Philippe DUPUIS-ROLLANDIN

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Billet de blog 11 juin 2024

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DISSOLUTION DE L’ASSEMBLEE : LE TASER ET LE BRAS DE FER

En renvoyant les Français aux urnes après les élections européennes, le Président entend les mettre devant leur responsabilité et dire s’ils confirment leur choix en faveur du RN ou s’ils préfèrent rester dans le cadre républicain. Compte tenu du contexte, c’est le pari le plus audacieux jamais tenté sous la Ve République.

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Le résultat des élections européennes était attendu, les instituts de sondage ayant très bien analysé et anticipé les tendances électorales. Ce qui l’était moins et même pas du tout, c’est la dissolution de l’Assemblée nationale et les élections législatives express. C’est la surprise du chef pourrait-on dire.

Pourquoi le Chef de l’Etat a-t-il pris cette décision très risquée ? Il n’y avait pas d’obligation. Il est de tradition – comme je l’ai rappelé dans un précédent billet https://blogs.mediapart.fr/philippe-dupuis-rollandin/blog/140524/elections-europeennes-le-fiasco-du-politiquement-correct  – que les élections intermédiaires sont mauvaises pour le Président et la majorité en place, leurs électeurs exprimant ainsi leur mécontentement.

Pour ne prendre qu’un seul exemple, en 1983, moins de deux ans après l’élection triomphale de François Mitterrand et le raz de marée socialiste aux législatives, les élections municipales sont catastrophiques pour la gauche. Le PS perd les 31 villes moyennes et grandes qu’il avait gagnées en 1977 quand justement il était dans l’opposition et – symbole fort – Chirac qui était maire de Paris depuis 1977 gagne les 20 arrondissements de la Capitale, réalisant ce qu’on a appelé le grand chelem.

Le résultat de ces mid-term élections à la française n’entraine pas de conséquence. Après quelques turbulences et les rituels appels à la démission du gouvernement, tout rentre dans l’ordre, business as usual. Tout se passe comme si les électeurs tiraient une balle à blanc en direction du gouvernement et de la majorité.

Alors, pourquoi, aujourd’hui le Président tente-t-il le casse du siècle ? Pour une raison simple.

Quand le Président et le gouvernement disposent d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, des élections comme les municipales, les régionales et même les européennes perdues dans des proportions plus ou moins importantes, la situation est gérable, comme un orage qui passe.

Mais avec les européennes du 9 juin, on n’est pas dans ce cas de figure. Ce n’est pas une balle à blanc que les électeurs ont tiré, c’est un coup de taser, cette arme non létale mais paralysante.

La paralysie, c’est le cœur du sujet. Un RN, c’est-à-dire un parti populiste à 31,5% plus un parti socialiste qui, du haut de ses 13,6%, a aspiré une partie de l’électorat macroniste, dans un contexte de majorité relative, d’hystérisation de la vie politique actionnée par l’extrême gauche et de fébrilité sociale, c’est la paralysie assurée, c’est l’incapacité à assumer une politique.

Et en pratique, c’est le risque, pour le gouvernement, de tomber sur une motion de censure que les oppositions coalisées pour les besoins de la cause peuvent voter sur n’importe quel texte.

Le Président serait alors acculé, sur la défensive, obligé de dissoudre. C’est mal le connaitre que de penser qu’il aurait pu accepter de se trouver dans cette impasse, sur la défensive et ne pas imaginer qu’il choisisse de passer à l’offensive et rester maître du temps.

Le contexte et les circonstances sont différents mais la situation actuelle rappelle celle de mai 1968. La crise politique et sociale qui secoue alors le pays et – au sens propre – le bloque met le Pouvoir en situation de paralysie. Pour en sortir, le Général de Gaulle dissout l’Assemblée nationale et convoque les élections – coïncidence de date – le 30 juin. Bonne pioche. Ce scrutin sera un triomphe pour les gaullistes.

