Ah quelle année 2024 ! Celle des montagnes russes avec d’un côté le nirvana des Jeux Olympiques dont la mirobolante cérémonie d’ouverture, l’organisation, les performances sportives et la sécurité ont ébloui le monde entier et l’apothéose avec la réouverture de Notre-Dame de Paris, 5 ans à peine après l’incendie ravageur, résultat de la volonté politique du Président de la République et du travail des bâtisseurs et des artisans d’art, expression de l’excellence française, et de l’autre la descente aux enfers avec une crise politique doublée d’une crise financière.
Le pari raté de la dissolution - qui a créé plus de « divisions que de solutions » de l’aveu même d’Emmanuel Macron - est la source d’une crise politique qui pourrait déboucher cette année sur une crise de régime et même sur un éclatement de la démocratie française.
2025 est l’année de tous les dangers, celle où ça passe ou ça casse, celle où le système démocratique se joue à pile ou face.
Après l’élection d’une assemblée sans majorité dans laquelle trois blocs s’affrontent, refusent le dialogue et le compromis, la censure du gouvernement Barnier, la laborieuse constitution de celui de François Bayrou avec la même base politique, c’est-à-dire sans base, l’année qui s’ouvre est celle de tous les possibles, les meilleurs, comme les pires.
Le destin de la France se jouera à travers 4 rendez-vous qui sont autant d’obstacles dangereux.
14 janvier. Le premier ministre prononcera son discours de politique générale. Il se gardera de solliciter un vote de confiance. Mais il risque la censure. LFI a annoncé qu’il déposera une motion visant à renverser le gouvernement. Le RN joindra-t-il ses voix à la gauche comme le 4 décembre où, en s’alliant avec le bloc de gauche, il a provoqué la chute de Michel Barnier ? Ce n’est pas l’hypothèse la plus certaine. Le RN, qui entend mettre en avant ce qu’il lui reste de respectabilité, ne devrait pas préciter le mouvement sur la base de ce qui ne constitue que des orientations générales. Et il y a une autre raison pragmatique autant que politique : Mayotte. Marine Le Pen a fait un déplacement en mode récupération politique les 5 et 6 janvier sur l’île en faisant savoir qu’elle ferait pression sur le gouvernement pour qu’il mette tous les moyens pour reconstruire le territoire ravagé par le cyclone Chidot. Or, dans la foulée de la déclaration de politique générale, le gouvernement devrait soumettre à l’Assemblée le projet de loi spéciale et d’urgence d’aide à Mayotte. Les Mahorais – et les Français sans doute aussi – ne comprendraient pas que la Marine provoque la chute du gouvernement, ce qui bloquerait le vote de la loi pour leur territoire. Ce premier rendez-vous devrait être passé sans trop d’encombre. On ne peut pas en dire autant du deuxième.
14 février. Le jour de la Saint-Valentin, François Bayrou n’arrivera pas à l’Assemblée avec un bouquet de roses mais avec un cactus : le budget.
L’équation est la même qu’à l’automne dernier : faire descendre le déficit public de 6,1% à 5% ou plus exactement - le gouvernement ayant revu les ambitions à la baisse – dans une fourchette de 5 à 5,5%. Pour cela, il devra trouver une formule dans laquelle la hausse des impôts et la baisse des dépenses permettent de dépasser les fameuses lignes rouges de la droite d’un côté et de la gauche de l’autre, sachant que la ligne écarlate qui réunit les deux oppositions – l’abrogation de la réforme des retraites – ne sera pas retenue.
Tous les regards se tourneront vers le RN parce que le poids du groupe lui donne droit de vie et de mort sur le gouvernement, comme Michel Barnier en a fait l’amère expérience. Mais, c’est faux. La clé est, maintenant, entre les mains du Parti socialiste.
