Ce sont des images qui ont circulé sur les réseaux sociaux qui sont à l’origine de cette note de blog. On y voit Emmanuel Macron, actuel président de la République interpellé par un militant du mouvement écologiste Dernière Rénovation. Ce qui m’a frappé la première fois que j’ai vu ces images, c’est que si l’on entend distinctement le militant, le président, quant à lui, est quasiment inaudible. Cette séquence en rappelle d’autres. Celles d’Olivier Dussopt, actuel ministre du travail, frappé en plein milieu des débats sur la réforme des retraites d’une laryngite se traduisant par une extinction de voix. Dans un cas comme dans l’autre, ceux qui sont censés diriger la politique de la Nation sont totalement inaudibles. Le symbole est fort et on constatera une adéquation parfaite entre le sens propre et le sens figuré. Durant ces dernières semaines, le président comme les membres de son gouvernement sont devenus parfaitement inaudibles, que ce soit sur la réforme des retraites ou sur l’action contre le changement climatique. Ils peuvent dire ce qu’ils veulent, ça n’imprime pas dans l’opinion. Comment en est-on arrivé là ?
De l’art de l’antiphrase et de la palinodie
Si le président et les membres du gouvernement ne sont pas audibles c’est qu’ils se sont appliqués de manière aussi méticuleuse qu’incompréhensible à saper méthodiquement les fondements de leur propre parole. Et cela par deux figures de style ou procédés rhétoriques que l’on trouve habituellement dans les textes à tonalité comique.
Antiphrase, tout d’abord. Soit une figure de style caractéristique de l’ironie qui consiste à dire l’inverse de ce que l’on sait ou pense être vrai. On connaît les arguments du gouvernement pour défendre sa réforme des retraites. Elle serait juste et nécessaire. Ou plutôt juste, puis nécessaire. Le problème, c’est que les oppositions à cette réforme n’ont pas eu grand mal à montrer que sur ces deux points le gouvernement ne disait pas la vérité et que la réforme, contrairement à ce qui était dit, n’était ni juste – affectant plus que d’autres les femmes et les catégories de travailleurs pauvres – ni nécessaire – le COR ayant affirmé que les dépenses des retraites n’allaient pas augmenter dans les années à venir.
On pourrait m’objecter que le principe de l’antiphrase est d’être perçue comme telle et qu’elle se distingue en cela du mensonge qui est une dissimulation volontaire de la réalité. On pourrait effectivement se poser la question pour les notions de justice et de nécessité. En utilisant ces éléments de langage le gouvernement a-t-il cru qu’on le croirait ? C’est possible, habitué qu’il est à ce que des médias pour le moins complaisants reprennent sa communication sans aucune distance. Mais il faut toujours appréhender une attitude langagière dans une perspective globale. Lorsqu’Olivier Dussopt affirme dans le Parisien que la réforme qu’il défend est une réforme de gauche, il ne peut pas croire un seul instant que quelqu’un puisse considérer qu’il dise la vérité. Il s’agit donc bien dans ce cas précis d’une antiphrase caractérisée.
Le deuxième procédé rhétorique utilisé à son corps défendant par le gouvernement est celui de la palinodie. La palinodie consiste à infirmer ce que l’on vient de dire par une déclaration qui affirme le contraire. Il ne s’agit donc plus d’une dissonance, comme pour l’antiphrase, entre le discours et le réel mais d’une remise en cause de la cohérence interne du discours. Ainsi a-t-on eu le droit à toutes les explications pour justifier la réforme des retraites. Il s’agissait d’abord de financer les plans pour l’hôpital et pour l’école, il s’est agi ensuite d’assurer l’équilibre des comptes des caisses de retraite et uniquement cela. Que le gouvernement se contredise de cette manière a joué évidemment sur la perception de la réforme par l’opinion publique. Si l’explication changeait ainsi au gré du vent, c’est que les justifications avancées étaient en réalité là pour en masquer d’autres qu’on ne pouvait pas dire à voix haute.
