Bien sûr si on prend la peine d'ouvrir les yeux sur le monde, si on se préoccupe un peu de ce qui se passe chez nous, par exemple des conditions de vie indignes faites aux migrants, enfin ceux que l'on ne repousse pas brutalement hors de notre sol, si on élargit son horizon au delà des frontières, on trouvera sans peine, mais sans joie non plus, des sujets de mécontentement, voire d'anxiété, de la petite corruption rampante aux aveuglements totalitaires des hommes de pouvoir, de l’ostracisme des petites sectes au nihilisme des fous de dieux improbables, qui provoqueront chez vous aussi, de la petite grimace d'amertume jusqu'à la gerbe nauséeuse, car enfin le monde ne va pas bien, et nous gagne peu à peu le sentiment que l'on a dépassé le seuil de pilotage raisonné tant les politiciens aux manettes semblent impotents face à l'ogre sans état d'âme de la haute finance planétaire et à la sauvagerie de ceux qui bradent l'avenir de l'humanité aux fantasmes de leurs chapelles.
Mais est-il bien utile de ressasser toutes ces indignations jusqu'à s'en rendre malade, la marche du siècle se fait sans nous, petits grains de sable bien incapables d'enrayer la grosse machinerie d'un destin collectif hors du contrôle d'une démocratie en déclin. La sagesse ne serait-elle pas, sans se cacher des souffrances d'autrui, de jouir de conditions de vie somme toute acceptables ?
Mais le Français est râleur, c'est une caractéristique qu'il convient de préserver à tout prix, ingrédient constitutif de notre culture, apprécié par le touriste étranger qui trouve divertissants ces comportements de grognards. D'ailleurs une journée sans motif de ronchons, ce serait comme un jour sans pain, un potage sans sel, une nuit sans câlin, un bitter sans pellegrino … et moi, en ce moment, j'en ai bien des soucis, des motifs de contrariété et d'énervement, jugez plutôt :
Presse-ail :
Une bonne saumonette se déguste avec un aïoli fait maison largement dosé en ail, plante potagère aux vertus médicinales incontestables. Il faudra aussi des pommes de terre cuites à l'eau, quelques petites carottes, un peu d’échalote et bien sûr un petit blanc sec. C'est dans la préparation de l'aïoli que commencent les difficultés car si on trouve dans le commerce de l'ail en poudre, l'art culinaire, le vrai, exige d'utiliser l'allium sativum sous sa forme crue. Comme pour l'aïoli, si on veut dispenser la saveur de l'ail cru en condiment sur diverses salades ou autres légumes, il faudra découper une gousse en minuscules cubes. L'artiste bien entraîné utilisera une fine lame bien tranchante mais pour le néophyte il existe un ustensile ménager communément nommé « presse-ail » censé vous donner rapidement le même résultat. Et là, le choix est d'importance car toute ménagère ou ménager (soyons inclusif puisque comme pour l'ail, on nous y presse) se doit de posséder cet instrument, et il en existe de tous les styles, du baroque rococo au design en passant par le vintage, mais tous ou presque ont une caractéristique commune : ils fonctionnent mal !
Globalement, le principe de fonctionnement est le même pour quasi tous les modèles : à l'aide d'un piston, on oblige la gousse à traverser le fond perforé d'une cavité dans laquelle on l'aura enfermée. La presse est actionnée simplement par un levier dont le bras est si court que le piston ne presse pas dans l'axe de la cavité (vous suivez ?) et parce qu'il se présente de travers, une bonne partie de la gousse va refuser de se laisser pousser vers le bas pour au contraire remonter sur les parois de la cage. Le gâchis est énorme, le rendement de l'opération sera dérisoire ! En outre, avec un bras de levier trop court, la force de mammouth nécessaire pour faire passer l'ail par la grille risquera de casser le manche s'il est en plastique. Autre défaut rédhibitoire, la grille qui, si elle n'est pas assez coupante ne fera office que d'extracteur de jus et sera rapidement obstruée par les peaux d'ail résiduelles.
