Je m’appelle Kapout, à vrai dire je ne m'appelle jamais moi même, ce serait idiot, c'est HS qui a choisi sans me demander mon avis : un jour qu'il papotait avec la voisine étonnée, il lui expliqua doctement qu'il me fallait un nom qui claque et qui porte au loin quand il veut me mettre au pied. Au fait je vous ai pas dit, HS, c'est celui qui se prétend être mon maître. Ça ne veut pas dire Hors Service non, pas encore, il cavale encore pas mal le bougre, ça veut dire Homo Sapiens, c'est moi qui ai choisi parce que le pauvre il se croit plus savant que moi et prétend m'expliquer des trucs que je sais déjà. Mon maître, je lui laisse croire qu'il me maîtrise, ça lui donne de l'importance quand je le promène dans la rue et qu'il croise une jolie dame mais en fait, de nous deux, l'esclave, c'est plutôt lui. Enfin esclave, n'exagérons pas, je lui laisse beaucoup de libertés. Mais ne vous méprenez pas, je ne vous ai pas dit, je suis un golden retriever, ce n'est pas une pomme, c'est un chien, bin oui désolé, avec un autre HS ça aurait été plus croustillant.
Mon HS qui, à mon goût reste trop longtemps devant son ordinateur, oublie de s'aérer les bronches et le cerveau, alors je lui dit avec des wouafs bien articulés qu'il est l'heure de la promenade. Quand il s'obstine à ne pas comprendre, j'ai le truc imparable : je fais pipi sur le tapis du salon, technique qui a l'avantage de laisser pendant plusieurs jour une odeur qui le rappelle à ses devoirs. Alors, il prend la laisse qui me permet de le balader où bon me semble et nous voilà enlaissés pour l'aventure. Aujourd'hui c'est moi qui choisis, comme d'habitude.
Le parc
J'aime bien parce que malgré les pancartes qui obligent les maîtres à rester près de leurs chiens, je consens à le détacher et chacun vaque à ses explorations personnelles … lui en général, il chasse sans son chien et quand le temps est au beau, le gibier abonde frais et dodu. Je l'observe de loin mais qu'il est maladroit le pauvre ! Pas étonnant qu'il soit encore célibataire ! J'aime autant d'ailleurs parce qu'avoir deux humains en charge pourrait devenir insupportable. D'abord il n'a pas les bonnes armes, il s'est fringué en dandy, mocassins italiens et pochette Hugo Boss sur veste Berluti. Quel gachis ! Pour braconner la biche aux abois, c'est pas approprié et puis la technique d'approche trop timide ou au contraire char d'assaut, est loin de la délicate civilité qui convient pour un contact rapproché. Perso, je lui dirais bien la manière d'opérer qui marche, comme celle que j'utilise avec Luna, la belle épagneul de la voisine mais je préfère le voir s'embourber, c'est plus drôle même s'il est de mauvaise humeur quand je le ramène à la maison.
La dernière fois, au parc, près d'une dame un peu guindé qui appelait son chien disparu : Mozart, Mozart, Mozart, il lui a dit goguenard : il vous a fait une fugue ! Fort content d'une plaisanterie malheureusement incomprise, il s'est mis en demeure de me retrouver : Kapout, Kapout … suffisamment fort pour alerter les agents de sécurité du parc craignant un attentat terroriste. Moi je reste bien caché, ravi de ce désopilant déploiement de forces désemparées. Et mon HS obligé d'expliquer aux pandores dubitatifs que Kapout n'est ni un fait dramatique ni une menace mais simplement le nom d'un toutou. S'il m'avait appelé Mamour comme le fait Luna ma belle, il aurait pu être embarqué pour drague perverse, c'était drôle aussi !
Dans ce parc verdoyant et fleuri, il m'arrive de lever la patte sur un poteau ou un petit arbuste et bizarrement pour la même envie, HS choisit le tronc d'un gros arbre, au risque, refusant d'utiliser le même procédé, d'entacher par des éclaboussures, ses si belles chaussures. Il faudrait quand-même que je lui apprenne !