Ces explications, les opposants à la réforme ne se sont pas privés de les rappeler. La réforme des retraites est un gage donné aux marchés financiers, elle permet de faire des économies de façon à continuer les baisses de charges sur les entreprises, elle fragilise la retraite par répartition au profit d’une retraite par capitalisation et enfin elle agit sur le marché du travail de façon à faire baisser les salaires.
Autre palinodie plus remarquée encore, que même les médias dominants généralement favorables au pouvoir n’ont pas pu faire semblant de ne pas constater, c’est celle portant sur la revalorisation des petites retraites à 1200 euros. Le nombre de bénéficiaires a fondu comme neige au soleil au fur et à mesure que le temps passait et le ministre du travail et les autres membres du gouvernement ont été obligés de se dédire à plusieurs reprises.
Nous avons vu quelle pouvait être l’utilisation d’une antiphrase comme figure de style, pour ce qui est de la palinodie, elle peut être de deux ordres. Il peut s’agir d’un simple jeu de l’esprit, d’une simple démonstration d’habileté rhétorique qui n’engage à rien parce que ce dont on parle ne comporte pas de véritable enjeu. Ou ce peut être un procédé utilisé au théâtre de façon à démontrer la duplicité d’un personnage. Dans ce cas est essentielle la question du destinataire ou de l’interlocuteur. Il s’agit en effet face à deux interlocuteurs différents de donner à entendre à chacun d’eux ce qu’il veut entendre.
Dans le cas qui nous intéresse, la question du destinataire est évidemment fondamentale. Mais le problème de la Macronie, à commencer par son chef, est qu’il s’agit en matière argumentative d’une stratégie ou plutôt d’une absence de stratégie qui ne tient absolument pas compte de la temporalité. Constatant qu’un argument ne fonctionne pas, le partisan de la réforme va essayer un autre argument, sans avoir conscience qu’un argument contredisant celui qui vient d’être avancé ne peut pas être efficace. Pour une raison très simple qui constitue la base des règles de l’argumentation : les arguments n’existent pas par eux-mêmes mais s’insèrent au sein d’un discours argumentatif développé par un orateur. Développer une argumentation est donc une opération un peu plus complexe que de balancer 140 signes sur Twitter. Ce que la plupart des membres du gouvernement semblent avoir oublié. La conséquence d’une telle désinvolture est sans appel : les membres du gouvernement ont été perçus, au mieux comme des incompétents, au pire comme des menteurs, à moins que ce ne soit l’inverse. On se relève difficilement d’un tel soupçon.
On ne se paiera plus de mots
Ceux qui ont défendu une réforme sur la base d’arguments que l’on doit bien considérer comme étant de mauvaise foi n’ont pas d’autre solution que d’ajouter encore à la défiance que l’on peut avoir à leur égard. L’alternative qui se présente à eux s’exprime sous la forme d’un dilemme où le choix s’exerce entre deux mauvaises solutions : soit vous reconnaissez que vous avez tort – c’est ce qu’ a fait à demi-mot Frank Riester en reconnaissant que les femmes seraient pénalisées par cette réforme – et à ce moment-là vous devez vous attendre au triomphalisme de vos adversaires qui s’empareront de votre déclaration pour prouver qu’ils avaient raison ; soit vous persistez dans vos déclarations quitte à prétendre, lorsque vous ne pouvez vraiment pas faire autrement, que vous n’aviez en réalité pas dit ce que tout le monde avait compris et qu’on n’avait pas bien saisi la subtilité de vos déclarations, mais à ce moment-là vous risquez de vous trouver confrontés à la réalité des faits qui, comme chacun sait, sont têtus.
Quelle que soit la stratégie adoptée, elle contribue donc à dévaluer la parole de ceux qui s’expriment. Car c’est bien de la valeur de la parole d’Emmanuel Macron et des membres de son gouvernement dont il s’agit. Le président a beau jeu de rappeler qu’il a été élu sur la promesse d’une réforme des retraites et que cette promesse l’engage. Il avait également promis de reprendre sans filtre les propositions de la Convention citoyenne sur le climat comme le lui a rappelé le militant écologiste qui l’a interpellé au salon de l’agriculture. On sait ce qu’il en est advenu. La parole du gouvernement, celle du président, sont donc dévaluées comme une monnaie qui perdrait de sa valeur.