On se souvient que Michel Barnier faisait tout pour amadouer Marine Le Pen, la recevant quand elle voulait, lui téléphonant pour désavouer un de ses ministres et cédant à toutes ses demandes sur le budget – taxe sur l’électricité, AME, immigration, remboursement des médicaments – jusqu’au 3 décembre, veille de la présentation du budget. A force d’en effeuiller la marguerite, de faire concession sur concession, le Premier ministre a compris que c’était inutile puisqu’il y avait toujours une nouvelle demande à satisfaire. Il a dit stop et on connait la suite.
De fait, depuis le réquisitoire du procureur dans l’affaire des assistants parlementaires, Marine Le Pen ne voulait pas d’accord. Le risque d’inégibilité avec exécution provisoire l’avait amené à changer de stratégie. Le système cherche à l’entraver, elle va se venger et la censure est un message envoyé à toute la sphère politique. Le RN est redevenu un parti antisystème, prêt à provoquer une crise de régime, à faire tomber les gouvernements comme des châteaux de carte pour pousser le Président de la République à la démission.
Dans ce nouveau contexte, la clé de la stabilité et du respect des institutions est entre les mains du Parti socialiste dont les 66 députés peuvent consolider ou empêcher une alliance RN-LFI d’être majoritaire.
Dans une interview donnée le 5 janvier, François Hollande fait savoir qu’il est pour le respect des échéances et ne pas faire partie de ceux qui spéculent sur un départ anticipé d’Emmanuel Macron, comme Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Il précise même souhaiter que le gouvernement Bayrou tienne jusqu’en 2027. En d’autres termes, l’ancien président préconise la stabilité. Or, qui peut apporter cette stabilité si ce n’est un parti de gouvernement qui aspire à un retour aux responsabilités ?
Face au vote du budget, la responsabilité du PS est considérable. Soit, il se détache de LFI et refuse de voter la censure, soit il reste accroché et soumis aux Insoumis et fait tomber le gouvernement Bayrou avec toutes les conséquences économiques et financières.
Le 13 décembre dernier, le jour de la nomination de François Bayrou à Matignon, l’agence de notation financière Moody’s a dégradé la note de la France en la mettant à AA3 seulement. « Même pas mal » ont réagi les Tartuffe - « cachez cette dette que je ne saurais voir » - constatant que cette baisse n’avait pas eu beaucoup d’impact sur les taux d’intérêts. Or, le plus important, ce n’est pas la dégradation de la note mais le commentaire qui la motive. « Nous prévoyons que les finances publiques de la France seront considérablement plus faibles au cours des trois prochaines années par rapport à notre scénario de base du mois d’octobre en raison d’une fragmentation politique plus susceptible d’empêcher une consolidation budgétaire significative ». Pour être exprimée en langage châtié, la menace n’en n’est pas moins sévère. Que signifie-t-elle ?
Dans Marius, le film de Marcel Pagnol, César – incarné par Raimu – assène à son fils Marius – incarné par Pierre Fresnay – « Petit, l’honneur, c’est comme les allumettes, ça ne sert qu’une fois ». D’une manière subliminale, l’agence de notation paraphrase Raimu et assène à la France : « Petite, la confiance, c’est comme les allumettes, ça ne sert qu’une fois ».
Jusqu’à présent, la force de la France était sa stabilité politique et la solidité de son Etat avec sa capacité à lever l’impôt. Cette situation explique pourquoi, malgré la dérive de ses finances, elle était bien notée et pouvait emprunter à des taux favorables. La communauté financière faisait confiance en sa solidité politique. Il est évident que la perspective d’une chute à répétition des gouvernements à un rythme que même l’Italie dans sa période la plus instable n’a pas connu remettrait en cause ce regard favorable.
La chute du gouvernement Bayrou, deux mois après celle du gouvernement Barnier, ferait craquer l’allumette de la confiance, les taux d’intérêts exploseraient et la France entrerait dans une descente aux enfers à la grecque. Ce qui a perdu la Grèce dans les années 2010, ce ne sont pas les chiffres de sa situation budgétaire mais la perte de confiance de la communauté financière en raison des mensonges de son gouvernement.
