Philippe Corcuff
Enseignant-chercheur, engagé dans la renaissance d'une gauche d'émancipation, libertaire, cosmopolitique et mélancolique
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Billet de blog 30 déc. 2014

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Du polar à l’extrême droitisation : inquiétude de fin d’année

La vidéo d’une intervention partant du polar pour traiter du climat gris et noir actuel, suivi d’un entretien sur le confusionnisme, la critique manichéenne des médias, l’analyse des « rouges-bruns » par Jean-Loup Amselle…

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Une dernière touche d’inquiétude pour 2014 en souhaitant explorer les possibles ensoleillés du réel en 2015 ?

I – 1934-2014 : la tentation de l’extrême ?

Intervention à Horizons. Féria du livre de la critique sociale et des émancipations, Nîmes, 29 novembre 2014

La tentation de l'extrême ? - Philippe Corcuff - 29/11/14 © Télé Sud Est

Vidéo réalisée par Thierry Le Roy, pour Tseweb.tv, http://www.tseweb.tv/?p=2895

Durée : environ 45 mn

Plan de l’intervention :

Introduction

1 – La France sous le feu de l’extrême droitisation, comme dans un polar

2 – Des analogies avec les années 30

3 – Un néoconservatisme xénophobe, sexiste, homophobe et nationaliste

4 – La tyrannie du « politiquement incorrect » et le rapt de la critique à la gauche

5 – Une vue décalée du FN et des réponses à lui apporter

II – « Le confusionnisme néoconservateur brouille l’espace idéologique »

Entretien avec Ornella Guyet, site Confusionnisme.info - Observatoire du confusionnisme politique, 27 décembre 2014, http://confusionnisme.info/2014/12/27/philippe-corcuff-le-confusionnisme-neoconservateur-brouille-lespace-ideologique/

Sur le confusionnisme contemporain, le rôle de laboratoire de la critique manichéenne des médias des années 1990-2000 pour le "politiquement incorrect" néoconservateur actuel, les récentes analyses de l'anthropologue Jean-Loup Amselle sur "les nouveaux rouges-bruns", etc.

Extrait de l’entretien :

Confusionnisme.info : Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce livre ?

Philippe Corcuff : Il est né au croisement de diverses inquiétudes aux temporalités différentes. J’en vois au moins cinq principales.

Premièrement, il y avait un effort ancien pour mettre en perspective sociologique, en empruntant des ressources à l’œuvre de Pierre Bourdieu, la question de la montée du Front national en France depuis le début des années 1980. Cela avait notamment donné lieu en 2003 à un article dans la revue animée par Daniel Bensaïd, ContreTemps, au sein d’un dossier consacré à l’extrême droite. J’y explorais l’hypothèse d’une compétition idéologique et politique entre deux façons de se représenter la société française : « le clivage de la justice sociale » (autour de la production et de la répartition des ressources) et « le clivage national-racial » (jouant d’ambiguïtés entre le national et le racial). J’ai développé et actualisé cette analyse dans le partir V du nouveau livre.

Deuxièmement, je me suis aperçu aux débuts des années 2000 des risques d’une compétition des antiracismes, particulièrement entre la lutte contre l’antisémitisme et la lutte contre l’islamophobie. Quand nous avons publié avec Nadia Benhelal notre tribune dans Le Monde, « Nous sommes tous des juifs musulmans !» le 13 octobre 2004, cela affectait surtout le mouvement antiraciste. Puis cela s’est étendu dans d’autres secteurs de la société, freinant les résistances antiracistes et alimentant le confusionnisme idéologique.

En troisième lieu, il y a eu la prise de conscience progressive au fil du temps des défaillances intellectuelles, éthiques et politiques d’une certaine critique manichéenne des médias montante après le mouvement social de l’hiver 1995, représentée par les journaux comme PLPL et Le Plan B, er de manière plus hésitante et contradictoire par l’association ACRIMED et les pages du Monde Diplomatique consacrées aux médias. Il s’agissait d’un appauvrissement de la critique sociale, qui s’en prenait moins aux structures sociales de domination, à la manière de Marx et de Bourdieu, qu’aux manipulations intentionnelles des personnes, à leurs mensonges volontaires, comme à leurs travers psychologiques et moraux. Et cela dans une dénonciation sans nuances quant aux contradictions du réel, en recourant souvent à l’attaque ad hominem, à l’invective à la place de l’argumentation, à la provocation plutôt qu’au raisonnement construit, voire au dénigrement des personnes, à l’insulte, aux rumeurs infondées et aux informations erronées, dans des accents plus ou moins conspirationnistes. Et, en plus, cette critique manichéenne des médias avance souvent une vision élitiste et misérabiliste de la grande masse de la population, supposée entièrement « aliénée » par « la propagande médiatique », sans capacités critiques, ce que démentent les études de réception menées par les sciences sociales. Ma prise de distance et mon inscription dans une autre critique radicale des médias a d’ailleurs suscité pas mal de violence verbale pendant de nombreuses années à mon égard dans PLPL, Le Plan B ou sur internet : proposer une critique de la critique sommaire des médias ne pouvait qu’être le signe de quelqu’un de « vendu au système », « faussement radical », qui « finirait à droite »…Je venais du PS auquel j’avais adhéré, lycéen, à la fin des années 1970, j’étais à l’époque militant de la Ligue Communiste Révolutionnaire et aujourd’hui de la Fédération Anarchiste : cela n’avait donc pas grand sens ! Ainsi vont les œillères et les partis pris de la diabolisation idéologique ! Or, cette critique manichéenne des médias, avec ses procédés rudimentaires, a été un des laboratoires de la tyrannie néoconservatrice actuelle, de Zemmour en Soral, du « politiquement incorrect » traitée dans la partie III de mon livre. Dans cette logique en trompe l’œil, il suffit de dire que l’on va à l’encontre du supposé « politiquement correct » (par exemple, l’antiracisme) et de prétendus« tabous » (par exemple, l’égalité entre les femmes et les hommes) diffusés par « les médias dominants », sans vraiment d’arguments, de connaissances établies et/ou de faits solidement constatés, pour avoir raison. La journaliste Elisabeth Lévy a été une des passeuses entre la critique manichéenne des médias de gauche radicale et le néoconservatisme à la française d’aujourd’hui avec son livre à succès Les maîtres censeurs. Pour en finir avec la pensée unique (éditions Jean-Claude Lattès/Le Livre de Poche, 2002).

