Philippe DUPUIS-ROLLANDIN

Abonné·e de Mediapart

23 Billets

0 Édition

Billet de blog 8 juin 2023

Philippe DUPUIS-ROLLANDIN

Abonné·e de Mediapart

Politique de santé : pour une grande mutation de la médecine de ville

Le véritable point faible de notre organisation de santé n’est pas l’hôpital mais la médecine de ville fossilisée dans un cadre réglementaire datant du début du XXe siècle fondé sur une logique productiviste. L’enjeu est de changer de modèle économique et social en passant d'une médecine industrielle à une médecine de service et d’accompagnement. Explications.

Philippe DUPUIS-ROLLANDIN

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« L’hôpital au bord du gouffre », « l’éclatement de l’hôpital », « la faillite », « le grand burn out des hospitaliers ». Depuis la crise du Covid, pas une semaine, pas un jour sans qu’un média ne traitre et ne titre sur la situation apocalyptique de l’hôpital. La pandémie a été un révélateur d’une situation sous-jacente depuis des années. C’est un objet de débats et évidement de polémiques politiques. François Braun, le ministre de la Santé répète tous les jours qu’il travaille à de profondes réformes.

Le risque serait que ces réformes à venir ne concernent que l’hôpital car la faillite de ce qui était autrefois jugé comme le meilleur système du monde ne concerne pas que la structure hospitalière mais l’ensemble du spectre sanitaire.

Il est temps d’avoir une approche systémique de l’organisation de santé. En effet, on parle communément du « système de santé » mais la réalité est qu’il n’existe pas de système de santé en France. En sociologie des organisations, un système est un ensemble d’éléments qui interagissent entre eux et coordonnent leurs mouvements.

Les deux principaux acteurs de la santé – la médecine de ville et l’hôpital – n’interagissent pas entre eux. Il y a même une Muraille de Chine entre la ville et l’hôpital. Les deux n’ont aucune relation, ni aucune communication. Faute de système d’information, les hospitaliers n’ont pas le dossier médical des patients qu’ils accueillent et les libéraux ont peu de retour sur le parcours hospitalier de leurs patients. Les archives du ministère de la santé, de l’Assemblée nationale, du Sénat et de la Cour des Comptes débordent de rapports qui dénoncent les surcoûts liés à cette Muraille de Chine, sans parler des pertes de chances lorsqu’il faut refaire analyses et examens.

L’hospitalo-centrisme est identifié comme le mal de notre organisation. De fait, l’hôpital est au centre du dispositif. Mais au centre de quoi au fait ? Au centre de rien en réalité. Tout converge vers l’hôpital parce que l’aval et l’amont ne fonctionnent pas. Les urgences sont engorgées parce que la permanence de soins de ville a été cassée et de nombreuses personnes restent à l’hôpital parce qu’il n’existe pas ou en nombre insuffisant de structures de soins de suite pour les accueillir après une phase aigüe ou une intervention chirurgicale. Ces personnes occupent inutilement des lits et plus encore mobilisent des ressources humaines qui seraient plus utiles à la prise en charge des patients lourds.  

Il faut donc s’attaquer à l’ensemble de l’éventail des dispositifs, à commencer par celui qui est le véritable maillon faible, le plus en décalage par rapport aux nécessités d’une santé moderne et le plus archaïque : la médecine de ville ou ambulatoire.

Cette médecine - qui n’a de libérale que le nom comme le démontre Jean de Kervasdoué dans son dernier livre *- a été conceptualisée au début du XXe siècle et a été gravée dans le marbre -pour y être fossilisée - en 1927 par une charte qui en fixe les principes : liberté d’installation, liberté de prescription, liberté tarifaire par le paiement à l’acte.

Il faut remettre ce texte dans son contexte. A cette époque, la médecine est encore peu efficace, l’hôpital ne peut accueillir que les nécessiteux et il n’y a pas d’assurance-maladie générale. La médecine de ville est une médecine pour la bourgeoisie et les classes favorisées.

Depuis, la médecine a fait mille révolutions et ce n’est pas fini avec l’intelligence artificielle, l’hôpital est un acteur majeur et la Sécurité sociale a généralisé l’accès aux soins.

