Philippe Blanchet (avatar)

Philippe Blanchet

Professeur de sociolinguistique, département Communication et Centre d'Études des Langues, Territoires et Identités Culturelles, université Rennes 2. Membre de la Ligue des Droits de l'Homme.

Abonné·e de Mediapart

38 Billets

1 Éditions

Billet de blog 10 avril 2014

Philippe Blanchet (avatar)

Philippe Blanchet

Professeur de sociolinguistique, département Communication et Centre d'Études des Langues, Territoires et Identités Culturelles, université Rennes 2. Membre de la Ligue des Droits de l'Homme.

Abonné·e de Mediapart

Front National, République, Démocratie et Droits de l'Homme

Philippe Blanchet (avatar)

Philippe Blanchet

Professeur de sociolinguistique, département Communication et Centre d'Études des Langues, Territoires et Identités Culturelles, université Rennes 2. Membre de la Ligue des Droits de l'Homme.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le nouveau maire FN de Hénin-Beaumont vient d'expulser la section locale de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH) des locaux dans lesquels la municipalité précédente l'hébergeait. Il "justifie" sa décision par le fait que cette association fait de la politique, a des a priori contre lui et s'est prononcée contre son élection, ce qu'elle n'aurait pas dû faire selon lui.

Oui bien sûr la LDH a, non pas des a priori, mais des convictions sur des valeurs fondamentales: conformément à ses statuts, elle intervient dans la société pour y faire respecter les Droits de l'Homme et lutter contre toutes les discriminations. Et il est clair que le FN a une idéologie, un programme, des discours et des actions contraires aux Droits de l'Homme, qui appellent à des discriminations contre des humains notamment en fonction de leur nationalité, de leur culture, de leur langue ou de leur religion. Pour le FN, les humains ne naissent pas et ne doivent pas rester libres et égaux entre eux; pour le FN certains sont supérieurs et d'autres doivent se soumettre ou être exclus. Sa condamnation des positions de la LDH en est une confirmation supplémentaire.

Le FN en appelle à la démocratie pour justifier son droit à ses idées, ses discours et, désormais, ses actes. Mais la démocratie ne peut pas être utilisée pour mener une politique qui s'y oppose, tout comme les Droits de l'Homme ne preuvent pas être invoqués pour justifier des actes et des discours qui portent atteintes aux Droits de l'Homme: c'est d'ailleurs prévu dans la plupart des grands textes des Droits de l'Homme. Et la démocratie basique et sans limite ne confère aucune légitimité: la légitimité doit s'appuyer sur une éthique et la démocratie doit être encadrée par des valeurs à respecter, les seules qui tendent vers un vivre ensemble respectueux de chacun. C'est démocratiquement qu'Hitler et Mussolini, entre autres monstres inhumains, sont arrivés au pouvoir et ont pu mener leurs politiques. C'est bien pour ça qu'il y a un préambule à la constitution française: la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. C'est bien pour ça que beaucoup d'Etats s'engagent, en ratifiant des textes juridiques internationaux ayant force de loi, à respecter les Droits de l'Homme. C'est bien sûr le cas de la France, par de nombreux textes qu'hélas elle ne respecte pas toujours.

Par conséquent, il est légitime de combattre le FN au nom des Droits de l'Homme, non seulement sur la base des valeurs des Droits de l'Homme, mais aussi sur celle, juridique, des Droits que le FN bafoue ou appelle à bafouer, ce qui le place de ce point de vue dans une illégalité. On a tout lieu de penser, en ce sens, que le FN aurait dû et pu être interdit. Tout comme des comportements et discours (par exemple xénophobes) sont interdits et punis par la loi française. Mais les grands partis l'ont laissé grandir plutôt que de l'empêcher de nuire, chacun pensant que le FN allait prendre des voix à l'autre et que, notamment aux détours de triangulaires, cela lui permettrait de l'emporter. Basse stratégie politicienne d'accès au pouvoir et non noble action politique de construction et de préservation d'un monde humaniste. Et ça a marché. Maintenant que le FN a attiré à lui tant de suffrages, il est trop tard pour l'interdire, ce qui ne signifie pas qu'il ait acquis la moindre légitimité, sur le plan éthique. Après l'avoir considéré comme légal pendant tant d'années, ceux qui l'interdiraient seraient suspects de le faire à des fins de stratégies politiciennes. Et certains ont beau jeu de constituer un "Front Républicain", qui n'est qu'un pis aller devenu hélas nécessaire. Ce Front Républicain est d'ailleurs mal nommé car ce n'est pas une question de république mais d'humanisme: cela rajoute dans le débat une confusion dont le FN et ses idées profitent. Que ceux qui appellent au Front Républicain après avoir laissé le FN prospérer prennent leurs responsabilités devant les Droits de l'Homme et le fassent interdire, dans ce cas! Et que les tenants du "ni ni" soient jugés comme complices...

Mais ce serait dans un autre monde, humaniste et solidaire. Nous vivons hélas dans un monde dominé par l'inhumanité, l'égoïsme et les discriminations. Il le devient d'ailleurs de plus en plus: ce dont le vote FN témoigne et avec lui la "droitisation" de la société. Au point qu'un maire FN peut sans vergogne expulser les gardiens des Droits de l'Homme de sa mairie.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.