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Il existe certainement un socle de porphyre ou une plaque de marbre offrant aux yeux des visiteurs, les noms gravés d'or de tous ceux, prestigieux qui en ont été les heureux locataires. Il est vrai que l'endroit est agréable, les appartements somptueusement meublés, les pièces de vie accueillantes et chauffées juste à point, la domesticité obséquieuse mais sans excès car la monarchie a été abolie depuis deux siècles, la nourriture abondante et soigneusement préparée pour le plaisir des palais du palais, des jardins où le maître des lieux en philosophe péripatéticien aime à se promener pour approfondir les vérités qu'il livrera à son peuple après emballage cadeau par les services spécialisés. Alors, en cette période de fin de bail, ils sont nombreux et de tous bords ceux qui, sans esprit de lucre, souhaiteraient de cette modeste résidence, conduire notre pays sur les chemins d'un avenir radieux.
Seuls les imbéciles ne changent pas d'avis. C'est une vérité universelle dont je m'inspire régulièrement en modifiant mon jugement au gré de la girouette qui flotte sur le toit de ma maison. Dans cette haute vallée du Rhône, le vent capricieux me conseille nord ou sud, droite ou gauche mais là j'ai bien des embarras cervicaux pour virer tribord. Être dans l'erreur, pour le minuscule citoyen que je suis ne porte guère à conséquence pour autrui, d'autant moins qu'en médiocre prosélyte j'ai depuis longtemps renoncé à convaincre, mais pour les aspirants à la gouvernance éclairée, les sinueuses conversions doivent rester crédibles, le verbe haut doit porter la vérité nouvelle sans démentir l'ancienne et la lucidité changeante doit en permanence garantir au citoyen l'éclairage du bon chemin aussi tortueux soit-il. Ne devient pas Président l'homme banal pétri de certitudes, celui là restera dans l'ombre car marteler en permanence une vraie conviction finit par lasser un public qui attend du neuf, du moderne, du surprenant et si la vérité d'hier est largement obsolète, celle d'avant-hier ou même du siècle dernier peut très bien passer pour du dernier-cri et devenir celle de demain pour peu qu'elle soit habilement agrémentée de promesses de richesses pour tous et de démocratie retrouvée. Les médias sont d'ailleurs friands de ces retournements baroques ou excentriques et je vous le dis tout bas, les postulants le savent bien, l'essentiel n'est pas de persuader par du rationnel et du sérieux, mais de montrer un max sa bobine dans les petites lucarnes ; quoi de mieux alors que de distordre un peu le discours de la veille pour mieux le préciser le lendemain, quitte à dire peu ou prou le contraire. Présenter plusieurs versions d'un même concept a le double avantage d'occuper le terrain médiatique et de tâter le pouls de l'opinion pour parfaire un programme rassembleur que l'impétrant, nouvellement élu s'empressera d'oublier.
Devenir un homo électus ne s'apprend pas dans la rue mais à l'ENA ou à Siences-Po ; on y enseigne non pas à diriger un pays dans l'intérêt premier de la population, mais les moyens d'accéder aux plus hautes responsabilités publiques compte tenu des capacités de chacun, en ayant toujours à l'esprit qu'une carrière politique n'est pleinement réussie que si l'on a dépassé les limites de ses propres compétences. L'impressionnante longévité de notre classe politique nous offre un catalogue unique au monde de ces professionnels hors-sol qui se maintiennent dans cette bulle d'impéritie en usant tous les recours d'une constitution accommodante. Et rester dans la bulle exige des qualités de contorsion et de souplesse verbale et programmatique qui laissent peu de place aux exigences morales et à un minimum d'honnêteté intellectuelle. Rester droit dans ses bottes est irresponsable pour celui qui aspire à de très hautes responsabilités. On en revient alors immanquablement au concept populaire de base : beaucoup varier pour mieux durer.
Le Président Hollande que l'on dit en privé super-intelligent a voulu, dès sa nomination le montrer à son peuple en prenant le contre-pied de son discours de campagne, un radical basculement que sa vivacité de jugement a immédiatement adapté aux fluctuations supposées du monde. Mais hélas, il a vite oublié la maxime populaire. Face aux défaites électorales récurrentes et à la grogne généralisée, il a négligé de changer d'avis. Alors on s'interroge : serait-ce le faste élyséen, la bonne chère et les flatteries de cour qui ramollissent l'entendement en durcissant les fausses certitudes ? Le guide suprême, le maître-à-penser politique serait-il en son palais dans l'incapacité de percevoir la réalité extérieure ? Sans doute car les prédécesseurs ont eux aussi présenté les mêmes symptômes inquiétants. Le mal viendrait-il de la bâtisse trop somptueuse ou du régime présidentiel ? Duquel des deux faut-il faire table rase ?
François Fillon impressionne par sa parfaite maîtrise du processus de fluctuations contrôlées : il a eu l'habileté de présenter un programme extrémiste inapplicable, qu'il a affirmé ne pas vouloir changer d'un iota, en laissant au temps le soin de parfaire son image de grand méchant loup. Et puis, quelques institutions représentatives étant montées aux créneaux pour s'opposer à la privatisation larvée de la Sécurité Sociale, il a concédé quelques pouces de terrain qu'il s'empressera de reconquérir plus tard. Il sait très bien qu'une reculade après une reculade sera admise comme étant une avancée. L'essentiel est de bouger selon le mode va-et-vient. Bien sûr, il ne deviendra pas doux agneau mais il convaincra peut-être lors de la finale, s'il y parvient, qu'il saura redresser le pays tout en se préoccupant du sort des plus miséreux. Le loup parviendra-t-il à amadouer les naïfs moutons ?