C’est ainsi qu’il faut comprendre l’étrange sortie d’Olivier Véran sur les conséquences apocalyptiques de la grève. Lorsqu’une parole est dévaluée, elle n’est plus entendue, lorsqu’elle n’est plus entendue, il est nécessaire de hausser le ton, c’est-à-dire de pratiquer une forme d’inflation verbale. Ce que s’applique à faire Olivier Véran, de façon symbolique bien sûr en utilisant l’hyperbole, parce qu’Olivier Véran est un garçon bien élevé et qu’il ne crie pas comme François Ruffin. Mais en faisant cela – et c’est ici le professeur qui s’exprime et qui l’a expérimenté à ses dépens au début de sa carrière – quand vous haussez le ton, vous courez le risque d’être ridicule et par conséquent de dévaloriser encore davantage votre propre parole.
En réalité, nous n’en sommes même plus à ce stade. Ce n’est pas seulement que la parole présidentielle et gouvernementale ait été dévaluée, c’est qu’elle n’a plus aucune valeur. Cette parole, c’est le Mark est-allemand en 1991. Une monnaie qui n’a plus cours, qui ne vaut rien et que seuls quelques naïfs n’ayant pas suivi l’actualité depuis plusieurs années peuvent prendre pour argent comptant. Et les Français le font savoir au gouvernement, ils ne se paieront plus de mots.
Mauvais joueurs
À ce stade-là, obligés de reconnaître que leur parole est devenue inaudible, qu’ils ne parviennent plus à convaincre ni même à persuader qui que ce soit, le président et le gouvernement devraient reculer, quitte à revenir à leur projet en un autre temps par une autre voie. Pourtant il n’en est rien. Pourquoi cette obstination ?
Un indice nous est sans doute fourni par un des nombreux échanges à l’Assemblée Nationale. Lors d’une intervention du député LR Aurélien Pradié, le ministre Olivier Dussopt s’est fait reprendre par ce dernier. Il faisait des mots croisés! Il est des moments où le réel offre davantage de métaphores qu’un poème symboliste. Des mots croisés ! C’était donc cela les réponses d’Olivier Dussopt aux parlementaires qui lui demandaient des explications sur sa réforme ! Des mots placés dans une grille préconçue selon une logique purement formelle. Ce n’était à tout prendre qu’un passe-temps.
Et c’est bien de cela qu’il s’agissait, puisqu’en vertu de l’article 47.1, il était juste question pour Olivier Dussopt, pour Elisabeth Borne et pour les autres ministres censés défendre cette réforme dont personne ne veut, d’attendre que le temps passe, d’espérer comme de mauvais élèves que la cloche sonne. Pas besoin dès lors de se décarcasser pour essayer de convaincre qui que ce soit. C’est ce que révèle cette incroyable phrase d’Olivier Dussopt au député Jerôme Guedj lui demandant d’où venait le chiffre des bénéficiaires de la revalorisation à 1200 euros : « Je n’ai pas de compte à vous rendre. »
On a beaucoup critiqué l’attitude des députés de la France Insoumise qui auraient fait obstruction au débat parlementaire. Certes, leur attitude triomphaliste au terme des débats semblait assez surréaliste. Mais en réalité, il n’y avait face aux membres du gouvernement pas de bonne solution. On ne débat pas avec quelqu’un qui ne veut pas débattre. Elisabeth Borne l’a bien fait savoir, sa réforme n’est pas négociable. Dès lors que faire ? Face à un joueur qui utilise toutes les ressources à sa disposition, y compris la mauvaise foi et le détournement des règles pour être sûr de gagner à tous les coups, vaut-il mieux jouer le même jeu en utilisant ces mêmes règles pour l’empêcher de gagner ou le laisser gagner pour mieux dénoncer sa mauvaise foi ? Il n’y a malheureusement à cette question pas de réponse satisfaisante.