Si les socialistes s’associent à une alliance objective entre le RN et LFI et font tomber le gouvernement, ils seront les nouveaux « Rois Moodys » qui auront précipité la France dans les abymes.
31 mars. A coup sûr, cette date est entourée de rouge sur l’agenda de Marine Le Pen. Ce jour-là, le tribunal de Paris rendra son jugement dans l’affaire des assistants parlementaires et relaxera ou condamnera la cheffe du RN à une amende et/ou à une peine de prison avec une inéligibilité de plusieurs années, assortie ou pas de l’exécution provisoire. C’est le point-clé. Si l’exécution provisoire était prononcée, Marine Le Pen ne pourrait pas se présenter à la prochaine élection présidentielle.
Pour elle, ce serait la fin du monde, une condamnation à mort. Depuis son arrivée à la tête du FN/RN, elle a construit sa vie politique et même sa vie tout court dans la perspective de la présidence de la République. Ses deux présences aux seconds tours de 2017 et 2022 – et la progression du RN à toutes les élections - l’ont convaincue de l’inéluctabilité de son accession à l’Elysée. On remarquera que, dans les éléments de langage du RN, il n’est plus question du conditionnel « si nous arrivons au pouvoir, … », mais de l’indicatif conjugué au futur « quand nous serons au pouvoir,… ». Elle doit regarder avec envie, voire jalousie du côté de Washington où Donald Trump a été élu alors qu’il était poursuivi pour 96 chefs d’inculpation et impliqué dans l’invasion du Capitole. Et le 10 janvier, il connaitra sa condamnation dans l’affaire Storm, la prostituée dont il a acheté le silence, mais qu’elle que soit la sanction, il s’installera le 20 janvier à la Maison Blanche…
Et elle, pour une poignée d’emplois fictifs et quelques petites dizaines de millions d’€ d’argent publics détournés, le « système » briserait son destin national comme on disait autrefois ? Si « le système » fait cela, « le système » le paiera.
Si cette exécution provisoire était prononcée, Marine Le Pen ne retiendrait plus ses coups. Finis la respectabilité et le républicanisme. Populiste, elle était, populiste, elle redeviendra. Elle sera prête à tout pour déstabiliser la République, y compris à s’allier avec le diable. Cela tombe bien, le diable existe en la personne de Jean Luc Mélenchon qui ne rêve que de chaos, de renversement de la République et de destitution du Président. Ces deux-là sont faits pour s’entendre comme larrons en foire d’empoigne.
D’où l’importance de couper le PS du Nouveau front populaire. C’est justement l’objet de la 4e date sur le calendrier de l’année.
Printemps 2025. La date exacte n’est pas encore fixée mais le prochain congrès du PS aura lieu à cette saison de l’année. Ce congrès est sans doute le plus important dans l’histoire du Parti socialiste depuis celui d’Epinay de 1971 qui avait marqué le début de sa refondation avec François Mitterrand.
Ce congrès est à quitte ou double. C’est celui de la nouvelle refondation ou de la mort.
