Philippe Blanchet (avatar)

Philippe Blanchet

Professeur de sociolinguistique, département Communication et Centre d'Études des Langues, Territoires et Identités Culturelles, université Rennes 2. Membre de la Ligue des Droits de l'Homme.

Abonné·e de Mediapart

38 Billets

1 Éditions

Billet de blog 21 décembre 2022

Philippe Blanchet (avatar)

Philippe Blanchet

Professeur de sociolinguistique, département Communication et Centre d'Études des Langues, Territoires et Identités Culturelles, université Rennes 2. Membre de la Ligue des Droits de l'Homme.

Abonné·e de Mediapart

Une pétition pour les littératures en langues de France dans les programmes scolaires

Une pétition signée par des personnalités importantes du monde de la culture et de l’éducation, artistes, écrivains, historiens, universitaires, par des présidentes de Régions, députés, anciens ministres, etc. demande au ministre de l’éducation nationale l’intégration dans les programmes, en traduction française, du patrimoine littéraire écrit en langues de France, dont un prix Nobel.

Philippe Blanchet (avatar)

Philippe Blanchet

Professeur de sociolinguistique, département Communication et Centre d'Études des Langues, Territoires et Identités Culturelles, université Rennes 2. Membre de la Ligue des Droits de l'Homme.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le patrimoine littéraire français ne se limite pas aux productions écrites en langue française. Depuis des siècles, la création poétique, narrative, théâtrale, argumentative en langues dites « régionales » est abondante et éminemment digne d’intérêt. Or, comme ce fut longtemps le cas de la littérature féminine, tout cet archipel de créations écrites est aujourd’hui largement ignoré par les programmes scolaires et donc par la majeure partie des Françaises et des Français. Afin de mettre un terme à cette méconnaissance et à cette injustice, la pétition demande que ces programmes soient revus et qu'ils intègrent officiellement l’enseignement d’œuvres créées par des autrices et auteurs qui, pour être ancrés dans leur culture « régionale », n’en ont pas moins une portée universelle. La Constitution affirme que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France et le Parlement a voté en mai 2021 une "loi relative à la protection patrimoniale et à la promotion des langues régionales", dite loi Molac, qui prévoit un enseignement généralisé de ces langues et donc des œuvres qu’elles ont permis de créer.

La France s’enorgueillit de posséder une littérature mondialement reconnue, récompensée cette année encore par un prix Nobel, attribué à une femme. Elle se bat sur la scène internationale pour que la langue française et sa littérature soient diffusées et appréciées. Elle offre à tous les élèves un enseignement qui accorde une place ambitieuse et méritée aux œuvres littéraires, françaises ou étrangères. Et pourtant, dans ce pays tellement attaché à la culture et aux droits de l’Homme, la plupart de la population ignore qu’il existe des milliers d’œuvres littéraires écrites en France par des centaines d’auteurs, dans d’autres langues que le français. Si on ne le sait pas, c’est parce que le système éducatif ne l'a jamais enseigné. Héritier d’une tradition de mépris remontant à l'Ancien Régime puis institutionnalisé depuis la Révolution, ce système passe volontairement sous silence ces milliers d’œuvres, ainsi que ceux et celles qui les ont écrites et les écrivent aujourd’hui encore. Cacher ce patrimoine littéraire vivant, c’est évidemment continuer à dévaloriser ces langues et les artistes qui s’expriment avec elles.

Les langues « régionales » elles-mêmes, dont l’enseignement demeure soumis au régime de l’incertitude et de la précarité, malgré les rappels à l’ordre répétés d'instances internationales, sont dédaignées par les autorités de ce pays. Et le fait qu'au fil des ans, et non sans mal, quelques améliorations aient pu être apportées à leur statut et à leur place dans l'enseignement grâce à quelques textes législatifs ou règlementaires n'empêche pas que, souvent, faute de moyens et de bonne volonté de la part des décideurs de terrain, l'application concrète de ces textes soit fortement entravée.

 Les littératures de ces autrices et auteurs – alsaciens, basques, bretons, catalans, corses, créoles, flamands, occitans, et de toute autre langue de France, y compris bien sûr des outre-mer – sont ainsi victimes d’une idéologie étriquée, exclusive et excluante. Quand on trouve dans les manuels une référence, par exemple à tel ou tel troubadour, cela reste marginal et l’information est parfois tout simplement erronée.

Rien n’empêche qu’un enseignement portant sur ces œuvres et ces autrices et auteurs soit dispensé aux élèves, au fil des divers cycles, du primaire jusqu’au baccalauréat. Il est parfaitement envisageable de faire étudier en traduction française ou, mieux, en version bilingue, des œuvres écrites en langues régionales. Contes, poèmes, romans, pièces de théâtre… peuvent être abordés sous forme d’extraits ou d’œuvres intégrales, par exemple dans le cadre des progressions pédagogiques de la matière français ou, en lycée, dans celui de l’enseignement de spécialité « humanités, littérature et philosophie ». On aborde déjà fréquemment des textes d’auteurs traduits de langues étrangères ou de l’Antiquité : il est parfaitement possible d’y intégrer des œuvres "régionales" de qualité qui pourraient dialoguer avec la littérature européenne écrite dans d'autres langues, dont le français. On pourrait aussi considérer que les enseignants d'une région mettent prioritairement l’accent, le cas échéant, sur des œuvres issues de celle-ci. Mais ce serait réducteur : il serait nécessaire que tous les élèves soient sensibilisée à l'ensemble du patrimoine littéraire français, divers et foisonnant. 

Annie Ernaux est le nouveau prix Nobel de littérature dont la France se félicite. Frédéric Mistral, en son temps, fut aussi couronné par ce prix international de premier plan. Toute son œuvre est écrite en provençal et, de cela, la quasi-totalité des Françaises et des Français n’a strictement aucune connaissance. La pétition demande de mettre un terme à cette aberration, au bénéfice de tous, à commencer par la jeunesse : l'ouverture des programmes sur la diversité interne de la France est un premier pas vers un nouvel humanisme ouvert à l’Autre.

A ce jour, cette pétition a été signée notamment par les historiens Mona Ozouf, Philippe Martel et Rémy Pech ; les écrivains Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Didier Daeninckx, Ananda Devi, David Diop, Axel Gauvin, Jean Rohou et Jonas Rano; le romancier et cinéaste Gérard Mordillat ; les artistes Francis Cabrel, Eric Fraj, Goulamas'K, Yannick Jaulin, HK (Kaddour Hadadi), I Muvrini, Joan de Nadau, Manu Théron et Alan Stivell ; le linguiste Bernard Cerquiglini ; plusieurs députés dont Paul Molac ; la présidente de la Région Réunion Huguette  Bello, la présidente de la Région Occitanie Carole Delga, les vice-présidents de Région Florence Brutus (Occitanie), Charline Claveau (Nouvelle-Aquitaine) et Christian Troadec (Bretagne) ainsi que les anciens ministres Azouz Begag et Marie-Noëlle Lienemannn ; les juristes Véronique Bertile et Wanda Mastor ainsi que par de très nombreux universitaires, français et étrangers. Elle a déjà recueilli plus de 6000 signatures de personnes très diverses.

Le lien vers la pétition :

https://www.mesopinions.com/petition/art-culture/vraie-place-litteratures-langues-regionales-programmes/193595

 NB: Pour être identifié, il est nécessaire d'indiquer ses noms et prénoms, éventuellement ses titres et qualités, en "commentaire".

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.