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Billet de blog 23 janvier 2015

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De la parole libertaire du sous-commandant Marcos à la Grèce

D’un hommage à la parole libertaire du sous-commandant Marcos dans le Chiapas Mexicain, qui a quitté la scène politique en 2014, aux yeux aujourd’hui tournés vers la Grèce, avec un clin d’œil à Charb….

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D’un hommage à la parole libertaire du sous-commandant Marcos dans le Chiapas Mexicain, qui a quitté la scène politique en 2014, aux yeux aujourd’hui tournés vers la Grèce, avec un clin d’œil à Charb….

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Il s’agit de la republication, sur le site libertaire Grand Angle, d’un texte paru en 2006 sur le sous-commandant Marcos, avec une préface de janvier 2015, abordant aussi les questions de la Grèce, de l’Espagne, de la France…

Hommage libertaire au sous-commandant Marcos : auto-ironie d’un porte-parole à l’écart des aspirants caudillos

Avant-propos (janvier 2015)

« Si vous me permettez de définir Marcos, le personnage, alors je dirais sans hésiter que c'était un hétéroclite. »

« Dernières paroles publiques » du sous-commandant Marcos, 25 mai 2014, La Realidad (Chiapas, Mexique, Monde)

Le 25 mai 2014 a arrêté « d'exister le Sous-commandant Insurgé Marcos » (1). S’il s’est ainsi retiré de la scène politique active, il pourrait nourrir encore longtemps les imaginaires émancipateurs de ceux qui sont en quête d’une politique radicalement renouvelée, et pas de la énième resucée du marketing de « la politique autrement…comme avant ». En des temps particulièrement troublés, où le néoconservatisme et l’extrême droite prospèrent en France et, plus largement, en Europe (2), après l’assassinat de nos amis de Charlie Hebdo (3) et les crimes antisémites de ce tragique mois de janvier 2015, il apparaît particulièrement important de célébrer la figure hérétique de Marcos dans la perspective que « le côté obscur de la force » ne finisse pas par recouvrir la promesse d’émancipation. Et l’on peut souhaiter aux gauches radicales, si elles veulent sortir de leurs impasses respectives et conjuguées, la réinvention démocratique de porte-parole introduisant des grains de sable libertaires dans la domination politique qui s’insinue sans cesse dans les mécanismes de représentation, comme a commencé à le dessiner le sous-commandant.

Mirages de la Grèce et de l’Espagne ?

La voix de Marcos, celle d’un porte-parole qui descend de son piédestal, ironise sur lui-même et contribue à introduire le jeu de la fragilité dans les rapports représentants/représentés, va à l’encontre des aspirants caudillos actuels au sein des gauches radicales. Je pense à notre Jean-Luc Mélenchon national, à Alexis Tsipras de Syriza en Grèce ou à Pablo Iglesias de Podemos au sein de l’État espagnol.

Qu’on ne se méprenne pas ! Je suis suffisamment pragmatique pour considérer que si Syriza, Podemos ou le Front de gauche arrivaient un jour au pouvoir dans le cadre des institutions existantes par voie électorale, ce serait un mieux par rapport à la situation actuelle. Par exemple, la victoire électorale de Syriza en Grèce pourrait contribuer à améliorer les rapports de force dans l’Union Européenne pour des politiques davantage sociales en desserrant un peu l’étau néolibéral dans une perspective internationaliste, et non celle d’un repli national étriqué portée par les nouveaux nationalistes de gauche aux pulsions germanophobes à la Frédéric Lordon (4).

Cependant, apporter un mieux par rapport aux contraintes néolibérales, cela n’ouvre pas une transformation radicale du rapport tutélaire à la politique, ni une mise en cause de l’étatisme, ni une rupture avec le capitalisme. Du réformisme toujours bon à prendre si l’on ne se situe pas dans les vaines illusions identitaires d’une « pureté » fantasmatique ou dans la logique de la politique suicidaire du pire. Pourtant les principaux nœuds de la domination sociale et politique seraient toujours en place. Un simple adoucissement, non négligeable, des rigueurs néolibérales du temps. Mais dans l’indéniable mieux se niche aussi un mensonge : la reproduction des politiques tutélaires, autour d’un « homme providentiel » au sommet de la pyramide de la délégation, repeintes aux couleurs « démocratiques », à l’opposé des aspirations démocratiques et libertaires à  l’autogouvernement de soi et des collectivités dont nous sommes parties-prenantes. Et quand un mouvement social émerge spontanément face à l’horreur comme le récent « Je suis Charlie », certes impur, imparfait, charriant des ambivalences, des ambiguïtés et des contradictions, comme chacun d’entre nous ou comme la vie en général, une part importante des animateurs locaux et nationaux de « la gauche de la gauche » et des organisations libertaires se pinçait le nez, voire stigmatisait les émotions populaires publiques mises en mouvement (5). Des figures de la gauche radicale préfèrent les fuites imaginaires vers la Grèce et l’Espagne que de se coltiner les fragilités et les incertitudes du mouvement réel. Ces échappées dans le fantasme sont fort distinctes de la nécessaire solidarité internationaliste (6). Quant aux organisations anarchistes, elles ont du mal à résister à l’enfermement dans un mélange de chaleurs et d’aigreurs ritualisées propre à l’entre soi.

Tout cela apparaît si loin de l’iconoclaste Marcos, de ses pétards réjouissants dans les mécanismes de délégation comme de sa radicalité pragmatique face aux indispensables insertions ordinaires de l’émancipation…C’est pourquoi je republie aujourd’hui un texte de 2006 qui mettait l’accent sur les ressources subversives du langage politique du sous-commandant.

