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Professeur de science politique, engagé dans la renaissance d'une gauche d'émancipation, libertaire, cosmopolitique et mélancolique

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Billet de blog 22 novembre 2021

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Des clôtures identitaires à la créolisation : Levinas, Luxemburg, Glissant

Pour sortir des enfermements identitaires, ou identitarismes, si prégnants aujourd’hui, trois pistes : le philosophe Emmanuel Levinas, l’écologiste avant l’heure Rosa Luxemburg et l’écrivain Édouard Glissant. Une conférence de l’Université populaire de Lyon. Pour préparer dès maintenant l’après-catastrophe.

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OUVERTURE IDENTITAIRE ET CRÉOLISATION DU MONDE

2e conférence du cycle « Identités : de l’enfermement à l’ouverture »

Université populaire de Lyon (UNIPOP), 26 octobre 2021, version audio (environ 1h01)

Identités : de l'enfermement à l'ouverture © La cave se rebiffe de l'UnipopLyon

Introduction, plan et références, conclusion de la conférence

Introduction

Le thème de mes deux interventions de cette année à l’Université populaire de Lyon est « Identités : de l’enfermement à l’ouverture ». J’ai traité lors de la première séance le 20 octobre : « Extrême droitisation et enfermement identitaire », c’est-à-dire « le côté obscur de la force ». Aujourd’hui, je traiterai « Ouverture identitaire et créolisation du monde », c’est-à-direque j’explorerai des possibles ensoleillés. La première séance s’est appuyée sur un gros livre paru en mars : La grande confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées. Cette seconde séance anticipera un livre qui pourrait paraître fin 2022 sous le titre Réinventer l’émancipation.

Lors de la première séance, nous avons rencontré le concept d’identitarisme. L’identitarisme, c’est réduire des personnes et des groupes à une identité principale, homogène et fermée, par exemple une identité nationale ou une identité religieuse ; une identité positive valorisée ou une identité négative dénoncée. Il faut distinguer l’identitarisme de l’identité ; l’identitarisme c’est en quelque sorte une pathologie de l’identité. C’est ce que j’appelle aussi dans cette série de deux cours « l’enfermement identitaire ». Or, l’identitarisme est très présent dans l’ultraconservatisme comme dans le confusionnisme qui lui facilite les choses, présentés lors de la dernière séance. L’identitarisme est présent bien au-delà de l’ultraconservatisme et du confusionnisme français. On le trouve aussi dans le nationalisme du régime de Vladimir Poutine en Russie ou de la Chine capitalo-communiste, ou dans le régime hindouiste et islamophobe en Inde aujourd’hui, ou encore dans les divers islamo-conservatismes. L’identitarisme constitue peut-être une des formes les plus présentes aujourd’hui dans le monde.

L’identitarisme constitue un des défis actuels qui nous invitent à redéfinir la question de l’émancipation. On peut d’abord comprendre la notion émancipation, dans le sens que ce terme a commencé à prendre à la fin du XVIIIe siècle en Europe : une « sortie de l’homme hors de l’état de tutelle », selon l’expression utilisé par Emmanuel Kant (1724-1804) pour définir les Lumières dans son célèbre texte de 1784 « Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ? ». Aujourd’hui, la problématisation de l’émancipation se situe bien après la naissance du mouvement socialiste, ainsi que des mouvements féministe, anticolonial ou antiraciste et avec les apports des sciences sociales modernes. C’est pourquoi on pourrait parler de de l’émancipation, dans un premier temps, comme d’une sortie des dominations dans la construction d’une autonomie individuelle et collective supposant certaines conditions sociales. Ainsi d’Emmanuel Kant, à la fin du XVIIIe siècle à Cornelius Castoriadis à la fin du XXe siècle, l’émancipation a surtout été appréhendée sous l’angle de l’autonomie, autonomie individuelle et collective s’arrachant aux dominations.

Or, les tendances identitaristes actuelles constituent un problème nous incitant à reproblématiser la question de l’émancipation. Car l’horizon d’autonomie individuelle et collective dans le détachement des tutelles de la domination ne peut pas suffire à caractériser l’émancipation face à cet enjeu. Certes, on doit continuer à promouvoir l’autonomie individuelle et collective, mais pas seulement. Réévaluer la singularité individuelle dans une politique d’émancipation, c’est une piste importante pour se prémunir contre les pièges identitaristes. Car l’individualité de chacun se présente, dans une approche relationnaliste souvent privilégiée par les sociologies actuelles, en tant que située dans le cours de relations sociales, comme un lieu de croisement et d’hybridation d’une variété d’appartenances et d’expériences collectives. L’unicité socialement et historiquement constituée de chacun d’entre nous le rend cependant irréductible à chacun des fils collectifs qui le constituent. Chacun de nous est singulier tout en étant peuplé de fils collectifs qui le relient au monde, en font un être incarné dans le monde.

