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Philippe Blanchet

Professeur de sociolinguistique, département Communication et Centre d'Études des Langues, Territoires et Identités Culturelles, université Rennes 2. Membre de la Ligue des Droits de l'Homme.

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Billet de blog 27 janvier 2024

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Une disposition du projet Darmanin rejetée par le Conseil Constitutionnel

Le ministre Darmanin annonce largement dans les médias que la version validée de la loi immigration et intégration revient à son projet initial, qui serait entièrement validé donc. C’est faux.

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Le projet de loi déposé au sénat avait comme article 1 :

 Le livre IV du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :

1° L’article L. 433-4 est ainsi modifié :

  1. a) Après le 1° est inséré un 2° ainsi rédigé :

« 2° Il justifie d’une connaissance de la langue française au moins égale à un niveau déterminé par décret en Conseil d’État. Ces dispositions ne sont pas applicables aux étrangers dispensés de la signature d’un contrat d’intégration républicaine mentionnés à l’article L. 413-5 ; »

  1. b) Le 2° devient un 3° ;

2° Aux articles L. 421-2, L. 421-6 et L. 433-6, après les mots : « conditions prévues au 1° », sont ajoutés les mots : « et au 2° ».

Il s’agissait d’ajouter une condition linguistique à déterminer par décret (et on pouvait craindre une exigence abusive) pour obtenir une carte de séjour pluriannuelle. L’impossibilité d’obtenir cette carte maintient en situation de précarité une personne qui a une autorisation de séjour temporaire. Cette condition pouvait également concerner les personnes étrangères relevant de pays à visa, ayant un conjoint qui est de nationalité française ou possédant un titre de séjour pluriannuel en France. Ces personnes doivent obtenir cette carte pour pouvoir vivre durablement avec leur conjoint (alors même que le Code civil impose aux époux d’avoir une résidence commune). De plus, la loi interdisant désormais le cumul de plus de trois cartes de séjour temporaire (le conseil constitutionnel l’a validé), une personne qui a passé plusieurs années en France, de façon régulière, ayant un emploi et une vie établie, aurait pu être renvoyée en situation irrégulière ou hors de France au motif qu’elle n’aurait pas réussi à passer un examen de français aux modalités critiquées et que nombre de Français par filiation n’auraient pas réussi.

Ce projet d’article a été largement dénoncé par de très nombreux chercheurs et chercheures spécialistes de cette question et d’acteurs / actrices de la formation linguistique des personnes migrantes. Et ceci d’autant que la  Version finale votée de la loi avait considérablement durci et étendu la portée de cette condition linguistique, ce qui a conduit un groupe de chercheurs, chercheures, enseignants, enseignantes et associations à déposer une "contribution extérieure" auprès du Conseil constitutionnel.

Cet article 1 de la version initiale de la loi est devenu pour partie l’article 4 et pour partie l’article 20 dans la version finale votée :

(CMP) Article 4 ex-1er C (censuré)

Après l’article L. 434-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il est inséré un article L. 434-7-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 434-7-1. – L’autorisation de séjourner en France au titre du regroupement familial est délivrée à l’étranger sous réserve qu’il justifie au préalable, auprès de l’autorité compétente, par tout moyen, d’une connaissance de la langue française lui permettant au moins de communiquer de façon élémentaire, au moyen d’énoncés très simples visant à satisfaire des besoins concrets et d’expressions familières et quotidiennes. »

Art. 20 (promulgué)

L’article L. 433-4 est ainsi modifié : il justifie d’une connaissance de la langue française lui permettant au moins de comprendre des expressions fréquemment utilisées dans le langage courant, de communiquer lors de tâches habituelles et d’évoquer des sujets qui correspondent à des besoins immédiats.

 L’article 4 a été censuré dans sa totalité par le Conseil constitutionnel. L’article 20, validé et promulgué, ne comporte plus, on le voit, de "niveau déterminé par décret" qui aurait pu être un niveau abusivement élevé, fixé dans décret préparé et cosigné par le même ministre Darmanin.

Reste, bien sûr, à voir comment les préfectures vont demander aux personnes de "justifier" cette compréhension d’ "expressions fréquentes" (et déterminer quelles sont ces expressions) et cette capacité de communication à propos de "tâches habituelles" et de "besoins immédiats" (et déterminer ce qui est habituel et immédiat, et pour qui). On pourrait imaginer que les préfectures vont s’appuyer sur des travaux scientifiques mais ça n’a jamais été le cas jusqu’ici (l’arbitraire du personnel préfectoral a toujours régné). La vigilance et le combat contre l’arbitraire et les abus restent donc nécessaires mais ce sera plus facile que face à un décret.

D’ailleurs l’ensemble de la loi s’appuie sur des croyances fausses qui ont été publiquement scientifiquement démontées par des spécialistes. Mais ce n'est pas une loi raisonnée, c’est une loi fondée sur des préjugés et des conversations de café du commerce. Et les discours approximatifs qui l'accompagnent après sa promulgation, y compris ceux du ministre, n'améliorent rien. 

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