Préambule : Cette lettre ouverte non consultée a été close après la prestation de son destinataire le 11 janvier 2017 dans les locaux de Médiapart.
Monsieur Peillon, il m'importe peu de savoir si votre candidature procède de votre seule initiative ou si elle a été provoquée pas des sollicitations amies. En revanche, il m'importe et je m'en réjouis, de savoir qu'un homme possédant une solide culture philosophique se porte candidat à cette fonction suprême qui exige de l'homme ou de la femme qui en a la lourde charge, des qualités humaines qui vont bien au delà des compétences politiques requises pour gouverner un pays. Dans le monde, ces dirigeants font cruellement défaut, le nombre de conflits de nature militaire, économique, ethnique ou religieuse avec son chapelet de souffrances, de morts et de populations déplacées, en atteste. Alors, parmi les candidats déclarés à cette élection présidentielle si particulière car elle se passe dans le cadre d'une cinquième République finissante, vous êtes l'un des rares à avoir peut-être à mes yeux les qualités requises pour occuper la fonction.
Mais vous êtes malgré tout un homme du sérail issu d'un parti socialiste devenu simple caste politicienne qui depuis trop longtemps ne sert plus les intérêts de la partie la plus modeste de la population qui fut traditionnellement son électorat. Alors, je me permet respectueusement de vous donner ma vision personnelle d'un Président de la République qui serait digne de diriger ce grand pays qu'est la France :
Monsieur Peillon, moi, citoyen, j'ai toujours rêvé d'un Président philosophe, un vrai qui porte son regard au dessus des contingences immédiates, qui ait le souci permanent de scruter l'horizon, et, au delà de l'écume des tempêtes qui secouent le monde, qui sache guider son arche de 66 millions d’âmes, vers des contrées plus accueillantes. Je n'ai plus que faire d'un Président qui, au travers de commémoration, de cérémonies en célébrations ne convoque plus le passé que pour faire croire qu'il se préoccupe de l'avenir. Je rêve d'un Président un peu visionnaire, sans ambition pour lui même, mais peut-être pour la trace qu'il laissera dans l'Histoire comme celui qui a fait avancer la civilisation sur la voie étroite du partage et de la concorde, bref, vers un peu plus d'humanisme. Le reste n'est qu'un problème de gouvernance …
Moi, citoyen, je rêve d'un Président qui, ayant livré sa Vérité dans de solennelles professions de foi, au cours de grand-messes de promesses d'évangile laïque, honore ses engagements, conscient que ses reniements seraient des trahisons envers un peuple qu'il ne doit plus considérer comme futile et oublieux. Ne serais-je tous les cinq ans qu'un citoyen de pacotille ? Je rêve d'un Président qui comprenne que la population n'est pas une masse inculte qui ne formulerait en toute méconnaissance des affaires du monde qu'une opinion dite publique qu'il serait vain de prendre au sérieux face à l'expertise privée d'une élite qui détiendrait à la fois la Vérité et la science de gouverner. Je rêve d'un Président qui œuvre à réconcilier le citoyen avec la chose politique, non pas seulement au moment des échéances électorales mais tout au long d'un mandat au cours duquel les solutions à trouver, les initiatives à prendre face à l'instabilité d'un monde qui peine à trouver un équilibre, ne peuvent plus être l'apanage d'un seul homme (d'un homme seul ?). Monsieur Peillon, oserez-vous engager les réformes constitutionnelles indispensables au renouveau démocratique en l'absence duquel notre pays entre les mains d'individus moins sages, s'engagerait sur la voie de la dictature ?