Mauvais joueurs les membres du gouvernement ? Le problème, c’est que ce dont on parle n’est pas un jeu. Ce qui est en jeu, justement, c’est la vie, et parfois la mort, de millions de Français. C’est ce qu’a cru bon de rappeler le député France Insoumise Aurélien Saintoul en traitant Olivier Dussopt d’assassin lors des débats à l’Assemblée. On pourra juger l’appellation violente, comme on pourra juger violente la photo de cet autre député France Insoumise Thomas Portes, posant avec la tête d’Olivier Dussopt représentée sur un ballon. Mais il ne s’agit à chaque fois que de violences symboliques. L’expression employée par Dussopt lui-même, « Vous voulez ma tête ? » suggère d’ailleurs cela puisque derrière l’image révolutionnaire de la guillotine, à prendre au sens propre, apparaît surtout le sens métonymique et imagé de « démission ».
Pourtant, ce dont parlait Aurélien Saintoul, ce n’étaient pas de morts symboliques, mais bien de morts réels, morts au travail provoqués par la politique d’Emmanuel Macron. Aurélien Saintoul s’est excusé et pourtant il ne disait pas autre chose qu’Edouard Louis dans son livre Qui a tué mon père ? Les responsables des morts liées au travail en particulier dans les catégories populaires à qui sont confiés les métiers dangereux, ces responsables ont des visages, ils ont des noms. Olivier Dussopt est un des ces noms.
« Je ne suis pas venu pour débattre »
Car il s’agit bien de questions de vie et de mort. C’est également ce qu’a rappelé sur un autre sujet le militant qui a interpellé Emmanuel Macron au salon de l’agriculture. Ce militant a été clair. « Je ne suis pas venu pour débattre. » a-t-il affirmé à son interlocuteur présidentiel qui commençait à vouloir lui répondre. Pas la peine d’ailleurs d’entendre le président pour savoir ce qu’il allait dire. Chacun reconstituera à sa guise un discours semblable à un disque rayé prononcé sur un ton horripilant de Schtroumpf à lunettes. Et de fait, ce militant a raison. Il n’est plus temps de débattre, d’ailleurs le débat a déjà eu lieu – c’était, on s’en souvient, la fameuse convention citoyenne sur le climat – et il a été tranché selon des règles du jeu qui avaient été énoncées par Emmanuel Macron lui-même. Règles qu’il n’a évidemment pas respectées.
Ce qui ne l’a pas empêché, voyant qu’il ne parvenait pas à développer son habituelle logorrhée, de déclarer à son interlocuteur qu’il n’était « pas respectueux ». De fait, sur le plan purement formel, le président avait raison, le militant étant venu avec un tee-shirt sur lequel était écrit « à quoi tu sers ? » On notera l’absence d’inversion du sujet dans une phrase interrogative, marque d’une tournure orale familière, ainsi que le tutoiement peu adapté au prestige de la fonction présidentielle.
Mais la familiarité de la forme ne doit pas cacher le sens profond de la question. Il s’agit en l’occurrence d’une question rhétorique dont la réponse attendue est « à rien. » Plus fondamentalement, elle interroge la fonction qui est celle d’Emmanuel Macron. Selon les règles de la cinquième République, le Président est l’émanation du pouvoir exécutif, le pouvoir législatif étant dévolu au parlement. Or, depuis le début de cette mandature, alors que le groupe Renaissance ne dispose que d’une majorité relative à l’Assemblée Nationale, le Président utilise, par l’intermédiaire de sa première ministre, tous les stratagèmes, toutes les ruses possibles, pour garder le contrôle sur le législatif brouillant ainsi volontairement la règle de base de la démocratie reposant sur la séparation des pouvoirs.
Parce qu’il faut bien le constater, ce Président ne respecte rien. Il ne respecte pas le parlement, il ne respecte pas les corps intermédiaires, il ne respecte pas ses concitoyens, il ne respecte pas le débat démocratique, il ne respecte même pas sa propre parole. Comment peut-il attendre dans ces conditions qu’on soit respectueux à son égard ? Comment peut-il prétendre qu’on l’écoute alors qu’il n’écoute personne ?