Il est légitime que le nom d’un pays ne lui soit pas imposé de l’extérieur, d’autant plus quand le nom en question est injurieux. Aux USA et à l'ONU, on n’appellera donc plus la Turquie « Dinde ». Il faudra aux anglophones quelques efforts pour le prononcer, sinon à la turque, en tout cas sans revenir à l’équivalent de Turkey, ce qui donnera probablement quelque chose comme « tourki » ou « tourkeï » ».
Même si la Turquie n’est d’ailleurs pas, de son côté, un exemple de respect des autres langues, dénominations ou groupes linguistiques : les Kurdes en font notamment les frais... Mais ce n’est pas une raison pour en faire autant. La Turquie est souvent citée comme un des rares État dont la politique linguistique est du même genre que celle de la France : monolingue, despotique, discriminatoire, à un degré d’intensité beaucoup plus sévère qu’en France.
A ce propos et en ce qui concerne les noms des entités territoriales, on remarquera que si les États-Unis, et probablement bien d’autres à leur suite à l’ONU ou ailleurs, ont décidé de respecter le nom de la Türkiye, les choses restent différentes en France. Non pas à propos d’un autre pays mais au sein même de son territoire actuel.
En France, la région administrative « Provence-Côte d’azur-Corse », créée en 1960, est devenue « Provence-Alpes-Côte d’Azur » en 1970. Trop vite, et massivement à partir des années 2000, ce nom trop long a été remplacé dans de nombreux usages par un acronyme : PACA. Pour beaucoup de Provençaux et de Provençales, ce sigle est une injure.
D’abord parce qu’il signifie « plouc » dans la langue propre de la Provence, le provençal. On pourrait objecter que les gens qui comprennent le provençal sont devenus minoritaires en Provence : probablement moins de 20% de la population actuelle, en grande partie récemment venue d’ailleurs. Mais le respect ne doit pas être conditionné par un pourcentage. Et il se trouve que des mots dérivés de la racine provençale "pac-" sont passés en français local où ils sont bien connus et fréquemment employés : une « pacoule » c’est un « village isolé au fin fond de la campagne » et son habitant s’appelle un « pacoulin », c’est-à-dire... un plouc.
Ensuite parce qu’il efface le nom millénaire d’une entité historique à forte identité, la Provence. Elle constitue les 2/3 de la région administrative, avec à ses côtés le pays niçois (réduit au slogan touristique de « Côte d’Azur ») qui fut détaché de la Provence en 1388 et le sud-est du Dauphiné qui fut longtemps rattaché à la Provence à de multiples titres. Cet effacement s’inscrit d’ailleurs dans le droit fil de l’assimilationnisme français, qui a supprimé en 1790 les anciens États et provinces à statuts divers incorporés bon gré mal gré à la France, en les remplaçant par des départements. Les noms de ces départements ont été choisis pour effacer les noms des entités historiques, à partir de fleuves, de montagnes, ou autres particularités géographiques physiques. Cela a fonctionné puisqu’aujourd’hui, quand on mentionne une commune de France, on précise toujours son département et presque jamais sa région, et encore moins sa région historique.
Face à ces usages injurieux, à tout va, du mot PACA, de nombreuses associations culturelles provençales se sont mobilisées. Le conseil régional concerné a d’abord interdit l’usage de l’acronyme à ses services et personnels. En 2009, il a essayé d’obtenir un changement de nom, en vain. C’était pourtant facile : il suffit à minima de changer l’ordre des mots pour empêcher l’acronyme, faute d’aller plus loin et d’opter pour des propositions comme « Pays de Provence », « Provence-Alpes-Pays Niçois », etc., voire le nom authentique en provençal "Prouvènço" ou "Païs de Prouvènço". Depuis 2017, le conseil régional a décidé de son propre chef et sans demander l’assentiment du Conseil d’État de s’appeler Région Sud, avec le nom officiel en sous-titre. Ça ne résout pas l’effacement du nom de la Provence mais ça empêche au moins l’injurieux PACA. Depuis 2019, les plaques d’immatriculation des véhicules doivent porter le nouveau nom complet de la Région et non PACA.
Il y a donc bien une demande pour l’arrêt de l’usage de « PACA ». Mais à quand une décision des autorités françaises, concernant ses institutions, ses administrations, ses personnels, les médias via le CSA devenu ARCOM, avec d’éventuels effets d’entrainement plus vastes ?
On ne traitera peut-être plus les Turcs et Turques de « dinde » à l’ONU mais on risque de continuer longtemps à traiter les Provençaux et les Provençales de « plouc » en France, sans même s'en rendre compte, alors que ce serait si facile de l'éviter.