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Billet de blog 16 février 2015

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Le pifome à l'usage de tous

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce billet n'est pas destiné à être lu par les rigoristes pointilleux qui estimeraient que la plaisanterie n'a pas sa place dans les colonnes de ce journal desquelles devraient être bannis l'ironie et le deuxième degré (ou plus). 

Les domaines d'application de la pifométrie, principalement tournés vers le quantitatif ne recouvrent pas vraiment les sujets couramment abordés dans les colonnes de Mediapart : politiques, économiques, sociétaux... Et pourtant en cette période de confusion des esprits, les valeurs morales, humanistes, républicaines et laïques brandies comme des étendards par nos élites de gauche, du milieu, de droite modérément extrême ou extrêmement excessive, se mélangent dans un clafoutis indigeste qui peut mener à la gerbe. Les commentateurs de tous bords et de tous niveaux usant de propos trop catégoriquement précis et péremptoires devraient s'inspirer de cette humilité dont les scientifiques, confrontés à l'immensité de leur ignorance usent maintenant pour se garantir une marge qui les protège des critiques virulentes de la concurrence, humilité qu'ils puisent dans un petit répertoire de la pifométrie. (Jean BLANCHARD, « Le système pifométrique », Marine, vol. 16 n° 1, janvier-février 1972). Merci aussi à Claude Morin, j'ai joyeusement pioché dans sa « Norme Française de la Pifométrie ».

Exemple scientifique : La transition du krypton entre les niveaux 2p10 et 5d5, sert à définir le mètre comme valant,  à un cheval près, 1 500 000 fois la longueur dans le vide de la raie spectrale orange de l'isotope 86Kr. (le mètre a maintenant une autre définition). Nous voyons clairement dans cet exemple que les chercheurs ont pris soin d'offrir une marge d'incertitude au choix de l'utilisateur du-dit mètre selon qu'il sera horloger, couturière ou arpenteur.

La pifométrie, science ancienne issue d'une culture de l'à-peu-près n'a malheureusement pas fait l'objet d'études officielles poussées. Elles auraient pu compléter avantageusement une série de normes sur les unités et symboles que l'AFNOR compte à son catalogue. Il n'existe pas encore au pavillon de Breteuil d'étalons d'unités pifométriques, c'est pourquoi il est apparu essentiel de combler ces graves lacunes.

Le pifomètre est un instrument personnel, consubstantiel et incorporé à l'individu. Il ne peut pas être utilisé par autrui. Le même pifome proféré par deux individus différents ne donnera pas le même résultat. Exemple : à vue de nez, il doit être 17 heures dit le premier, tandis que le nez du second ne verra que 16 heures 30. C'est le principe de base de la science pifométrique qu'il faut en permanence garder à l'esprit pour éviter tout conflit.

Autre règle importante : le produit d'une unité pifométrique par un nombre est égal à l'unité pifométrique initiale. Exemple : ce bidule vaut trois fois rien a le même sens que : ce bidule vaut sept fois rien alors qu'en fait il suffit de dire : ce bidule vaut un rien. Attention, « ce bidule ne vaut rien » n'a pas du tout la même signification car ici, rien n'est pas un pifome.

Explorons maintenant les unités du système pifométrique que l'on peut classer par catégories :

Les unités de grande quantité chacune induisant une notion différente :

La palanquée, la tapée (dégoût), la flopée (excès), la tripotée (mépris), la chiée (trivialité) dont les multiples vont jusqu'à la polymégachiée (trivialité + très grosse colère), puis, plus printanier la ribambelle et la dose avec ses multiples, la bonne dose et la sacrée dose.

Exemple d'utilisation : j'ai une tapée de corrections à me farcir. Ou bien : dans cette boite, il y a une tripotée de bons à rien. 

Les unités de petite quantité :

La lichette (minceur), le fifrelin (estimateur des salaires), le iota équivalent du pas bezef et le tantinet, le doigt (exemple : je me ferais bien un doigt de Porto (ne signifie pas que l'interlocutrice envisage une escapade lusitanienne)). 

Les unités de valeur (la pifométrie ne s'intéresse qu'aux petites) :

La tripette (qui n'est utilisée que dans sa forme négative), la roupie de sansonnet (fraîche et printanière mais qui ne tiendra pas jusqu'à l'été). 

Les unités d'estimation (la pifométrie ne souffrant pas l'imprécision a défini ces unités pour rendre compte des mesures délibérément arrondies) :

au pif (ce pif est, vous l'aurez compris, le pifome de base de toute la théorie), à la louche synonyme de à vue de nez, le doigt mouillé (que je vous laisse commenter), le poil près (estimateur fin par défaut), le cheval près (estimateur grossier ; on peut aussi choisir un bovin), la poussière (au pluriel, c'est un estimateur de précision), la broutille (moins fin que la poussière), le pouième (qui frise l'impalpable).

