Libération, un « Flore du XXIe siècle » passé à la moulinette néocapitaliste ? Transformé en « un réseau social, créateur de contenus, monétisable » ? Ce journal, d’abord emblématique de la contestation sociale et sociétale post-soixante-huitarde, serait-il rattrapé par les années 80, quand Serge July lui donna une identité « libérale-libertaire », où le « libertaire » réduit à la « branchitude » culturelle s’alliait avec la logique néolibérale ?
Toutefois les journalistes de Libé se sont rappelés les paroles de leur principal parrain historique, familier du Flore d’avant l’esthétisation du fric « avec l’aide de Philippe Starck », Jean-Paul Sartre : « On a raison de se révolter ! » D’autres sens, plus aiguisés, de « libéral » et « libertaire » pourraient servir à leur résistance.
« Libéral » au sens du libéralisme politique, celui de la liberté d’expression, du pluralisme des opinions et de l’indépendance de la presse face aux forces étatiques, mais aussi, aujourd’hui, marchandes. Libéralisme politique également d’un Montesquieu dans la perspective de la limitation réciproque des pouvoirs, y compris commerciaux.
« Libertaire », au sens anti-étatiste et anti-capitaliste de Bakounine, comme dans la veine d’un Proudhon, avec la promotion de la coopération d’individualités autonomes et singulières.
Un journal ainsi « libéral » et « libertaire » pourrait mieux exprimer de manière indépendante et critique les différentes sensibilités de la gauche, réformistes et radicales, institutionnelles et extra-institutionnelles, sociétales et sociales.
Paru dans Libération, pages "Nous sommes un journal", vendredi 14 février 2014
* Voir aussi sur Mediapart :
Société des Journalistes de Mediapart : "Libération : non au «Sartre burger», oui au journalisme", 10 février 2014
* Sur les différences entre libéralisme politique et libéralisme économique, ainsi que sur des intersections entre libéralisme politique et anarchisme, contre certaines thèses du philosophe Jean-Claude Michéa, voir :
Philippe Corcuff : "Michéa et le libéralisme : hommage critique", Revue du MAUSS permanente, 22 avril 2009