Le dimanche
D'abord il met ses beaux habits, non pas ceux pour aller draguer dans le parc mais quand même moins crades que ceux pour aller faire prof de sport au lycée. Il faut quand-même qu'avec quelques coups de langue, je transforme ses grolles sales en souliers. Enfin il veut se faire beau parce qu'il reçoit collègues et ami(es) et moi je fais partie du décor, mon pelage un peu roux fait sa fierté mais me prendre pour un pot de fleur ne fait pas la mienne ! Je vais quand-même faire le rôle parce qu'il gratifie d'une petite part du repas commun. Installé sur une chaise à coté de lui, il me lance des bouts de viande que j'attrape à la volée, à l'admiration de tous les convives. On s'est entrainés bien sûr comme pour cette délicate plaisanterie qu'il présente habituellement au moment du dessert : je mets subrepticement le bout de ma queue sur la table et lui de me réprimander sévèrement : enlève ça tout de suite, est-ce-que je le fais moi ? Ce qui fait sourire ceux qui la connaissent déjà et s'esclaffer les nouveaux à en recracher d'un fou-rire une nourriture déjà prémachée. Un petit monde pas très présentable, mais je tolère.
Les élections
Il m'a expliqué que les humains d'ici devaient eux aussi se trouver un nouveau maître pour changer l'ancien trop usé. Il m'a dit que pour ça on mettait un nom qui nous plaisait sur un bout de papier, on les met tous dans une grande boite et on les compte. J'avais déjà compris depuis longtemps, on regarde la télé ensemble tous les soirs, même que souvent il s'endort. Il me prend vraiment pour un débile, ça m'énerve, je pourrais lui raconter la suite des infos !
M'enfin un soir qu'on avait fini de compter, il a sauté en l'air en criant on a gagné. Il était tout gai mon Homo (non c'est pas vrai, il chasse du féminin, j'en suis témoin) à l'annonce du comptage final et j'ai eu double ration de croquettes. Il me donne aussi de la patée, du canaillou aux carottes, pas terrible … je lui ai pourtant dit de prendre au Leclerc du Royal Canin parce que je le vaut bien, c'est celle que je déguste chez Luna ma douce qui m'appelle Mamour, ça me rend tout chose.
A la télé on a vu que tout le monde était content, qu'il y avait de la musique et que les humains se tortillaient dans tous les sens en lançant les bras en l'air. Ils sont fous ces humains parce qu'en fait ils n'avaient rien gagné que le plaisir d'être contents.
D'ailleurs, après ces jeux où tout le monde veut être plus fort que tous les autres pour n'être finalement le maître de personne, que j'ai vaguement regardés d'un œil morne et d'une oreille pendante, le HS de base avait finalement compris qu'à défaut de gagner quelque chose, il allait sans doute tout perdre. Mon HS perso furieux en oubliait de sortir les croquettes. Nom d'un chien je l'ai rappelé à l'ordre, il n'y a aucune raison que dans cette affaire, tout le monde vivant soit perdant.
La joyeuse bande
L'autre dimanche au parc, on s'était retrouvés entre copains copines pour jouer à cache-tampon. Cest Marley le bulldog anglais qui avait apporté un os à cacher. Il est moche (Marley pas l'os) mais on l'aime bien quand même parce qu'il arrive toujours les pattes pleines de choses à manger. D'ailleurs chez nous, tout le monde aime tout le monde sans distinction de pedigree, de taille ou de couleur, c'est plus simple. Chez les humains en revanche et c'est là surtout qu'on voit qu'ils ne sont pas sapiens pour une croquette, ils n'arrêtent pas de se disputer à qui aura plus le droit d'embêter tous les autres. Les blancs, les noirs, les jaunes, il y aurait mëme des rouges, ceux de peau et d'autres de toutes les couleurs, j'ai rien compris mais c'est quand même triste de voir qu'ils ne veulent surtout pas se mélanger. Chez nous on fait ça très bien et tout le monde il est content. En ce moment à la télé, même ceux qui sont tout blanc se chamaillent entre eux pour être le chef qui va niquer les autres. Ils sont fous ces humains ! Moi je rigole mais mon HS il est tellement colère qu'il a brulé tous ses papiers, enfin surtout celui qui permet de mettre un nom dans la boite.
En ce moment, je le laisse tranquille, il est pas d'humeur mais faudrait pas que ça dure parce que ma nourriture s'en ressent… j'ai bien une idée ! Je vais lui apprendre comment lever une biche du parc, au besoin je ferai le rabatteur. Il verra alors qu'aimer ne serait-ce qu'une seule humaine pas forcément sapiens, ça peut booster le moral pour la vie.
Et moi j'aurai peut-être la chance d'un savoureux surplus alimentaire à partager avec les copines copains.