Mon exploration, nécessairement partielle et concentrée, de ce soir, aura, à partir de là trois temps : 1) le chemin de l’ouverture identitaire à partir du philosophe Emmanuel Levinas ; 2) un prolongement de cette ouverture identitaire en direction des questions écologiques avec la révolutionnaire socialiste Rosa Luxemburg ; et 3) le chemin de la créolisation avec le poète Edouard Glissant.

Plan et références

Introduction

I - Les ouvertures à ce qui est autre et à l’autre chez Emmanuel Levinas

Emmanuel Levinas (1906-1995), au carrefour de la tradition juive et de la philosophie phénoménologique du XXe siècle

Illustration 2

a) De l’évasion (1935) : la perspective d’« une sortie en-dehors de l’être »

b) Le temps et l’autre (1948) : la figure de la caresse

c) Totalité et Infini (1961) et Autrement qu'être (1975) : éthique du visage d’autrui et responsabilité

II - L’ouverture écologiste de Rosa Luxemburg

Rosa Luxemburg (1871-1919)

Illustration 3

a) Lettre de prison à Sonia Liebknecht (2 mai 1917)

b) Lettre de prison à Luise Kautsky (15 avril 1917)

III - Édouard Glissant ou la créolisation du monde et ouverte sur le monde

Illustration 4

. Édouard Glissant (1928-2011), Traité du Tout-Monde (1997)

. Aliocha Wald Lasowski, Édouard Glissant. Déchiffrer le monde, préface de François Noudelmann, éditions Bayard, 2021

a) Poésie et philosophie

b) Première approche philosophique : Aliocha Wald Lasowski

Illustration 5

c) Quelques aperçus d’une poétique philosophique et politique pour des temps identitaristes

En guise de conclusion

En guise de conclusion

Pour conclure provisoirement, je vais rappeler les grandes lignes de notre parcours. Nous sommes partis de la prégnance dans le monde actuel des identitarismes, qui tendent à enfermer les individus et les groupes dans une identité homogène et close. La perspective de « la sortie de l’être » chez Emmanuel Levinas nous a aidés à sortir des identités figées pour ouvrir le même à ce qui est autre et à l’autre. L’humilité humaniste et écologiste en germe chez Rosa Luxemburg a élargi cette ouverture aux êtres naturels face aux risques des auto-empoisonnements par le ressentiment. La créolisation chez Edouard Glissant nous a fait découvrir les hybridations en mouvement dont nous sommes le produit provisoire. Se dessine à travers ces trois auteurs un enrichissement de la pensée de l’émancipation dans des sociétés et dans un monde pluriculturels. Face à la « zemmourisation » des esprits et de la politique, il ne suffit plus de critiquer. Il est trop tard peut-être pour se contenter de cela. Nous ouvrons les yeux trop tardivement sur ce qui se trame dans les espaces publics en France depuis le milieu des années 2000 et que j’ai tenté d’analyser dans La grande confusion. Si vous voulons résister à la « zemmourisation » ou à la « trumpisation » (ce qui est proche), il faut aussi dessiner un autre sens global à la vie et à nos vies, un autre rapport au monde, un autre récit global qui n’enferme pas mais qui ouvre à la pluralité, qui saisisse autrement nos singularités individuelles et les espaces communs, les contraintes inégalitaires et les possibilités émancipatrices, notre vie ici et maintenant et l’horizon d’un monde meilleur. Et cela avec une composante spirituelle, en un sens non nécessairement religieux mais qui ouvre l’interrogation sur le sens et les valeurs de l’existence. Il n’y a pas de temps à perdre. Même si les Zemmour et les Trump gagnent provisoirement, il faut dès maintenant préparer la possibilité même d’un après.

* Pour l’audio de la première conférence, « Extrême droitisation et enfermement identitaire », voir https://blogs.mediapart.fr/philippe-corcuff/blog/151121/d-un-pas-leger-nous-marchons-vers-le-precipice-postfasciste-0

Illustration 6

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