L’enjeu est de trancher le nœud gordien de la ligne politique qui empoisonne le PS. Comme raconté, dans ce billet de blog, https://blogs.mediapart.fr/philippe-dupuis-rollandin/blog/181023/fin-de-la-nupes-une-chance-historique-pour-le-parti-socialiste depuis 40 ans, le PS n’arrive pas à choisir entre une ligne social-démocrate et une ligne très à gauche. Depuis 1983, il se déchire entre la ligne Rocard et la ligne Mitterrand, il godille selon les époques entre l’une et l’autre. Hollande avait tenté, pendant sa présidence, de l’arrimer à la ligne sociale-démocrate mais il s’est fait cornériser. Depuis, c’est la ligne gauche qui s’affirme avec l’accrochage à LFI. Mais la division est toujours là. Depuis le précédent congrès, la ligne sociale-démocrate est en embuscade. Son incarnation – Nicolas Meyer-Rossignol, maire de Rouen – est le numéro 2 du parti. Son objectif avec d’autres comme Carole Delga, présidente de la région Occitanie et surtout François Hollande est de se débarrasser d’Olivier Faure et de remettre le PS sur le droit chemin, celui d’un parti de gouvernement en capacité d’avoir un projet fédérateur et d’être au centre de l’arc républicain. Dans cet axe-là, il y a, avec le macronisme déclinant, un espace à prendre ou plutôt à reprendre. Hollande cache à peine que c’est sur cette base qu’il entend construire sa candidature à la prochaine présidentielle. Et s’il tient tant à ce qu’elle ait lieu en 2027 et pas avant, c’est parce qu’il sait que le PS ne sera pas opérationnel avant. Mais le préalable de cette stratégie est de remettre la main sur le parti au printemps prochain. Et un PS responsable est un PS détaché de LFI, qui recherche et trouve des compromis et ne fait pas tomber les gouvernements comme au stand de tir à la fête foraine. D’où l’importance, pour la stabilité politique, de ce congrès.
Dans ce contexte pour le moins incertain et à hauts risques, il y a Emmanuel Macron qui apparait paradoxalement comme le seul élément de stabilité. Ceux-là mêmes qui dénoncent chaque jour «sa folle décision » de la dissolution en 2024 lui demandent – entre deux injonctions de démissionner – de dissoudre à nouveau dès qu’il en aura retrouvé le droit en juin prochain, comme si une nouvelle élection - agissant comme une ardoise magique – devait effacer l’incertitude actuelle en installant une majorité claire.
Ce résultat n’étant pas garanti, le Président semble pencher pour une autre option avec un projet de référendum suggéré pendant ses vœux. Quelle question et surtout quelle stratégie a-t-il en tête ? Cet appel au peuple, s’il doit se concrétiser, devrait avoir lieu lorsque la situation politique sera clarifiée dans un sens ou dans l’autre, la stabilité accordée à Bayrou ou le chaos à la mode Le Pen-Mélenchon.
Dans le premier cas, il pourrait être tenté de se replacer au centre du jeu avec une question relativement consensuelle. Mais, dans le deuxième cas, « si je suis désavoué par une majorité d’entre vous, ma tâche actuelle de Président de la République deviendra impossible et je cesserai aussitôt de l’exercer ». Ce sont les mots du Général de Gaulle quelques jours avant le référendum de 1969 qui a eu le résultat et donc la conséquence que l’on sait. Et si, Emmanuel Macron, en cas de blocage total, s’organisait une sortie honorable, à la De Gaulle ?
Et pendant ces jeux du cirque, le monde tourne sans la France et peut-être contre elle. Trump va s’installer à la Maison Blanche, le sort de l’Ukraine est en train de se jouer, la guerre au Proche-Orient se régionalise avec l’implication du Liban et de l’Iran, la Syrie est sur la ligne de crête, l’Otan a un avenir incertain.
Ces enjeux concernent l’Europe mais elle est aux abonnés absents pour cause de crises politiques dans les deux principaux pays de l’Union. L’ Allemagne aussi est en péril. Les élections anticipées du 23 février – conséquences de l’éclatement de la coalition – sont incertaines. Les sondages donnent l’AFD, le parti d’extrême-droite, néo-nazi juste derrière la CDU mais loin devant le SPD du chancelier sortant. Comme au Palais Bourbon à Paris, il pourrait ne pas y avoir de majorité au Bundestag à Berlin.
Mais, hauts les cœurs. Il ne faut pas désespérer. Dans la dernière scène de « la Haine », le film culte de Mathieu Kassowitz de 1995, le personnage principal tombe du haut d’un immeuble et en passant devant une fenêtre, il dit : « l’important, ce n’est pas la chute mais l’atterrissage »…