Mais les événements ont évolué depuis l'édition de ce billet. Deux mois plus tard il s'avère que ce chantre de vertu républicaine, précariteur libéral en chef d'une droite de travers qui ne sait plus dans quelles bottes se dresser, se voit découvert dans ses turpitudes familiaro-financières par un caneton qui lui torche semaine après semaine ses puantes magouilles. Alors il devient plus difficile pour lui de faire peur, d'autant que les juges lui mordent aussi les mollets. Il fait semblant de rester ferme dans ses tongs, il veut toujours devenir le héraut du redressement français mais l'éthique le retoque aux yeux d'une grande majorité de la population et si les aberrations de la constitution et la bêtise des électeurs l'amènent malgré tout au sommet de l’État, l'Elysée deviendra le sanctuaire symbole d'une élite inutile et corrompue. Vive la république, vive la fange !
Manuel Valls lui, polichinel d'un autre type nous joue la révélation providentielle : les techniques gagnantes appliquées sous étiquette premier ministre deviendraient inopérantes en tant que président. La cohérence du propos ne saute pas aux yeux, mais l'humour inattendu de cet homme sévère est plutôt rassurant et comme l'issue de l'élection présidentielle se jouera sans doute sur des critères encore obscurs, il serait certainement habile, par ces temps de profonde morosité, de parsemer les discours d'un peu de fantaisie, de malice, voire de pitrerie ou de joyeux gros mensonges qui ont si bien réussi outre-atlantique. L'austère rigide qui fait rigoler pendant la campagne a toutes ses chances car nous savons bien qu'après, quel que soit le gagnant de la grande tombola, ce sera misère et désolation pour presque tout le monde. On attend avec gourmandise les prestations des deuxièmes couteaux qui rêvent aussi d'atteindre à la cocagne élyséenne.
Pourtant pour le quidam lambda qui tente tant bien que mal de trouver divertissante la désolante mascarade de ces volatiles caquetants sans réels repères et sans la moindre vision à long terme, pour atteindre la gamelle dorée et l'illusion d'un pouvoir qui se décide en grande partie ailleurs, le spectacle peine à faire rire. Les anesthésiés du bulbe, les indifférents ou les mal formatés, et ils sont nombreux encore à ne pas voir le cataclysme qui les rendra orphelin de liberté, de travail, de minimum vital et d'espoir, ceux là qui refusent par paresse intellectuelle, l'analyse et l'engagement même s'il consiste par dépit ou raison à ne pas choisir, seront coresponsables du désastre.
Dans ce monde politique en crise, les réactions des acteurs sont de plus en plus incohérentes. Cette désorganisation du système nous mène-t-elle vers le chaos ? Peut-on parler d'une entropie politique qui toucherait la planète toute entière, les événements extérieurs dramatiques et l'impuissance à les juguler n'incitent guère à démentir et cela fait vraiment très peur ! Alors, dans notre petit espace national, n'est-il pas temps de négliger un peu les hommes pour se consacrer aux idées, aux concepts, aux philosophies humanistes, aux utopies, et plus concrètement à des programmes de gouvernance élaborés collectivement, à transmettre et à imposer à celles et ceux à qui nous donneront le pouvoir contrôlé de les faire appliquer ? Rêvons un peu puisque cette activité est encore gratuite !
Alors cette accession au temple présumé de la pensée politique, à ce sanctuaire de la Vérité révélée par des bulletins de vote, est-elle tellement primordiale ? Après mûre réflexion, on peut se demander si à contrario du dicton populaire, ces changements de pied permanents avant d'y accéder ne font pas du palais de l’Élysée, le sanctuaire des inutiles.
La Vérité ? Savoir? Nous ne savons rien. Venus d'une mer de mystère Vers une mer inconnue nous allons, Et entre les deux mystères règne la grave énigme. Antonio Machado
PS: J'avais initialement intitulé ce billet : le sanctuaire des imbéciles, mais je concède qu'il est excessif et inexact. Force est malgré tout de constater que les 4 ou 5 derniers Présidents n'ont fait progresser notre pays, ni sur le plan social, ni sur le plan économique et même la politique internationale est contestée par beaucoup. L'éthique de gouvernement a disparu sous le poids des intérêts particuliers et du sentiment, fossoyeur de démocratie, que seul un régime autoritaire peut sortir le pays de l'ornière (ne peut-on parler ici d’imbécillité ?) ouvrant la voie à un FN aux aguets. Le rayonnement de la France dans le monde a été plombé par le choix de ses partenaires extérieurs, par sa politique de vente d'armes tous azimut et bien sûr par le niveau de corruption de ses dirigeants protégés par une justice qui fait honte.
Alors, face à ce constat dont on s'étonne qu'il ne saute pas aux yeux de chaque citoyen, n'est-on pas en droit de se demander si ce régime présidentiel est encore adapté et si cette fonction au sommet d'un État doté d'une telle constitution a une quelconque utilité ?