Mathieu Dejean a rendu compte pour Mediapart de la nouvelle crise du NPA à l’occasion de son 5e congrès (« À l’extrême gauche, le NPA s’est autodétruit », 11 décembre 2022).
Chronique d’un désastre annoncé
Après les belles promesses du processus de fondation (de janvier 2008, où un congrès de la LCR décide de se lancer dans l’aventure, à février 2009, moment du congrès de fondation du NPA), le désastre a très vite pointé le bout de son nez. Les presque 10000 membres de son congrès de fondation, mêlant des parcours très variés (des primo-adhérents à des militants venant du PS, des Verts, du PCF, d’Alternative Libertaire, de la CNT…), ont rapidement fondu.
Tout d’abord, nombre d’adhérents (autour de 3000 selon une estimation donnée par Libération à l’époque) sont partis en silence, dès les deux premières années, car des semi-professionnels du militantisme (en particulier issus de sectes gauchistes attirées par le sang frais, mais aussi des vieux briscards de la LCR, beaucoup plus souples, mais résistant difficilement à leurs habitudes) ont largement squatté l’encadrement national de l’organisation et la direction des courants internes (dits « plateformes »), en tendant à figer ces courants autour de clivages d’un autre temps et à imposer des débats byzantins propres à l’espace trotskyste.
Celles et ceux qui voulaient explorer un autre rapport à la politique, davantage inséré dans la vie quotidienne, ont pris la tangente, sans faire de bruit et de tribunes. C’est pourquoi ce reflux important a peu été visible sur le moment. Par ailleurs, l’opposition entre un pôle attiré par les sirènes électoralistes et un pôle fasciné par les gesticulations rhétoriques d’un gauchisme sectaire a peu à peu dominé les débats internes, empêchant que l’espace politique entrevu au cours du stimulant processus de fondation ne prenne vraiment corps : une hybridation et un équilibre entre une implication principale dans la contestation extra-institutionnelle et une présence critique secondaire au sein des institutions (dans la participation aux élections et l’appui sur des élus, du local au national), dans une radicalité aux couleurs pragmatiques.
Bref un anticapitalisme pragmatique original n’a pas vraiment réussi à voir le jour dans la construction du NPA. Les électoralistes ont rejoint en mars 2012 le césarisme mélenchonien (Pierre-François Grond, Myriam Martin, etc. : voir « Des dirigeants du NPA appellent à voter Mélenchon, nouveau coup dur pour Poutou », par Geoffroy Clavel, HuffPost, 21 mars 2012). Le noyau dirigeant central du NPA (Olivier Besancenot, Christine Poupin, Philippe Poutou…) est resté alors en vis-à-vis avec le pôle gauchiste, alternant des complaisances à son égard et des affrontements, les affrontements devenant de plus en plus structurants. Une première scission a eu lieu en juin 2021 avec le groupe gauchiste Révolution permanente (voir « Scission ou exclusion ? Le NPA secoué par une importante crise interne », par Abel Mestre, Le Monde.fr, 12 juin 2021), puis une seconde, plus massive, lors de ce 5e congrès de décembre 2022, aucun des deux pôles principaux n’ayant la majorité.
J’ai pu entrevoir ce désastre dès le premier congrès du NPA de février 2011 dans une tribune parue sur le site Rue 89 (depuis racheté par L’Obs), que je reproduis ci-après. J’ai quitté le NPA en février 2013 (voir « Pourquoi je quitte le NPA pour la Fédération Anarchiste », blog Mediapart, 4 février 2013). Cependant les aveuglements ont duré longtemps : plus de onze années perdues pour rien…
Aveuglements vis-à-vis de l’extrême droitisation et du confusionnisme
Les aveuglements ne concernaient pas uniquement l’indifférence de la direction du NPA vis-à-vis des départs progressifs mais massifs et à bas bruit, qui ont commencé peu de temps après le congrès de fondation, ni la polarisation interne entre électoralistes et gauchistes. C’était aussi notre aveuglement - et mon aveuglement - par rapport à la vague idéologique ultraconservatrice et au confusionnisme qui l’a involontairement appuyée (voir mon livre La grand confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées, Textuel, 2021), que nous n’avons pas vus à temps, trop concentrés sur les succès, bien relatifs, de l’anticapitalisme.