Et puis, moi, citoyen, je rêve d'un Président qui prenne conscience que les inégalités sociales, que les écarts de revenu qui se creusent inexorablement depuis des décennies et la monstrueuse redistribution du patrimoine mondiale au profit exclusif de quelques richissimes, n'est plus supportable par les peuples et va même à l'encontre d'une saine économie hélas trop mondialisée pour que chacun y tire un simple avantage à la hauteur de ses besoins vitaux. Monsieur Peillon, continuerez-vous à soutenir ce néo-libéralisme financier qui, en donnant à l'accumulation d'argent improductif une indécente primauté sur la valeur travail, génère tant de misère, de précarité et de déclassement ? Établir le premier bilan d'un quinquennat est d'une simplicité biblique : cet écart de richesse entre pauvres et nantis s'est-il réduit, le chômage est-il en voie de résorption ? Accepterez-vous d'être jugé à l'aune de ces simples résultats car la situation est tellement grave que le reste n'est que philosophie de comptoir ?
Moi, citoyen, je rêve d'un Président philosophe humaniste faisant fi de l'opinion d'une frange réactionnaire de la population, pour ouvrir les frontières et accueillir dignement sur notre sol une partie de ces populations déplacée par les guerres, la misère économique et les exactions exercées souvent par les dirigeants même des pays qu'ils sont contraints de fuir. Ne serait-ce pas, pour le pays des droits de l'homme, une impérieuse obligation morale ?
Moi, citoyen, je rêve d'un Président qui accepte d'atténuer cette posture manichéenne purement atlantiste qui a fait de notre pays le valet docile de l'impérialisme américain, qui certes n'est plus guère expansionniste en terme de territoires mais qui nous impose des normes économiques et commerciales contraires aux vœux des européens notamment en termes de santé publique, d'écologie et de développement industriel.
Moi, citoyen, je rêve d'un Président qui refusera de se soumettre sans broncher aux diktats d'oligarques européens jugés par nombre de nos compatriotes largement illégitimes dans le choix d'une doctrine libérale issue d'une constitution que nous avions à priori rejetée. Il ne faut pas s'y tromper, lentement, insidieusement, c'est l'idée même de démocratie qui est en cause. Certains idéologues de droite pensent sans le déclarer ouvertement, que ce concept est devenu obsolète dans un monde ou la gouvernance est devenue une affaire d'experts et où il faudrait s'affranchir de l'opinion du plus grand nombre. Monsieur Peillon, serez-vous dans cette mouvance, encouragé en cela par la pratique de ces dirigeants européens qui n'ont pas hésité à déclarer au peuple grec que leur démocratie n'était pas compatible avec les traités ? Accepterez-vous, sous prétexte d'orthodoxie financière ordo-libérale (on finit par se demander dans quel but), de continuer à légitimer une précarité incontrôlée imposée aux peuples européens alors même que des institutions internationales comme l'OCDE et le FMI émettent des doutes sur l'efficacité de cette doctrine ?
Moi, citoyen, je rêve d'un Président qui instaure enfin dans une république nouvelle une Justice digne de notre siècle, qui n'insulte plus le citoyen par des pratiques discriminatoires entre élites et populace, en supprimant enfin ces juridictions d'exception comparables en tout à la Justice Retenue de l'ancien Régime. Et puis, dans le même esprit, oserais-je imaginer que cette République annoncée depuis si longtemps irréprochable, s'engage vigoureusement, pour de vrai cette fois ci, à lutter contre la fraude fiscale et la corruption avec les conséquences désastreuses pour l'économie et la dette publique que ces fléaux traînent avec eux depuis si longtemps et aussi pour effacer l'image de dépravation de la caste des puissants et des nantis qui indigne la population jusqu'à l’écœurement. Monsieur Peillon, si vous ne ressentez pas cela dans vos tripes, si vous n'avez pas la ferme volonté d'y remédier, vous n'êtes pas digne de vous présenter à ce suffrage avec l'image d'un homme de gauche.
