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Déjà les sapins s'enguirlandent, les fêtes s'annoncent galantes et raffinées, on nous invite à consommer plaisirs et nourritures de toutes natures. Les Ô combien culturelles nous seront prodiguées sur les écrans, par les réanimateurs professionnels d'euphorie et autres humoristes forcément désopilants. On salive déjà, ça va dégouliner de partout, le ruissellement promis s'annonce gargantuesque. Les nimbes de félicité, disques de lumières célestes, de béatitude et de joie embraseront la terre entière …
Je ne sais pas pour vous, mais moi j'ai un chouia d'hésitation à communier dans cette parodie d'enchantement universel. Alors il m'a pris soudainement l'envie de prendre mes ailes à mon cou, de me percher sur mon petit nuage, prendre un peu de hauteur pour tenter de comprendre ce qui cloche dans ce pharisaïsme récurrent.
Ne pensez pas un instant, braves gens, que du haut de mon petit nuage me vienne la prétention de faire l'ange, mon petit nimbus ne m'autorise pas pour autant le ton professoral, mais les apparences, n'en déplaise à Blaise, ne me condamnent pas non plus à faire la bête. J'ai juste voulu savoir si la terre tournait toujours dans le bon sens, et coup de bol !, mon nimbus, soufflé par les vents contraires qui balaient actuellement la planète m'a fait survoler gratuitement une bonne partie des contrées terrestres. Bien sûr, c'est un peu bas pour avoir une vision globale de la problématique planétaire mais je n'ai pas les moyens financiers d'un ministère, ne fut-il pas le premier. Dans un vaisseau spatial, il m'eut été loisible, sans gravitation, mais avec gravité car l'enjeu est crucial pour l'humanité, d'observer l'entièreté de notre planète … Il n'empêche, le premier coup d’œil circulaire m'a inconforté dans un pressentiment ras-du-sol assez pessimiste : la nature aurait-elle anticipé la prévision des scientifiques qui nous annoncent une inversion des pôles magnétiques, culbutant les boussoles de ceux qui sont censés nous conduire vers du radieux, nous faisant parfois douter que « l'avenir est devant nous ».
Il suffit de lever les yeux vers l'infini du cosmos, pour avoir conscience que nous sommes seuls, que même l’échappatoire vers un Mars dénué d'eau nous est interdit.
Pourtant il est notoire que la terre n'est pas un système fermé puisqu'elle puise son énergie du soleil et en rayonne une partie dans l'espace. Ils sont quelques-uns, des économistes se croyant éclairés, qui professent donc que même si les ressources propres de la terre se raréfient, il n'est nullement prouvé que la création d'entropie soit inéluctable, entraînant la disparition de l'humanité . Est-ce cette option super-optimiste qui encline les grands décideurs libéraux de la planète à poursuivre dans une croissance illimité, niant l’irréversibilité de l'état du monde ? C'est aussi cette vision, sans doute qui les rend totalement indifférents à l’insupportable (pour nous) croissance des inégalités. Ils sont pétris de cette certitude néolibérale que cette énergie inépuisable venue de l'espace, combinée au ruissellement théorisé par une école reconnue pourtant obsolète mais soutenue mordicus par tous les richissimes qui renâclent malgré tout à faire sourdre un tant soit peu de leur pactole, assurera longue et heureuse vie à l'humanité toute entière. Mais chaque chose en son temps : pour faire ruisseler, il faut d'abord enrichir les sources. Les grands de la planète s'y emploient activement, qui pensent aussi que la captation des énergies extérieures et la modération des multiples gabegies inutiles ne sont pas encore prioritaires ; au diable l'écologie globale qui entrave l'accumulation des richesses individuelles !
Après le TINA, le WAIT-AND-SEE (en français attend-et-ferme-la) et qu'importe la misère, ne regardons pas tous ceux qui, en Éthiopie, au Yémen et ailleurs, pour ne pas mourir en viennent à sucer les cailloux, mais qui crèvent quand même dans l'indifférence de ceux qui s'empiffrent et qui avec jouissance contemplent leur magot. A quoi bon protester, s'indigner dans le vide, de toutes ces souffrances. Les peuples doivent accepter au nom d'un avenir meilleurs, cet inventaire à la Prévert des turpitudes du moment : destruction d'emplois, corruption, discrimination, misère des banlieues, évasion fiscale, césarisme, guerres et conflits … Nous devons les croire puisque nous les avons élus : de leur part, c'est d'ailleurs faire preuve de « courage » que d'imposer une austérité qu'ils pensent prometteuse pour le prestige futur de notre pays, prestige qui justifie « en même temps » pour le confort et le standing de nos glorieux représentants, de disposer sans compter de l'argent des citoyens contribuables. Il nous faut donc célébrer ces politignomes qui assument courageusement l'ordo-libéralisme européen et la paupérisation du plus grand nombre, mais croyez bien qu'ils en souffrent. La grandeur des nations ferait-elle le bonheur des peuples ?
De mon petit nimbus, je la contemple encore cette planète qu'on dit bleue. De loin elle est vraiment belle mais je crois que ses éphémères passagers commencent à avoir froid.
Mais où sont les neiges d'antan ?
Je m'ennuie un peu là haut sur mon petit nimbus, je ne vais pas gastronomer tout seul de vent et de nostalgie, et lors de son prochain passage au dessus de chez moi, je redescendrai fissa car ici bas, tout en bas, il y a encore des gens que j'aime et puis les nourritures, qu'elles soient célestes ou terrestres sont encore meilleures quand on les partage.