En quatrième lieu, je me suis inquiété depuis pas mal de temps aussi des dégâts des théories du complot – qui ont des intersections avec la critique manichéenne des médias – sur internet, comme autre source d’appauvrissement de la critique sociale. Là aussi on a un abêtissement de la critique, abandonnant le terrain des structures sociales de domination au profit de la toute-puissance d’intentions manipulatrices cachées. On préfère ainsi des scénarios de type hollywoodiens à la James Bond à Marx et à Bourdieu !

Enfin plus récemment je me suis rendu compte de la pénétration de discours néoconservateurs xénophobes, sexistes, homophobes et nationalistes dans les espaces publics, avec la figure d’Eric Zemmour pour les médias dominants et d’Alain Soral pour internet.

J’ai voulu alors proposer une vue globale de ces différents phénomènes inquiétants dans un contexte aggravant de brouillard idéologique à gauche. J’ai fait une première tentative en février 2014 en proposant trois séances de cours dans le cadre de l’Université Populaire de Lyon. Là je me suis rendu compte d’une certaine inconscience ou indifférence à gauche par rapport aux dangers que je pointais. J’ai pu aussi commencer à mesurer un certain impact via internet des discours soraliens sur des profils d’étudiants qui, quelques années auparavant, auraient pu être attirés par le Parti de gauche, NPA ou la CNT, puisque un nombre important de militants lyonnais d’Egalité et réconciliation sont venus m’apporter la contradiction lors d’une séance.

La suite de l’entretien sur Corcuff-confusionnisme.info-décembre 2014 (cliquer sur)

Illustration 2
© 

* Pour un débat critique autour des analyses de Jean-Loup Amselle dans Les nouveaux rouges-bruns. Le racisme qui vient (Lignes, 2014), voir aussi sur Mediapart : « Rokhaya Diallo/Jean-Loup Amselle : le racisme qui vient », émission « Alter-égaux », 6 décembre 2014

III - "Démondialiser?", contributions de Philippe Corcuff et Aurélien Bernier, revue Ballast (http://www.revue-ballast.fr/), n°1, hiver 2014, 12 euros, pp.17-29

Extrait du texte de Philippe Corcuff :

A-t-on oublié un des axes de l’émancipation qui pourtant revient à chaque fois que l’on entonne L’Internationale, chanson phare du mouvement ouvrier écrite en 1871 au cœur de la Commune de Paris : « L’Internationale sera le genre humain » ? Est-ce que cela n’a pas encore davantage d’actualité dans un moment trouble comme le nôtre ? Le cosmopolitisme, entendu comme l’horizon d’émancipation de l’humanité à l’échelle mondiale, a encore plus un rôle de boussole dans la conjoncture. Bien sûr, l’Internationale ne sera pas à court terme, et même à moyen terme, le genre humain, mais nos engagements locaux, nationaux et internationaux ont à enrichir les connexions avec un horizon mondial d’émancipation, et non à les enrayer, ce que tendent à faire les plus récentes propositions sur ce plan de Montebourg, Todd, Lordon, Ruffin et Durand. Pour cela, nous avons à inventer un pragmatisme imaginatif.

Il ne s’agit donc ni de choisir le protectionnisme contre le libre-échange, ni le libre-échange contre le protectionnisme, mais plutôt de sortir de cette polarité par différents moyens. J’incite ceux qui mettent leurs espoirs dans des politiques publiques alternatives à partir des institutions existantes (ce qui n’est plus mon cas, mes réflexions et mes engagements libertaires m’ayant éloigné de cette perspective) à se saisir des différents niveaux de l’action (local-national-international) et de leurs contradictions, plutôt que de s’enfermer dans un seul niveau (le cadre national). J’appelle les militants des mouvements sociaux à déployer la mise en réseau des groupements d’individus solidaires du local au mondial, à développer des jumelages dynamiques (entre communes, mais aussi sections syndicales, associations, coopératives, AMAP, etc.), à préparer des grèves européennes et, au-delà, des marches internationales pour la dignité. J’invite le milieu associatif à donner une portée politique aux ressources cosmopolites (comme le bilinguisme, le maintien de liens familiaux et culturels, les échanges associatifs, etc.) présentes dans des classes populaires travaillées par plusieurs vagues d’immigration, comme l’a mis en évidence la sociologue Anne-Catherine Wagner. Ce qui ouvre sur une cosmopolitique populaire, altermondialiste - et non pas démondialisatrice ou antimondialiste - comme un des outils principaux de la lutte contre la mondialisation capitaliste.

Illustration 3
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Meilleurs voeux pour l'émancipation sociale, individuelle et collective!

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