Avec l’Assurance-maladie universelle, la liberté tarifaire a pratiquement disparu - sauf pour les médecins de spécialités autres que générale qui ont choisi les honoraires libres eux-mêmes encadrés - et si la liberté de prescription reste un principe, elle est sous contrôle, la CNAM surveillant du coin de l’œil les médecins ayant un comportement prescriptif atypique.

Pour autant, le cœur et le fonctionnement de la médecine de ville restent les mêmes. C’est toujours un médecin dans un cabinet qui enchaine les consultations de 10/12 minutes chrono se concluant par une prescription de 2 ou 3 lignes ou plus si nécessité ou affinité et… « Au suivant », comme dans la chanson de Jacques Brel. Le grand interprète y raconte comment l’armée pour « déniaiser » les conscrits les amène à un BMC (bordel militaire de campagne). Les jeunes recrues à la queue leu leu (c’est le cas de le dire !) attendent leur tour et toutes les 5 minutes chante Jacques Brel un adjudant crie « Au suivant, Au suivant ! »…

Comparaison choquante ? Voire. Petite anecdote personnelle. Au début de ce siècle, j’étais conseiller en communication d’un syndicat de médecins et un jour, le président de ce syndicat – personnage de grande envergure et personnalité charismatique – me dit : « A 20 € (le tarif à l’époque de la consultation), les généralistes sont obligés de faire des passes ».

Un cabinet médical est une petite entreprise qui supporte des charges immobilières, mobilières, fiscales, sociales, etc. qui représentent en moyenne 50% du chiffre d’affaires. Par ailleurs, les médecins aspirent à dégager un revenu satisfaisant. En 2022, le revenu moyen net d’un généraliste est de l’ordre de 5000 €. C’est nettement supérieur au salaire médian (2000 €) mais cela met les médecins traitants au niveau des cadres supérieurs des entreprises, ce qui n’a rien de choquant eu égard à leurs 10 à 11 années d’études et leur responsabilité.

De fait, les médecins sont pris dans une logique productiviste, façon Charlot dans les Temps modernes qui doit produire toujours plus de pièces.

Mais cette approche industrielle ne correspond plus aux nécessités d’une médecine générale moderne qui doit reposer sur une logique de service et d’accompagnement. Le médecin traitant devrait être le conseiller santé, le coach pour ainsi dire, de ses patients, celui qui anticipe parce qu’il connait leur contexte personnel, familial, professionnel, leurs addictions, etc.

On n’est passé pas loin de cette nouvelle approche. La réforme de l’Assurance-maladie de 2005 a été un espoir et s’est transformé en rendez-vous manqué. Elle a instauré le « médecin traitant » dont le rôle est d’assurer le suivi des patients et d’organiser leur parcours de soins vers les spécialistes et l’hôpital.

C’est sur le papier l’amorce d’une nouvelle approche de la médecine générale. Mais cette perspective ne dépassera pas le stade des intentions pour deux raisons.

La première est le fiasco, pour ne pas dire plus, du DMP, le dossier médical personnel, (devenu partagé ou l’inverse). 20 ans après son lancement et quelques milliards d’€ engloutis, il est toujours dans les limbes malgré les multiples tentatives de réanimation. Or, sans système d’information comment organiser un minimum de coordination et d’échange d’informations ?

La deuxième est la négociation conventionnelle entre les syndicats médicaux et la Caisse nationale d’assurance-maladie dont l’objectif était de mettre en musique les principes de la loi. Cette négociation a été engagée sur une fausse piste. Son objectif aurait dû être de déterminer les conditions qui permettraient au patient de devenir le centre de l’activité du médecin traitant. Au lieu de cela, la négociation s’est engagée sur la base de savoir comment et surtout à quel prix les médecins traitants s’engageraient dans la coordination des soins et les médecins spécialistes accepteraient de ne plus être médecin de premier recours et devenir consultant.

Résultat, en plus compliqué que les précédentes et les suivantes, cette négociation a repris les mêmes règles. La scénographie est immuable. Les syndicats représentatifs arrivent avec leur liste de courses remplie de demandes d’augmentation de la valeur des actes. En face, la Caisse nationale d’assurance-maladie refuse ou fait des propositions très éloignées des demandes syndicales. Mais, après des semaines de palabres, de portes qui claquent, de suspensions de séance et de menaces de rupture de la négociation, les deux parties arrivent, au bout d’une nuit interminable, à un compromis à mi-chemin entre les revendications initiales des représentants des médecins et les propositions princeps de la Caisse.