Après en quête approfondie d'un presse-ail de qualité, il faut se rendre à l'évidence : sortir des sentiers battus est indispensable pour trouver le Graal. Je l'ai fait pour vous (et surtout pour éviter la corvée quand ma femme me dit : tu veux bien m'faire un p'tit aïoli !)
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A gauche, le presse-ail du vulgum pecus ___ à droite, un presse-ail de compétition.
Bref si vous en restez à ce qui est proposé dans les grandes surfaces, le bilan global sera désolant. La parité dans les cuisines, très loin d'être réalisée, est sans doute la cause de la médiocrité de ces ustensiles ménagers certainement conçus par des hommes qui n'y ont jamais mis les pieds.
Si pour Noël, vous voulez vraiment faire plaisir à un.e ami.e, ne lui offrez pas l'intégrale de Johnny ou les mémoires de Jean d'O, mais cet accessoire qui n'est rien moins qu'indispensable pour le vrai gastronome.
Blocage :
Son inventivité est sans limite. Décidément le Créateur nous étonnera toujours par la quantité de bienfaits qu'il dispense en permanence à l'Humanité et s'Il les avait trop longtemps délaissées, il se préoccupe désormais du bonheur des dames, surtout de celles qui triment dans leurs cuisines pour la satisfaction des hommes. Et c'est cette fatigue, tant physique qu'intellectuelle qu'il s'engage à soulager :
Quand il fallut renouveler un vieux frigo défaillant, nous eûmes tout d'abord l'heureuse surprise de constater que les services « Recherche & Développement » des constructeurs avaient doté ces appareils d'un ingénieux système destiné à préserver la quantité de froid contenue à l'intérieur, car dans ce domaine, les ingénieurs les plus innovants et les plus au fait des comportements féminins le savent bien : la ménagère est distraite et pas très futée et rares sont celles qui pensent à refermer rapidement la porte après utilisation. Pour les soulager de ce petit effort mental et dans un souci louable d'économie d'énergie, ils ont inventé le blocage automatique de porte.
Quand la cuisinière ferme la porte de son nouveau frigo après y avoir pris une motte de beurre, elle ne pourra pas la rouvrir avant plusieurs minutes pour prendre les œufs nécessaires à sa pâtisserie. Mais nous savons tous qu'elle a de nombreuses occupations et pourra passer un petit coup d'aspirateur en attendant les œufs, ainsi, ni temps perdu par la ménagère, ni énergie gaspillée par le réfrigérateur. Tout semble donc parfait dans les offices, mais les ronchonnes qui ont déjà fait le ménage pesteront contre cette attente inutile. Pas d’affolement, tout est prévu par le créateur, ce cas de figure a été étudié : s'il s'avère indispensable d'y avoir un accès répétitif dans un court laps de temps, il suffira d'ouvrir la porte de la partie congélation de votre nouvelle acquisition et là, hop miracle, la porte de votre frigo se trouvera déverrouillée. Ainsi, pour économiser un peu du froid de votre réfrigérateur, vous allez en gaspiller dix fois plus dans le compartiment congélation. Cela a dû titiller un peu la conscience des concepteurs mais comme le progrès doit progresser en toutes circonstances, ils ont trouvé la parade : cette opération de déverrouillage ne peut se faire qu'une seule fois. A la malheureuse occurrence d'une deuxième tentative, les deux portes seront bloquées. Vous aurez alors largement le temps de feuilleter le manuel d'utilisation pour y découvrir que trois minutes seront nécessaires pour jouir enfin de votre nouveau bijou ménager.
Mesdames, on vous convie instamment à libérer votre parole ; les outrages que vous subissez de la part des hommes ne se limitent pas au harcèlement et si dans d'autres domaines vous estimez qu'on porte atteinte à votre dignité, n'hésitez pas à l'exprimer dans ces colonnes, mais sans vous départir pour autant du respect que vous nous devez 😎 !