Ainsi, au moment où nous savourions ce qui s’est avéré être les dernières victoires de la gauche radicale (le non au Traité constitutionnel européen en 2005) et d’un mouvement social émancipateur (en 2006 contre le Contrat première embauche), un climat idéologique commençait à se mettre en place – le « sarkozysme » se révélant un grand dérégleur idéologique, que nous avons insuffisamment mesuré – qui aujourd’hui tend à nous étouffer. Nous ne l’avons pas vu sur le moment, trop insouciants, en nous auto-illusionnant à travers nos propres discours sur « la montée d’une nouvelle gauche radicale » susceptible de prendre la place du pôle communiste, structurellement marginalisé après la chute du Mur de Berlin en 1989 et du pôle social-démocrate décrédibilisé par sa néolibéralisation entamée en 1983. Nous n’avons pas assez pris en compte que la victoire du non au TCE avait aussi une forte composante d’extrême droite et nous avons été peu soucieux de notre incapacité à inventer après les émeutes de 2005 des passages politiques vers les quartiers populaires affectés par des discriminations sociales-raciales structurelles. Je ne commence personnellement à me poser des questions et à accumuler des matériaux qu’en 2012 et je publie Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard en 2014 (Textuel).
Une autre cours pris par le NPA en 2011 aurait pu faciliter d’autres bifurcations, en allégeant les contraintes de l’extrême droitisation et en freinant les bricolages confusionnistes la facilitant. La gauche d’émancipation (dont son pôle anticapitaliste) aurait alors pu être moins en difficulté qu’aujourd’hui, écrasée qu’elle est entre extrême droitisation, confusionnismes, macronisme et hégémonie de l’autoritarisme mélenchoniste sur la gauche organisée. L’histoire n’est jamais écrite à l’avance, mais nos erreurs d’hier pèsent encore sur nos incapacités actuelles.
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Nouveau Parti Anticapitaliste : c’est pour quand le « nouveau » ?
- Paru initialement sur le site Rue 89, le 11 février 2011 -
Alors que son premier congrès s’ouvre (11-13 février 2011 à Montreuil), deux ans après sa fondation, que peut-on dire du qualificatif « nouveau » dont le Nouveau Parti Anticapitaliste a fait un signe distinctif ?
S’il s’agissait de nommer quelque chose de « récent » : pas de problème, mais le récent vieillit vite, alors qu’un nom de parti apparaît en général plus durable.
Et s’il s’agissait de bâtir un parti d’un « nouveau » type (dans son organisation, son fonctionnement, son langage, son rapport avec l’extérieur, etc.) ? Là, ce n’est pas gagné, bien que cela ne soit pas pour l’instant perdu.
J’avais parlé en décembre 2008 de « chaos créateur » ( « L’aventure du "NPA" : un chaos créateur », Mouvements.info). C’est un processus qui est encore en jeu, mais j’avais sous-estimé les logiques désagrégatives du chaos. Le NPA a perdu de nombreux militants depuis sa création (Libération parle de 3000 militants sur les presque 10000 du départ : « Fuite en avant chez les anticapitalistes », par Lilian Alemagna, 7 février 2011) et, surtout, il n’a pas su retenir les dizaines de milliers de personnes qui ont frappé un moment ou à un autre à sa porte.
Un « nouveau » qui n’est toujours pas à l’ordre du jour du congrès
Dans ce contexte, les militants s’interrogent légitimement, trois principales positions étant proposées à leur vote :
. la position 3, qui lorgne vers le Front de Gauche ;
. la position 2 (qui s’épanouit dans la rhétorique révolutionnariste ;
. … avec sa caricature, la petite position 4 ;
. et la position 1, celle de sa direction, qui a l’avantage d’éviter les deux impasses précédentes, mais qui à part ça ne dit pas grand-chose.
Comme la majorité des militants du NPA, j’ai participé aux débats préparatoires au congrès. Et j’ai choisi lors de mon congrès départemental (Gard) ce qui m’a semblé être un moindre mal : la position 1. Mais, comme d’autres qui ont choisi d’autres positions, avec le sentiment que le débat principal n’était peut-être pas là et qu’on avait encore perdu un temps précieux à ne pas donner de contenu concret au fameux « nouveau »…
Mais quels seraient ces enjeux importants que ce congrès zapperait ?