Certes, il ne faut pas s’attendre à un raz-de-marée macroniste le 30 juin et le 7 juillet prochain. Le lien entre les deux moments, c’est l’esprit. Emmanuel Macron s’inscrit dans une démarche gaullienne. Comme le Général en 1968, il constate la paralysie du pays et, comme son illustre prédécesseur, il considère que le seul qui peut débloquer la situation, c’est le peuple.

Il ne faut pas se tromper sur le sens de cette dissolution. Le Président place les Français devant leur responsabilité, il fait appel à leur rationalité et leur intelligence en leur demandant de relativiser leur ressenti pour répondre à une question finalement simple.

Voulez-vous vraiment que le pays soit dirigé par un parti populiste dont on connait l’histoire, proche d’une Méloni italienne, d’un Orban hongrois et d’un Trump américain, voulez-vous vraiment d’un parti déconstructeur de l’Europe, protectionniste, voulez-vous vraiment d’un parti qui fait des promesses mirobolantes, voulez-vous vraiment d’un parti xénophobe et raciste pour diriger le pays des Lumières, voulez-vous vraiment d’un parti abandonnant l’Ukraine au profit d’une alliance avec Poutine, enfin voulez-vous vraiment que le 14 juillet prochain, Jordan Bardella soit à mes côtes lors du défilé militaire ?

Emmanuel Macron attend un « sursaut » de la part des Français. C’est d’ailleurs le terme qu’il a employé, incidemment en réponse à une interpellation lors de la commémoration du massacre d’Ouradour-sur-Glane.

L’objectif de cette élection est une sorte de réplique des élections présidentielles de 2017 et de 2022 où un front républicain s’était constitué en sa faveur contre Marine Le Pen.

Dans le cadre d’une législative, pour que les Français assument le sursaut et réagissent selon une logique de front républicain, il est impératif que « l’offre politique » soit conforme. En d’autres termes, il faut que les partis politiques républicains dépassent leurs divergences – réelles et légitimes – pour permettre à tous les électeurs républicains de se retrouver sur un socle commun. En somme, il faut que les partis soient aussi intelligents que les électeurs eux-mêmes. Aux seconds tours des présidentielles de 2017 et 2022, les électeurs de gauche, de droite libérale-sociale et même d’extrême gauche qui ont voté pour Emmanuel Macron étaient loin d’être d’accord avec son projet mais l’objectif du barrage à l’extrémisme de droite l’emportait.

Cette intelligence demandée aux partis est formulée par Edouard Philippe. L’ancien premier ministre a demandé un rapprochement, pour ne pas dire une alliance, aux partis allant des LR aux écologistes en passant par les macronistes et les socialistes.

Hélas, c’est plutôt mal parti. A gauche, au moment même où Raphaël Glucksmann dressait les contours d’un rapprochement des forces de gauche autour d’un projet de renforcement de l’Union européenne, d’aide à l’Ukraine, de lutte contre l’antisémitisme et de politique sociale, - ce qui de facto exclut LFI -, les appareils des partis de gauche se réunissaient pour ranimer la flamme historique du Front populaire qui présentera des candidatures communes mais se gardaient bien d’exclure Mélenchon et ses affidés et de présenter un projet.

A droite, les LR sont éparpillés façon puzzle entre ceux qui entendent les sirènes du RN, ceux qui prêtent l’oreille aux avances des macronistes et ceux qui, tel Astérix, entendent rester le gaulois qui résiste mais on ne sait pas à quoi…

Pendant ce temps, Le RN négocie le retour au bercail de Marion Maréchal au grand dam d’Eric Zemmour qui pourrait ainsi faire office de grand remplacé….

Il reste peu de jours pour clarifier cette situation et pour que l’intelligence jaillisse des esprits politiques.

Cette dissolution est un grand moment de vérité, c’est le bras de fer entre la démocratie et le populisme.

Le pari du Président engage le pays pour des années.

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