mon cas personnel s'est finalement avéré très anodin en regard de celui de mon épouse qui, si elle a passé avec succès la première épreuve des empreintes, voit la suite de son parcours semé d'embuches par la faute d'inattention pas vraiment coupable de l'employé de mairie sans doute décédé qui a enregistré son acte de naissance. Depuis près de 80 ans, elle répond (seulement quand elle a envie) au doux prénom de Marie-France et dans tous ses papiers officiels ce prénom est affublé de ce tiret qui pose problème aujourd'hui. Le drame auquel elle est confrontée à ce jour dans sa nouvelle quête d'identité vient de l'absence de tiret dans son acte de naissance, quelques molécules d'encre noire en moins qui la privent soudain d'une existence officielle, un blanc maléfique qui la rendrait coupable depuis 8 décennies d'usurpation d'identité. Heureusement l'administration est vigilante, les malfaiteurs et malfaiteuses de mauvais sang ou de noms falsifiés ne passent plus à travers les mailles d'un filet qui devient opaque à toute manifestation d'humanité. La procédure de délivrance de cette preuve indubitable que Marie-France et Marie France sont bien la même personne, s'est donc arrêtée. La préfecture grouillante de têtes d’œuf en ébullition a finalement accouché d'un compromis : ni blanc ni tiret, ce sera une virgule. Une nouvelle carte d'identité sera produite au nom de Marie,France. Dorénavrant, je devrai l'appeler MarievirguleFrance mais pour abréger, simplement Marievirgule.

A la mairie, la gentille employée a bien compris qu'une personne agée ne pouvait accepter de vieillir envirgulée jusqu'à sa mort, alors fut envisagé de mettre en route une procédure de changement de prénom pour troquer la virgule contre ce tiret qui avait de tout temps si bien fonctionné.

Et donc un nouveau dossier à remplir accompagné d'une demande afférente à ce changement de prénom de mon épouse, de la modification de l'acte de naissance du conjoint, c'est à dire de moi. Diable, je savais que les plus grands savants qui avaient percé à peu près tous les secrets de l'univers avaient cerné les forces d'interaction qui régissent son équilibre mais que le changement de prénom de ma femme ait une influence sur ma propre naissance constitue une interaction rétrograde où le principe de causalité est gravement mis en défaut et sur lequel devraient se pencher sinon les scientifiques les plus pointus, du moins les pontes de la haute administration qui pourraient imaginer des artifices moins délirants pour tourmenter le citoyen de base. Un nouveau mystère qui n'est pas de notre ressort et donc un refus catégorique de Marie,France de m'impliquer dans cet imbroglio. On n'est pas sortis des ronces … l'avenir s'annonce savoureux en nouvelles surprises bureau-crassiques … mais si elle perd vraiment l'identité de notre mariage, vais-je accepter de la reconnaître comme épouse ?

Bon, tout ça n'est pas non plus l’ascension de l'Everest, on a les aventures qu'on peut et on pourrait sourire de ce temps perdu en absurdités bureaucratiques si on ne percevait derrière ces contraintes tatillonnes, sans en être nous-même la cible et sans rapport avec nos petits déboires personnels, le caractère xénophobe de la politique française en matière d'immigration et d'identité.

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