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Billet de blog 13 juillet 2018

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Heu...Reux !

Le bonheur planétaire promis par le simple effet d'une économie de marché mondialisée est manifestement tombé en liquidation, les grand décideurs du monde recommencent à jouer perso. Bref la félicité collective universelle n'est pas encore pour demain ...

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Illustration 1

... et comme notre pouvoir personnel pour influer sur la marche du monde est quasi nul, n'est-il pas tentant, par un hédonisme raisonné, d'aspirer simplement au bonheur individuel ? Une contrainte pourtant : limiter son champ de vision … les grands médias se sont fait un devoir de nous y aider.

Chaque être à sa naissance est condamné à sa quête inéluctable, consciente ou non. Ses décisions, ses choix, ses actes seront dirigés vers la satisfaction immédiate de ses besoins et de ses désirs ainsi qu'à l'élaboration d'une plénitude future qu'on peut communément appeler bonheur. L'eudémonisme, même si on peut douter de ses fondements humanistes, étant consubstantiel à la nature humaine, ne nous montre pourtant guère les chemins qui mènent à cette idéal de vie par ailleurs inatteignable. Alors, si de nombreux philosophes se sont penchés sur cette question délicate, c'est bien pour nous guider et nous proposer des voies qui à coup sûr feront de nous des humains heu...reux.

D'Aristote à Alain en passant par Épicure, Confucius ou Kant, les courants de pensée ne manquent pas et comme ils sont tous dissemblables et parfois même contraires, nous aurons tout loisir de choisir, en fonction de notre état de santé, du temps qu'il fait, de l'opulence du dernier repas ou du récent relevé fiscal, parmi ces maîtres à jouir de la vie, celui qui conviendra le mieux à notre humeur du moment. Si je répugne un peu à être un pur spinoziste, philosophie de la joie et de la béatitude, le bonheur kantien me convient mieux : « Le bonheur est un idéal de l’imagination et non de la raison. » et s'il est pour certains, en plénitude, la satisfaction des appétits et des pulsions, alors il n'est qu'une île flottante dans un océan de déconvenues.

Finalement la sagesse en ce domaine ne consiste-t-elle pas à faire sienne cette forte pensée voltairienne : « J’ai décidé d’être heureux car c’est bon pour la santé. » ?

Heu...Reux car avec Nietzsche, moi le gauchisé de longue date, en ayant compris que le bonheur ne se dévoilant que dans les hautes sphères de la connaissance et de la raison et ne pouvant se traduire que par la volonté de puissance, force créatrice mais qui peut être aussi destructrice et agressive, j'ai enfin discerné les tenants de ce modèle néolibéral qui s'installe peu à peu sur la planète, valorisant un individualisme prétendument compétitif et donc amoral, mais selon lequel le bonheur des uns équilibre le malheur des autres. Même s'il emporte sur son passage les rêves humanistes d'antan, qu'il broie ceux qui refusent d'y adhérer et qu'il met à mal les communs gagnés de haute lutte depuis la Libération, la morale y est sauvée par ce nouveau concept de bonheur globalisé qui fait fi des disparités locales pour faire ce constat rassurant que le bonheur universel total est en pleine expansion. Si à l’instar de Lavoisier on peut affirmer pour les choses matérielles que « Rien ne se perd, rien ne se crée », selon ce nouveau dogme en revanche, la simple loi de conservation du bonheur serait mise en défaut par la formidable accumulation de richesses des multimilliardaires de tous pays. Bien sûr, les très riches le seront de plus en plus, les pauvres auront finalement accepté de le rester, les classes moyenne auront perdu leurs illusions, mais si la théorie du ruissellement financier chère à l'école de Chicago s'avère totalement inopérante, il est maintenant convenu dans ce modèle néolibéral, que le bonheur des uns dégoulinera inexorablement sur celles et ceux qui en sont dépourvus. C'est pourquoi le débat gouvernemental sur la pauvreté a été reporté au profit d'une euphorie footbalistique qui, en période estivale compensera largement les nouvelles lois de précarisations annoncées pour l'automne. Heureux le simple d'esprit que j'étais, mais dorénavant, heu...reux d'avoir compris que cette radicalisation du capitalisme ne s'opposait en rien à la philosophie des Lumières.