Les négociations conventionnelles tiennent du théâtre de boulevard et du souk de Marrakech, dans des proportions qu’il reste à déterminer.

En 2005, les médecins ont décroché le jackpot : 1 milliard d’€ de revalorisation d’honoraires en échange de vagues engagements de modération des prescriptions qui ne seront d’ailleurs pas tenus.

Mais rien qui permette d’assurer la mutation vers ce rôle de médecin d’accompagnement, de coach. Cette médecine d’accompagnement suppose de valoriser le temps. En effet, accompagner, conseiller, coacher, donner des conseils d’éducation sanitaire, faire de la prévention, orienter suppose du temps et c’est ce temps qu’il faut rémunérer.

Sans cette mutation, le système va dans le mur.
Mais, il y a une bonne nouvelle ou plutôt un espoir : les jeunes générations.

Il est loin le temps où le rêve de tout étudiant en médecine était de « visser sa plaque ». Dans son dernier atlas de la démographie médicale**, l’Ordre des médecins note « une désaffection relative mais croissante de l’exercice libéral régulier en médecine générale, expliquant une baisse plus forte qu’attendue du nombre de médecins traitants ». Ainsi, si le nombre de Français sans médecins traitants augmente, ce n’est pas à cause d’une prétendue pénurie de médecins, - l’Ordre montrant qu’entre 2010 et 2023, le nombre global de médecins en activité a progressé de 8,5% - mais parce que les jeunes médecins s’éloignent de l’exercice de ville traditionnel.

Ce qui est en cause, c’est donc bien le modèle de la médecine dite libérale. Avant de s’installer – et quand ils s’installent -, les jeunes médecins s’investissent dans le remplacement, les centres de santé, la médecine humanitaire ou exercent à temps partiel, phénomène amplifié par la forte féminisation du corps médical.

Ce n’est pas la première collectivité territoriale à prendre ce genre d’initiative mais le Conseil départemental de Vaucluse a lancé un ambitieux plan santé qui passe par la création de 9 postes de médecins généralistes salariés, déchargés de toute tâche administrative, rémunérés sur la base de la grille salariale hospitalière. A ce jour, 3 structures de ce type ont été créées dans 3 villes du département.

La première a ouvert en février, dans le chef-lieu du département, Avignon à deux pas du célèbre Palais des Papes. Alors que le département a une faible densité médicale, faute de candidat à l’installation, le Conseil départemental a croulé sous les demandes. Le premier jeune médecin recruté a déclaré dans un média local « Certains patients ont remarqué que je prenais le temps de les écouter. J'ai beaucoup de remerciements, et c'est un peu choquant, parce que cela devrait être la base pour tous les médecins, mais beaucoup manquent de temps. Pour l'instant, tous les patients m'ont choisi comme médecin traitant, certains n'en avaient plus depuis quelques années. Être médecin traitant de quelqu'un, c'est quand même beau. J'aime l'idée de pouvoir suivre le patient dans sa vie ».

Ce praticien new look exprime ce que tous ceux de sa génération ne veulent plus être, à savoir des stakhanovistes du stéthoscope. Face à un patient déprimé à cause de son environnement familial, social, professionnel, ils ne veulent plus se contenter de prescrire un anxiolytique, face à un salarié au bord du burn out, ils ne veulent plus se dédouaner en ordonnant un arrêt de travail, face à un accroc à la cigarette, ils ne veulent se contenter de préconiser un patch ou un sevrage non suivi, etc.

Cette profonde mutation d’une médecine de ville productiviste vers une médecine de ville d’accompagnement et de prise en charge est un enjeu de santé publique, et même de société. Il faut réfléchir collectivement à cette idée, notamment à la question centrale de la valorisation du temps-médecin.

Le Conseil national de la refondation, créé par le Président de la République pourrait être saisi de ce sujet qui pourrait aussi faire l’objet d’une Conférence citoyenne sur le modèle de celle sur la fin de vie.

*https://blogs.mediapart.fr/philippe-rollandin/blog/090323/politique-publique-la-sante-taillee-en-piece

**https://www.conseil-national.medecin.fr/publications/communiques-presse/publication-latlas-demographie-medicale-2023

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.