Si vis pacem, para bellum. Cette maxime romaine me paraît de nos jours fort peu philosophique et même un peu barbare car la fabrication d'outils de mort amène toujours tôt ou tard à leur utilisation. Si les deux derniers Présidents furent des va-t-en-guerre pour de bonnes ou mauvaises raisons, moi, citoyen, je rêve d'un Président va-t-en-paix qui cesse de vendre armes et âme à des pays pour lesquels démocratie et droits de l'homme ne sont que lubies occidentales, pays qui s'empressent d'ailleurs de refourguer ces même armes à des groupes qui mettent le feu à toute une région du monde. Ce n'est pas vraiment ce qu'on peut appeler une paix armée. Je sais bien que ne vivons pas dans un monde de bisounours et qu'un Président doit se préoccuper de la défense des citoyens mais ces impératifs ne doivent pas faire fi de toute éthique de gouvernement. Un philosophe devrait comprendre cela, à moins que la philosophie consiste en l'occurence à considérer les victimes civiles comme de négligeables dégats collatéraux des engagements militaires extérieurs. Un vrai philosophe ne devrait-il pas songer de temps à autre à croiser la fleur plutôt que le fer ?
Bon, je vous dis tout ça en passant parce que je sais que vous aussi, allez passer dans le live de médiapart pour y défendre votre couleur rose. Sera-t-elle plus vive que celle de vos concurrents et amis ? Pour ma part, j'y vois surtout du gris, mes illusions ont disparues avec l'abandon maintenant définitif, par un parti que j'ai servi jusqu'à la première élection de François Mitterrand, de cette doctrine socialiste qui avait, dans l'enthousiasme de l'époque suscité mon adhésion. Alors maintenant, moi, citoyen, je crois bien hélas que je ne rêve plus.
Vous voyez, je joue le jeu en vous livrant à l'avance toutes ces réflexions. Vous auriez tout loisir de peaufiner les réponses langue de bois tendre si par miracle vous étiez à l'écoute d'un minuscule citoyen (moi ou un autre, nous sommes légion), mais j'ai comme un doute quand j'observe que même les grandes manifs menées pendant plusieurs mois contre la loi travail n'ont été considérées avec mépris par un pouvoir aveugle que comme des chahuts d'adolescents immatures. Et puis en faisant l'éloge certes timide, du quinquennat finissant, il me semble que vous êtes assez mal parti, Lionel Jospin ne vous a donc pas dit qu'on ne fait pas une campagne sur un bilan, fut-il positif ? Or celui de François Hollande n'a guère été plébiscité, il faudra tout votre talent de philosophe pour faire émerger une post-vérité qui aura échappée à la sagacité d'une population certes fort mécontente des 600000 chômeurs supplémentaires, d'une stagnation de la croissance, d'une pression fiscale accrue pour les plus modestes ...mais sans doute mal éclairée sur les autres progrès sociaux accomplis sous règne socialiste.
Mais si par hasard vous accédiez à la fonction suprême, ce serait pour moi, un pur ravissement de constater que, faisant mentir l'argumentaire de mon précédent billet, vous parveniez à nous prouver à tous que le palais de l’Élysée n'est plus Le sanctuaire des inutiles ?
En attendant, mais pas trop longtemps, j'ai décidé, même minuscule, de redevenir un vrai citoyen, de refuser la reddition en rase campagne électorale que souhaiterait m'imposer une élite qui se dit experte, celle là même qui depuis des décennies a accumulé sans complexe autant d'échecs et de frustrations de ses mandants et qui aujourd'hui, au travers de discours policés et de promesses trompeuses sollicite mon suffrage. Alors, ne plus se soumettre ? Certainement, c'est là le sens de tout ce questionnement. D'ailleurs, parmi les autres candidats déclarés, il en est un qui a fort bien compris qu'en cette période trouble où le capitalisme mondialisé montre ses limites, il est temps de rendre à l'humain une partie du pouvoir indûment confisqué par cette machinerie infernale devenue presque incontrôlable et que les politiciens traditionnels, sans doute intéressés à ce qu'elle perdure, ne cherchent même plus à maîtriser.
Monsieur Peillon, je sais très bien que vous ne lirez pas cette lettre et je le comprends, la préparation de votre campagne présidentielle accapare tout votre temps, les conseils et recommandations vous parviendront de personnes infiniment plus compétentes, mais peut-être servira-t-elle, si la rédaction de Médiapart daigne y jeter un coup d’œil, à vous éclairer, lors de votre passage dans ses locaux, sur les attentes d'un citoyen très moyen.