Heu...Reux, car après avoir récemment connus les joies simples de l'hospitalisation (10 jours à la Bastille ), j'ai accueilli avec enthousiasme cette nouvelle invitation de la Faculté pour une expérience plus soutenue encore que la précédente.

Dans un récent débat sur la nécessité de cultiver en permanence une intense joie intérieure, moi, le sceptique de nature, j'avais finalement répondu positivement à cette injonction et c'est donc dans cet état d'esprit que le 11 juillet au matin, brancardisé jusqu'à la salle d'op, je me suis abandonné avec volupté aux mains expertes des chirurgiens et infirmières qui allaient faire de moi un homme nouveau (enfin juste un petit bout).

Les bras en croix, le visage radieux, je m'apprête à recevoir les anges qui m’emmèneront au septième ciel … et plus si affinité (mais là, les prosélytes de tous poils auront bien du boulot pour me convaincre de rencontrer le Suprême). Ils sont arrivés très vite et ne m'ont fait visiter que le premier … Heu..Reux parce que je me suis réveillé à peu près conscient ; les anges avaient perdu leurs trompettes et mon corps ses extases mais la vie, quoi qu'on dise est quand même ce qu'on fait de mieux pour un être humain. Dans le cas contraire, j'aurais certainement été très mécontent parce que je ne crois pas vraiment au bonheur posthume.

Heu...Reux qu'en ce vendredi 13, comme par hasard, mon estomac vide me rappelant aux réalités terrestres, le plateau de midi tant attendu m'offre en majesté et présentée en bouse, la purée d'épinards qui a déjà l'odeur et la couleur du vomi que mes entrailles récalcitrantes vont immanquablement rejeter. Mais ce serait faire offense à ceux qui n'ont rien que de refuser cette offrande, et je me dois, dans la joie et la bonne humeur, d'ingurgiter ce brouet que d'aucuns dans la misère trouveraient festin.

Demain le 14, nous nous devrons tous d'être Heu..Reux parce que heu ! … c'est la tradition et puis aussi parce que notre Méprisant de la République, nouveau monarque républicain dans la plénitude de ses pouvoirs, célébrera, une émotion mal contenue dans la voix, la formidable émancipation conquise de haute lutte par les sans-culottes et les cul-terreux d'alors, les riens d'aujourd'hui que dans son discours, il dira pourtant porter en haute estime. A magnifier le triptyque républicain, figure imposée de cette homélie, il n'oubliera pas non plus cette Liberté, symbole du pays des Lumières éclairant le monde, regrettant qu'à son insu, l'enfermement administratif en violation des droits élémentaires, ait été porté à un niveau inégalé depuis fort longtemps. La chaleureuse fraternité offerte aux migrants fera aussi couler bien des larmes. Bref, nous serons fiers et Heu...Reux que l'image humaniste de notre pays soit portée si haut dans une Europe recroquevillée sur des valeurs obsolètes.

En chaussant des lunettes roses, on pourrait trouver bien d'autres motifs de se réjouir, mais il serait déraisonnable d'en faire ici une analyse exhaustive. A chacun de les trouver dans son propre jardin !

Et puisque le bonheur se traduit souvent pour moi en musique ou en chanson, pour terminer sur une note (trop ?) optimiste, je pouvais vous proposer en sautillant dans le couloir du service, le célèbre « You kaidi you kaida » (voir ou plutôt écouter le premier commentaire), mais ma condition physique actuelle m'incline plutôt à ce sobre mais sublime nocturne.

Barenboim - Chopin Nocturne no.20 © fortunatefool1211

Vous trouverez sans doute étrange que j'illustre cet hymne au bonheur par un nocturne, posthume de surcroît, mais aujourd'hui, après cette intervention chirurgicale un peu lourde, et encore dans les brumes de l’anesthésie, je ressens cette musique avec vertige, comme un bref moment d'éternité.

PS: J'en demande pardon par avance à mes amies en souffrance Tricia, GdS et autres, si malgré cette théorie néolibérale en vigueur, tout ce bonheur affiché peine à les atteindre dans leur être profond. Peut-être un petit manque de conviction de ma part ?

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