Illustration 1

Déplacements politiques depuis 2006

Je dois préciser que, lors de la publication initiale de ce texte, j’étais militant de la Ligue Communiste Révolutionnaire et que je croyais (encore !) à la rénovation de la forme parti dans un processus émancipateur. Après un long parcours militant et l’échec récent du Nouveau Parti Anticapitaliste (7), aujourd’hui membre de la Fédération Anarchiste, je suis devenu nettement plus sceptique quant à la forme parti, en tant que trop calée sur les logiques oligarchiques travaillant l’État-nation moderne, y compris ceux se parant des atours démocratiques (8). La forme parti a peut-être un avenir du côté « postfasciste », avec des groupes comme le Front national, mais peu probablement du côté de l’auto-émancipation des opprimés.

Je m’inscris actuellement dans l’exploration de l’hypothèse provisoire de la possibilité d’organisations politiques renouvelées qui ne seraient pas à proprement parler des partis, au sens où elles ne seraient pas orientées vers la prise du pouvoir d’État, dans une modalité électorale ou dite « révolutionnaire ». Des organisations politiques, lieux de mémoire critique du passé émancipateur, de mutualisation des expériences et de formulation de repères stratégiques (le niveau du « comment » de la transformation sociale), qui seraient susceptibles de jouer un rôle (secondaire, mais utile) dans un processus pluridimensionnel d’émancipation individuelle et collective par-delà les chaînes du capitalisme et de l’État-nation.

Par ailleurs, je n’avais pas lu en 2006 les ouvrages principaux de John Holloway, mais seulement des textes courts, et je restais tributaire de la lecture trop biaisée par sa culture « trotskyste » de mon ami Daniel Bensaïd (9). Depuis, j’ai développé une vue plus informée et nuancée des apports des écrits récents d’Holloway (10).

Ces précisions sur mes déplacements entre 2006 et janvier 2015 renforcent le caractère d’hommage de ce texte vis-à-vis de la figure militante du sous-commandant Marcos. Car le potentiel subversif de la geste politique néozapatiste de Marcos excédait largement en 2006 mes capacités de problématisation…et les excède encore aujourd’hui, comme d’ailleurs il le fait des proclamations arrogantes d’une insurrection qui serait en train de venir ou qui serait déjà là, mais qui ne serait perceptible qu’aux yeux supposés éclairés d’une avant-garde qu’il ne faudrait surtout pas appeler avant-garde…Comme on l’a déjà vu précédemment, la vieille politique tutélaire revient pas mal aujourd’hui par la voie de sa critique et par la prétention d’un « nouveau » qui aurait magiquement fait table rase des problèmes !

Spéciale dédicace à l’ami Charb !

Notes de l’avant-propos de janvier 2015 :

(1) « Extrait du dernier communiqué du SCI Marcos » (25 mai 2014).

(2) Voir P. Corcuff, Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard, Paris, La Découverte, collection « Petite Encyclopédie Critique », 2014 ; voir sur Gand Angle : « Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard - Bonnes feuilles et entretien vidéo », 7 octobre 2014.

(3) Voir P. Corcuff, « Mon ami Charb : les salauds, les cons, l’émotion ordinaire et la tendresse », 8 janvier 2014, Mediapart.

(4) Voir F. Lordon, « L’alternative Syrisa : passer sous la table ou la renverser », blog « La pompe à phynance », Les blogs du Diplo, 19 janvier 2015 ; pour une critique plus large du nouveau nationalisme de gauche (incluant les points de vue récents de F. Lordon), voir P. Corcuff, Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard, op. cit., pp.100-116.

(5) Voir P. Corcuff, « Après Charlie : bal tragi-comique à gauche radicale-sur-Seine », Rue 89, 19 janvier 2015, ainsi que l’entretien avec Laure Adler sur France Culture, émission Hors-champs, 20 janvier 2015, à écouter sur : [http://www.franceculture.fr/emission-hors-champs-philippe-corcuff-2015-01-20].

(6) Voir, par exemple, la pétition « Grèce : Rendons-leur la démocratie ! (Troïka basta !) ».

(7) Voir P. Corcuff, « Enjeux pour la gauche de gauche en France en 2013 : éclairages autobiographiques », Mediapart, 27 mai 2013.

(8) Voir P. Corcuff, « Nos prétendues "démocraties" en questions (libertaires). Entre philosophie politique émancipatrice et sociologie critique », Grand Angle, 5 mai 2014.

(9) Voir notamment D. Bensaïd, « La Révolution sans prendre le pouvoir ? Á propos d’un récent livre de John Holloway », revue ContreTemps, n°6, février 2003 ; repris sur le site Daniel Bensaïd : [http://danielbensaid.org/La-Revolution-sans-prendre-le].

(10) Voir P. Corcuff, « Holloway ou une ouverture stimulante de la pensée critique et émancipatrice au XXIe siècle à…ouvrir un peu plus » (séminaire ETAPE du 14 mai 2014), Grand Angle, 5 juin 2014.

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Sous-commandant Marcos, une fragilité radicale (2006)

Paru dans La planète altermondialiste. Guide critique de la pensée, Chiara Bonfiglioli et Sébastien Budgen (éds.), Paris, éditions Textuel, collection « La Discorde », 2006, pp.149-160

La suite et l’ensemble du texte en cliquant sur : Marcos-Grand Angle-Corcuff (22 janvier 2015)

Illustration 2

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