Concernant PISA, une chose est sûre, ses promoteurs excellent en marketing promotionnel. Aux yeux de beaucoup de décideurs et de commentateurs pressés, PISA serait la loupe qui permettrait d’évaluer objectivement l’efficacité des systèmes éducatifs et de soupeser au trébuchet l’évolution des résultats de ces systèmes dans le temps. On serait en mesure de scanner le niveau des élèves tout en mesurant l’impact des décisions politiques sur l’évolution de ce niveau. PISA serait non seulement une loupe fiable mais aussi un baromètre politique rigoureux, un indispensable outil de gouvernance.
En deux décennies, à un rythme triennal qui rappelle la régularité des grandes compétitions sportives, PISA a acquis la stature d’une coupe du monde des acquisitions-clés des jeunes de 15 ans. Les élèves évalués sont vite assimilés à des compétiteurs qui « défendent les couleurs » de leur pays, comme l’affirmait le site du ministère de l’éducation nationale français du temps de Jean-Michel Blanquer. Avec 85 pays participants en 2022, PISA pourrait même avoir l’ambition de s’élever au niveau des Jeux olympiques d’été à la réserve près que parmi les 200 nations présentes aux JO beaucoup ne pourraient pas participer en raison de l’état des systèmes d’éducation auquel la pauvreté les contraint.
Osons affirmer que PISA est une loupe qui rend myope. Ouvrons les yeux !
La myopie de PISA est tout à fait spécifique. En focalisant l’attention sur des informations très partielles (ou partiales) un puissant effet loupe est créé artificiellement. Relayé par l’amplificateur médiatique, il empêche le recul nécessaire pour appréhender et penser le réel dans sa complexité. Cet effet loupe produit une myopie généralisée, voulue ou non. Pour preuve, les prudences méthodiques des chercheurs et des statisticiens qui mènent les enquêtes sont laissées dans l’ombre.
La loupe PISA, obsédée de classements, entretient la myopie sur le fond des problèmes. En quoi consiste-t-elle ? Pour l’essentiel, dans l’ignorance des contextes civilisationnels, culturels, sociaux et politiques des systèmes scolaires des différents pays. Toutes les langues du monde n’entretiennent pas les mêmes rapports avec les notions qui sont en jeu dans les apprentissages au long cours des élèves. En mandarin par exemple, la façon de nommer les nombres (onze se dit « dix-un », vingt se dit « deux-dix », vingt-et-un se dit « deux-dix-un », etc.) rend transparent le système décimal, contrairement aux langues latines par exemple. Les chercheurs expliquent l’avance de plus d’un an des enfants chinois dans l’apprentissage de la numération et du calcul mental par cette différence linguistique. Autre exemple, les difficultés d’apprentissage de la langue écrite (notamment de l’orthographe) ne sont pas les mêmes si la langue est relativement transparente et simple dans sa transcription des sons entendus ou au contraire particulièrement opaque et compliquée, comme en français ou pire en anglais.
Dans un autre ordre d’idée, l’organisation de la scolarité pèse énormément sur l’impact en termes d’apprentissage consolidé des élèves. Les rythmes scolaires, le nombre de jours travaillés, l’organisation de l’emploi du temps journalier, hebdomadaire, etc., sont des éléments déterminants pour l’efficacité de l’enseignement. On sait que les écoliers français qui ne travaillent que 4 jours par semaine ont un handicap d’une centaine de jours par an par rapport aux écoliers d’autres pays. La compétition est donc pipée. Faut-il allonger la liste des facteurs-clés : la qualité de la concertation des équipes enseignantes et de l’administration, l’engagement des parents, la mixité sociale des établissements, la pertinence des savoirs enseignés et des méthodes d’évaluation, etc. ?
À propos d’évaluation des élèves, on sait que les systèmes qui favorisent les évaluations sommatives (des exercices nombreux, isolés et notés à la décimale près pour classer les élèves) plutôt que les évaluations formatives (le suivi dans le temps des acquisitions de chaque élève) auront des effets très différents sur la profondeur et la durée des acquisitions. Le sommatif est vite oublié dès l’épreuve passée. Dans les systèmes qui favorisent ce type d’évaluation, comme en France, la déperdition des savoirs en cours de scolarité est importante. C’est pourquoi l’opinion commune, partagée par les actuels gouvernants, qui voit dans les mauvais résultats des jeunes de 15 ans un défaut d’assimilation des « fondamentaux » huit ans auparavant au primaire est une façon d’éviter de mettre en cause l’inefficacité des évaluations sommatives qui sont caractéristiques du collège français. En quatre ans, les collégiens ont le temps d’oublier des savoirs non reliés entre eux, morcelés en une multitude de leçons « évaluées » et de disciplines ne communiquant pas entre elles.
N'oublions pas aussi que la culture scolaire de chaque pays a été conditionnée par les cultures éducatives propres aux grandes sphères civilisationnelles. L’héritage de Confucius (Corée, Japon, Chine, Vietnam notamment) n’est pas le même que l’héritage, par ailleurs diversifié, des religions monothéistes en Europe ou ailleurs. Beaucoup d’éléments déterminants divergent : le statut des enfants et des apprentissages familiaux, la fonction enseignante de diverses communautés, les finalités égalitaires ou non de l’école, le rapport aux savoirs, à la science, au travail manuel, etc.
Or PISA ne peut renseigner sur tous ces sujets fondamentaux. Les pays les mieux classés ont des systèmes scolaires totalement différents, voire antithétiques ? Quelle similitude entre le système finlandais (formatif) et le système coréen (sommatif) ? Quelle similitude entre une cité-Etat de 5 millions d’habitants (Singapour) et un Etat fédéral sans système éducatif unifié de plus de 300 millions d’habitants (les Etats-Unis) ? Il faut être vraiment myope pour ne pas comprendre que la loupe PISA laisse dans l’ombre ce qui devrait être au cœur des problématiques éducatives. Loin d’informer sur les bons leviers systémiques, curriculaires, PISA contribue au contraire à les dissimuler. De même que les Jeux olympiques, en exhibant les élites sportives « professionnelles », ne renseignent pas vraiment sur l’état des pratiques sportives amateures massives dans les pays participants, ni sur le niveau d’activité physique saine de toute la population dans la vie de tous les jours.