Á la recherche du lieu du NPA…
Rappelons d’abord quel était lieu que le NPA cherchait à occuper à tâtons quand il a été lancé : après deux siècles d’échecs du projet d’une société non-capitaliste durable sur des bases démocratiques et pluralistes, l’anticapitalisme aurait à réinventer une politique d’émancipation pour le XXIe siècle.
Á sa création, le NPA a donc fait le pari d’un métissage de traditions critiques.
Il a pris acte du brouillage des repères stratégiques (ce qui relève du « comment » on passe du capitaliste au non-capitaliste), en commençant simplement à délimiter l’espace dans lequel la question pouvait être posée aujourd’hui :
. participer aux élections et avoir des élus pourrait être utile dans une logique de rupture avec le capitalisme ;
. toutefois, le principal se situerait dans l’action extra-institutionnelle favorisant l’auto-organisation citoyenne et populaire.
Pourquoi ? Parce que le principal de la démocratie ne peut résider dans une démocratie représentative professionnalisée, mais appelle une mise en tension entre des formes de représentation (contrôlées par les citoyens et limitées par un strict cumul des mandats) et des formes directes, participatives et délibératives, dans un mouvement de déprofessionnalisation politique.
Parce que changer profondément des rapports sociaux suppose l’implication la plus large des opprimés, et pas seulement la délégation à quelques « gentils » représentants.
Parce que les multiples échecs antérieurs de l’anticapitalisme, dans des stratégies dites « révolutionnaires » ou « réformistes », ont achoppé sur des modalités diverses de monopolisation des pouvoirs par quelques-uns.
Bref, « la révolution par les urnes » du Parti de Gauche apparaît comme la énième « gentille » impasse de cette histoire douloureuse.
Mélenchon : ministre de DSK ?
Cet espace du NPA appelait alors une stricte indépendance vis-à-vis du PS, force sociale-libérale et professionnalisée hégémonique à gauche, afin de ne pas être absorbé une fois de plus par la domestication institutionnalisante des gauches ou ne pas lui servir de caution « radicale ».
D’où également la nécessaire indépendance vis-à-vis de ses alliés électoraux d’Europe Écologie-Les Verts et du Front de Gauche.
Jean-Luc Mélenchon dit des choses utiles et sympathiques par rapport au poids des stéréotypes néolibéraux parmi les « Z’élites ». Mais peu nous importe qu’il monte en grade sous le règne éventuel de Dominique Strauss-Kahn en passant de secrétaire d’État à ministre !
Quant à Europe Ecologie-Les Verts, les aspects les plus stimulants de « la coopérative politique » proposée dans un premier temps par Daniel Cohn-Bendit se sont vite transformés en banale machine électorale.
Il n’y a point ici une quelconque recherche de « pureté » : l’imperfection, la fragilité et les contradictions nous caractérisent tous. Plutôt la préservation pragmatique de la possibilité d’une autre voie, évitant de nouvelles déceptions probables. Cela n’empêchera pas la grande majorité des militants du NPA de voter pragmatiquement contre Sarkozy en 2012.
Il y a ouverture et ouverture
Ici, Cédric Durand et Razmig Keucheyan ont donc tort de réduire dans Libération le lieu de création du NPA à une position sectaire d’« isolement » (« L’isolement du NPA », 7 février 2011). Habituellement plus perspicace, leur vision apparaît dans ce cas brouillée par la conception classique et étriquée de la politique souvent portée par la position 3 du NPA. « L’ouverture » y est réduite à un dialogue avec des organisations traditionnelles. On a typiquement affaire à ce que les sciences sociales appellent un « ethnocentrisme » : confondre son petit monde avec le vaste monde.
Ce petit monde, c’est le terrain familier et routinisé des discussions avec les militants des autres organisations. Dans la légitime incertitude, il est compréhensible qu’on se replie sur ce que l’on sait faire. Mais cette tentation d’enfermement conservateur dans un entre-soi inter-organisationnel nous éloigne un peu plus des classes populaires, des opprimés, des jeunes…à qui il est certes plus difficile de tenter de parler autrement, sous d’autres formes, dans d’autres formes d’organisation...
