
« la chose du monde à laquelle un homme libre pense le moins, c'est la mort et la sagesse n'est point la méditation de la mort, mais de la vie. » Baruch Spinoza
Une expérience spirituelle, posturale, mentale et introspective qui permet de contrôler ses émotions négatives, de chasser le stress et la dépression. Enfin, c'est ce que nous disent celles et ceux qui savent la pratiquer et qui semblent en tirer profit.
En cette période de rétention sanitaire très éprouvante pour la population, la méditation est devenue un passage obligé, une activité collatérale volontaire, spontanée ou subie. On nous y encline, allant même jusqu'à nous en proposer gratuitement quelques instants pour la sauvegarde de notre santé psychique. Alors puisque le haut lieu a décidé de prolonger l'enfermement des vieux, j'ai décidé de m'y résoudre, même s'il m'est arrivé parfois de méditer sur l’intérêt ou non de la méditation, processus récursif inextricable qui ne semble mener que vers le néant de la pensée ; mais comme le temps suspendu ne nous est plus compté, pourquoi pas ?
Après une rapide consultation bibliographique et donc persuadé d'accéder rapidement au nirvana, installé genoux-assis sur le tapis de mon salon, menton levé et mains sur les genoux comme indiqué sur la notice, avec une ferveur décuplée, j'ai tenté d'atteindre un état de la pensée « au-delà de toute pensée » sorte de vacuité de l'esprit.
Malgré de sincères efforts de concentration, je dois le confesser, la béatitude du vide ne s'est pas le moins du monde manifestée. Alors j'ai essayé un nombre considérable de combinaisons de postures : lotus, birmane, assise, à genoux ou allongée, et de types de méditation : la transcendantale, la zen et celle dite de pleine conscience. Le bide sur toute la ligne ! De cet échec cuisant, n'étant guère plus bête qu'un autre, j'en ai déduit logiquement que ce cadre intérieur était inadapté à ce genre de défit.
Alors, cet après-midi, je me suis rendu au sommet de ma colline, muni de mon sauf-conduit par crainte d'un quelconque pandore caché derrière un buisson d'épineux ou d'un chêne truffier, variété qui pousse en quantité sur nos collines (les chênes truffiers pas les pandores).

En posture birmane, mains ouvertes vers le ciel, concentré sur la nitescence de mon nuage tout en évitant l'analyse cognitive du contenu de ma conscience je laisse au temps le temps de faire son œuvre. A peine je ressens ce que je présume être un début de lévitation, qu'elle se pose à une trentaine de mètres. Fouillant le sol puis relevant la tête elle pousse son houp houp houp si caractéristique auquel répond au loin le houp houp houp étouffé d'une future compagne. Sans bouger un cil et du coin de l’œil, cette huppe charmeuse, je la regarde, fasciné, envieux, interrogatif … et si moi je poussais le brame du cerf, peut-être me répondrait au loin une jolie biche en jupon ? Mais tout timide, je n'ai pas osé.
Je reprends ma méditation avec entrain. Autour de moi dans l'herbe basse, les dames d'onze heures, blanches et virginales semblent moquer mes tentatives infructueuses de parvenir à l'extase sans pour autant diminuer mes ardeurs. Mais avant la félicité promise, il faut que je vous dise : un peu plus bas, à l'orée de la forêt de chênes et de châtaigniers, il y a un petit coin humide où foisonnent les fraises des bois. Avec du sucre vanillé et un peu de crème fraîche, c'est un véritable délice.
Pour la réussir cette méditation, il faut parait-il répéter inlassablement un son ou un mot même sans signification, c'est le mantra : fraise des bois, fraise des bois … bon, je vais en ramasser quelques poignées et puis je redescends, d'autant plus que le vent a chassé mon petit nuage. L'extase, je l'aurai sur les papilles.
Revenu à mon home de confinement, mi satisfait mi déconfit mais sans perdre l'espoir de maîtriser ce substitut d'évasion pour les longues semaines d'enfermement qui nous restent, il me vient à l'esprit que peut-être l'exemple de Thaïs m'aidera à trouver cette voie (sans trop d'illusion mais surtout avec l'envie d'écouter cette musique de rêve) :
Thaïs, belle courtisane païenne vouée à Vénus, après les reproches de débauche exprimés à son encontre par le moine Athanaël, entre dans une longue méditation. Finalement, elle choisit le confinement au couvent d'Albine où bien plus tard elle meurt sous les yeux du moine accablé de douleur pour celle qu'il aimait secrètement d'une passion charnelle.
Peut-on en tirer une morale ? Accepter le confinement ou se rebeller ? Profiter du reste de sa vie ou bien comme les vieillards inuits se laisser aller lentement à la mort pour la survie de la communauté ? Une régulation démographique programmée ?
Méditer
, le plus vertueux du temps présent, mais tellement difficile !
Médire, mais plutôt révéler les failles d'un système et les manquements multiples des responsables.
Maudire, tenter de s'en abstenir malgré les décès évitables et malgré la détresse insondable de celles et ceux qui sont partis sans un regard, sans un je t'aime, sans la pression d'une main, sans la chaleur d'un corps, sans une larme sur leur peau parcheminée ou un dernier sourire comme remerciement de toute une vie d'amour … et peut-être dans une indicible souffrance.
Méditations, analyse, réflexions mais certainement pas oubli, la suite appartient à la juste Justice des hommes.