Exemple d'utilisation : cette Rolex vaut cent mille euros et des broutilles. Nous remarquons que dans ce cas, la valeur effective de la broutille est relative à la fortune de celui qui achète la montre, ce qui montre que le pifome peut avoir une importante dynamique d'utilisation.

Les unités de distance : entre l'année-lumière (9,486x1014 m) et l'angström (10-10 mètre) l'évaluation des longueurs laisse une marge importante à la définition de pifomes plus utiles dans la vie courante que le mètre étalon :

Le bout de chemin (distance à parcourir agréablement ; qui peut être petit, bon ou sacré), la trotte (moins supportable que le bout de chemin), le comme ça (qui nécessite malgré tout l'utilisation des deux bras mais qui a l'avantage d'être modulable), le Pétaouchnok (très grande distance avec incertitude sur la destination). 

Les unités de temps : nous savons depuis près d'un siècle, que le temps n'a qu'une valeur relative et qu'il fallait donc adjoindre à la sacro-sainte seconde quelques pifomes à utiliser tous les jours :

Le bout de temps (valable pour le passé comme pour l'avenir ; attention, le sacré-bon-bout-de-temps est le type même d'une utilisation abusive du pifome), l'éternité (qui très souvent ne va pas jusqu'à l'infini), l'instant (qui, supposé assez court peut souvent se prolonger : je reviens dans un instant), le laps de temps (qui, bizarrement quand il est certain devient plus imprécis), le bail ou la paye (s'applique au passé souvent avec regret : je n'ai plus 20 ans depuis un bail), la minute et la seconde (qui dans l'espace pifométrique restent des durées improbables : je te rappelle dans une minute représente la même durée que je te rappelle dans une seconde).

Ce petit répertoire d'unités pifométriques est loin d'être exhaustif et selon que vous serez un pifométricien débutant ou aguerri, vous pourrez aussi choisir la kyrielle, la myriade, le flot, le soupçon, la larme, le nuage, la perpette, la giclée...

Il est des domaines ou la pifométrie est très utilisée, voire indispensable à une bonne description du sujet traité :

En météorologie : on peut adorer l'exquis « demain il y aura des averses ici ou là » en regrettant quand même un peu de ne pas savoir s'il faudra prendre son parapluie en sortant de chez soi. 

En cuisine, pour bien réussir une goulasch hongroise, il vous faudra 1kg de patates, 700g de ragoût de bœuf, une bonne ration de lard de poitrine, quelques oignons, une pointe de beurre, un soupçon de paprika, une bonne quantité de crème fraîche, une pincée de sel et un iota de poivre. Laissez cuire un certain temps et servez quand, à vue de nez ça vous paraît cuit.

Il est des situations où l'usage de la pifométrie vous fait passer pour plus rigoureux qu'un vrai rigoriste : Celui qui dit « cet arbre mesure 10m83 » est moins crédible que celui qui dit « cet arbre mesure 10m et quelques » (ici, le et quelques est un pifome). 

Dans ce monde de grande incertitude, la pifométrie revêt maintenant une importance considérable et tous ceux, journalistes, économistes, politologues ou simples blogueurs qui font l'analyse de ce chaos et nous présentent leurs convictions, oublient trop souvent d'insérer ici et là dans leurs discours des pifomes qui les rendraient plus digestes. Il est vrai que les pifomes de nature hésitatoire n'ont pas été développés dans ce billet, et pourtant il en est d'innombrables à leur disposition. Pour ne pas alourdir, je ne vous en citerai que quelques uns très connus que l'on ignore être des pifomes : probablement, peut-être, éventuellement, il semble que, sans doute (bizarrement, c'est en prétendant ne pas en avoir qu'on en a quand même (à l'inverse, c'est souvent celui qui prétend en avoir qui n'en n'a pas (ici, il ne s'agit pas de doute, n'en doutez pas !))), il est possible que, présumément ...

Il nous serais doux à l'oreille que ces pifomes parsèment joliment les commentaires irrévocables et que les invectives définitives (du balai, aux chiottes, fumiers, pourris...) fraîches mais trop usitées, trouvent des remplaçantes parmi les insultes proposées par ABDEL B dans : Insultes rares.

Exemple à propos de Macron : commentaire actuel : « du balai » . Commentaire fleuri : « saperlipopette, je pense qu'il serait souhaitable que ce monsieur franchement orchidoclaste envisage d'abandonner une fonction qu'il me semble exercer avec un sens d'équité sociale un tantinet défaillant» certes un poil plus long à exprimer, mais si agréablement bucolique.

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