D’ailleurs, peu de mégalos ont considéré au NPA qu’il était le seul et même le principal endroit où pouvait se constituer une nouvelle politique d’émancipation pour le XXIe siècle ! Ce n’est, plus modestement, qu’un des lieux d’accumulation d’expériences dans cette perspective.
Il a donc à s’ouvrir largement à d’autres et à devenir autre à leur contact dans des mues imprévisibles : dans des rencontres avec des salariés, des chômeurs, des précaires, avec ceux qui subissent l’exploitation capitaliste comme le sexisme, l’homophobie, le racisme ou l’oppression post-coloniale, avec ceux sur qui pèsent l’appauvrissement marchand de leur individualité ou les risques écologiques et climatiques.
L’ouverture, elle est aussi du côté de la pluralité des pensées critiques et radicales, dont Razmig Keucheyan a proposé un portrait fort utile il y a peu (Hémisphère gauche : une cartographie des nouvelles pensées critiques, Zones/La Découverte, 2010), contre le repli sur une version appauvrie et ossifiée du marxisme.
Par contre, la prétendue « ouverture » vers les vieilles organisations, la vieille politique professionnalisée, c’est plutôt la fermeture à l’invention libertaire d’un autre rapport à la politique. Or comment envisager une autre politique sans un autre rapport à la politique, après toutes les déconvenues du passé ?
Du « prolétariat » rhétorique aux prolétaires concrets
Ceux qui, dans la position 2 (et la position 4) du NPA, ont constamment à la bouche les mots « prolétariat », « révolution » ou « grève générale » ne sont guère plus ouverts aux prolétaires concrets.
Les langues automatiques débitées au kilomètre, sans égards pour les expériences pratiques, ont fait tout autant fuir les figures populaires qui ont un moment poussé timidement la porte du NPA.
Cela est apparu aussi obscur et déconnecté de la vie, voire plus, à ceux qui sont éloignés de nos jeux politiques, de nos codes langagiers, de nos sigles, de nos « grands hommes », de nos citations fétiches, etc.
Á force de se fantasmer à « la direction des masses », on est souvent à la traîne, dans la répétition dogmatique de formules issues du passé, au chaud dans des identités conservatrices, comme nombre d’organisations dites « révolutionnaires » encore récemment en Tunisie et en Egypte. Fermeture rhétorique et impuissance se conjuguent alors dans une vaine arrogance.
De la révolution expérimentale
Il faut avant tout expérimenter, de bas en haut et de haut en bas, dans tous les sens.
Le NPA n’a rien à perdre. Une véritable révolution culturelle est à opérer pour surmonter les routines et les frilosités de ses dirigeants nationaux, de ses cadres locaux et de ses militants. Cédric Durand et Razmig Keucheyan ont ici raison.
Toutefois, le point d’application privilégié de cette nouvelle culture expérimentale ne devrait pas être constitué par les courants organisés de la gauche de la gauche, mais par tous ceux qui sont davantage à l’écart des mécanismes politiciens traditionnels. Olivier Besancenot a été un des rares innovateurs du NPA sur ce plan, en aidant à rapprocher la politique et la vie quotidienne, mais il a peu été suivi jusqu’à présent.
Expérimenter, donc, pour s’ouvrir à des profils sociaux plus diversifiés, et ne pas continuer à enregistrer l’exclusion politique des classes populaires, des femmes, des jeunes, des personnes issues de l’immigration, etc.
Expérimenter, pour accueillir des rythmes diversifiés d’engagement.
Expérimenter, pour créer d’autres formes de coopération entre les individualités, ne les écrasant pas au nom d’un « tout collectif ».
Expérimenter pour dire autrement la politique : partir des quotidiens diversifiés des opprimés pour reconstruire par le bas (avec, certes, une boussole minimale) une généralisation politique, plutôt que d’assommer les gens avec des langues de bois incompréhensibles et/ou glaçantes descendant d’en haut.
Regardons du côté du rap, de certaines séries télévisées ou des artistes (le magnifique « Je lutte des classes » inventé par le collectif « Ne pas plier » au cours du mouvement des retraites de l’automne 2010) pour nous aider à dire autrement l’exploitation, les oppressions, les contraintes ordinaires de la vie, mais aussi les résistances populaires et l’imagination citoyenne.
N’hésitons pas à apprendre sur ce plan des jeunes blogueurs, slameurs et rappeurs tunisiens et égyptiens !