Le 21 janvier, François Hollande qui avait fait de l’éducation la priorité de son quinquennat, avait présenté les grandes lignes d’un plan de « mobilisation de l’école pour les valeurs de la République » et avait enjoint la ministre Najat Vallaud Belkacem de consulter les acteurs potentiels et d'en préparer la mise en œuvre.
De l'excellent article de LUCIE DELAPORTE :
l'extrait :
Comme le rappelle le Conseil national d’évaluation du système scolaire dans une note publiée ce 22 janvier, « plus les écoles sont ségréguées socialement et ethniquement, plus les problèmes de santé des jeunes, leur consommation de stupéfiants, les incivilités, les maternités précoces, l’intolérance vis-à-vis de l’étranger ou plus généralement de l’altérité, la difficulté à dialoguer et à travailler avec des jeunes de milieux sociaux et culturels différents… progressent. Les écoles ghettos créent de plus des dynamiques d’apprentissage négatives qu’éclairent aujourd’hui les statistiques scolaires ».
Montre à quel point est crucial le problème de ghettoïsation qui pourtant n'est guère pris en compte par diverses académies, notamment celle de Grenoble, comme en témoigne cette « Lettre des représentants du personnel » du Lycée R. Deschaux de Sassenage à Madame la Ministre :
Les représentants des personnels
Du Lycée R. Deschaux
5 rue des Pies
38360 SASSENAGE
A Madame la Ministre de l’Education Nationale
110 Rue de Grenelle
75357 PARIS SP 07
Non à la ghettoïsation du lycée du bâtiment de Sassenage
Madame la ministre,
A l’heure où le peuple français, agressé, se lève, marche, exprime sa cohésion autour des valeurs de démocratie et de laïcité, et se questionne sur la place de l’éducation, de l’école pour favoriser l’intégration de ces valeurs par l’ensemble de notre jeunesse.
Alors même qu’une circulaire relative à l'amélioration de la mixité sociale au sein des établissements publics du second degré (circulaire n° 2014-181 du 7-1-2015) est publiée au B.O. du 8 janvier 2015,
nous tenons à vous informer de la décision, prise par le rectorat de Grenoble, de créer ce qui nous apparait comme une ghettoïsation de notre établissement scolaire, et ce dès la rentrée 2015.
En effet, le lycée polyvalent Roger Deschaux de Sassenage (banlieue de Grenoble),labellisé « lycée des métiers », proposait depuis de nombreuses années des formations dans le secteur du bâtiment, allant de la 3ème professionnelle (sous ses diverses dénominations) au bac professionnel, bac technologique et BTS.
Nous avions donc au sein du lycée, 2 types différents de population : d’une part, des lycéens ayant choisi leur orientation, issue de familles à CSP intermédiaires, venant de toute l’académie, internes pour la majorité. Et au lycée professionnel, des jeunes de CSP défavorisées , voire très défavorisées, quasi exclusivement masculins, venant dans certaines filières davantage par obligation scolaire que par choix d’orientation. En filière CAP, les cas de jeunes en situation précaire (prise en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance, sans logement, sans papier, réfugiés, orphelins, …) se sont fortement accrus.
Ces dernières années, les modifications de la voie professionnelle (suppression des classes à finalité BEP, classes à 30 élèves, bac pro en 3 ans), puis de la voie technologique (suppression des filières génie civil et énergétique, création des filières généralistes STI) ont vu nos effectifs du lycée technique fondre (10 classes il y a 6 ans, 2 cette année ), avec, en parallèle, des classes de lycée professionnel de plus en plus difficiles à gérer et des élèves qui ne peuvent pas bénéficier de conditions d’apprentissage correctes afin de devenir des citoyens responsables.
Alors même que la population locale s’accroit, alors même que le lycée général proche de nous (lycée Bergès de Seyssinet) a des difficultés face à son nombre croissant de classes, le rectorat n’a pas envisagé de sectoriser notre recrutement pour le lycée technologique, de créer des filières S option SI (Sciences Industrielles), ni de maintenir les formations existantes.
Et tout cela alors même que le Conseil régional investit 26 millions d’euros dans de nouveaux ateliers, et prochainement 4 millions d’euros dans la rénovation d’un bâtiment ! et a financé, l’an passé, pour plus de 29000€ de matériel pour la section STI2D ! Et que dire de l’internat de 284 lits, désormais sous utilisé ! C’est dans ce contexte que le Rectorat de Grenoble (et notre hiérarchie) envisage donc de supprimer le lycée technologique, qui accueille des élèves ayant un tout autre profil que ceux du LP, qui permettait de favoriser une mixité sociale, culturelle, sexuée. (25% de jeunes filles au lycée technique cette année).
Notre lycée « polyvalent » se transformera donc en gros lycée professionnel, … avec 4 sections de BTS, … dont on peut craindre que d’ici peu d’années, elles ne se vident, si le climat global au sein du lycée s’aggrave.
Dans ces conditions, comment est-il possible d’envisager la transmission des valeurs républicaines et éduquer à l’esprit critique, afin que chaque élève puisse devenir un citoyen libre et responsable ?
Les décisions du rectorat de Grenoble semblent guidées par une logique financière à court terme (quel coût social, à long terme ?), en contradiction avec les investissements opérés par la Région Rhône Alpes, en contradiction avec les besoins de la population locale (dont le plateau du Vercors), mais surtout en contradiction avec les objectifs d’intégration et de mixité sociale que vous préconisez.
Favoriser le « vivre ensemble » consiste t il à transformer un lycée « polyvalent » en gros lycée professionnel qui regroupe massivement des jeunes venus de quartiers difficiles (quartiers sensibles de Grenoble -Villeneuve, Echirolles, Fontaine) ?
Nous espérons, en conséquence, que vous saurez vous saisir de ce dossier, et intervenir auprès des services rectoraux, afin de permettre à notre établissement scolaire de jouer pleinement son rôle éducatif auprès des jeunes qui sont confiés à l’école de la République. Par exemple en maintenant la filière STI, en sectorisant notre recrutement, en proposant une filière S option SI.
Nous prenons la responsabilité de vous écrire ce courrier, car, en tant que citoyens et éducateurs nous espérons que, dans le contexte actuel, vous saurez, en tant que responsable politique, agir, au-delà des discours sur l’importance de la mixité sociale au sein des établissements scolaires,
Veuillez agréer, Madame la Ministre, nos salutations respectueuses
Souhaitons que ces missives soient lues et comprises par les pouvoirs publics et que les mises en œuvre indispensables nous persuadent que les paroles ne sont pas que des vains mots.