Et si le 81e congrès du Parti socialiste - qui se tient du 13 au 15 juin à Nancy - était joué avant même d’avoir eu lieu ?
Comme raconté dans un précédent blog, https://blogs.mediapart.fr/philippe-dupuis-rollandin/blog/181023/fin-de-la-nupes-une-chance-historique-pour-le-parti-socialiste l’enjeu de ce congrès est essentiel puisqu’il s’agit de trancher le nœud gordien qui empoisonne le PS depuis 1983 : opter pour une ligne sociale-démocrate ou pour un ancrage très à gauche en restant accroché à LFI. Depuis 40 ans, à force de ne pas choisir, le PS a touché le fond avec une candidate à 1,7% à la présidentielle de 2022, une absence de projet, de programme et d’incarnation.
Nancy 2025 sera-t-il au PS, ce que Bad Godesberg 1959 a été au SPD allemand ? Réuni en congrès dans cette petite ville proche de Bonn, le parti socialiste allemand tourne alors la page du socialisme pur et dur pour une stratégie sociale-démocrate qui lui a permis d’être un parti central de la vie politique allemande depuis 65 ans, des années triomphantes de Willy Brandt et d’Helmut Schmidt jusqu’à aujourd’hui où il est dans la coalition de gouvernement ? Telle était la question.
Fin du suspens. Avant même le rendez-vous de la place Stanislas, la réponse est connue : le Parti socialiste revient dans l’arc républicain, dans une logique de parti de gouvernement, un espace où la partie se joue entre une droite républicaine, un centre et une gauche responsable incluant les écologistes ou, au moins, une partie d‘entre eux.
Ce choix stratégique - marqué par la rupture absolue avec LFI – n’était pas acquis d’avance.
Au départ, il y avait le classique affrontement entre la gauche traditionnelle incarnée par Olivier Faure et la gauche sociale-démocrate, incarnée par Nicolas Meyer-Rossignol, reprenant le clivage des grandes années Mitterrand-Rocard.
Après la catastrophique présidentielle de 2022, Olivier Faure choisit, pour les législatives, la stratégie du sauve-qui-peut en s’alliant avec Mélenchon dans le cadre de la NUPES, une alliance purement électorale entre partis en désaccord à peu près sur tout mais qui permet de conserver une représentation de poids à l’Assemblée nationale. La NUPES finit par éclater. Le PS reprend-il sa liberté et se reconstruit-il ? Non, parce que là-dessus arrive la dissolution de 2024 et il s’agit à nouveau de sauver les meubles ou plus précisément les circonscriptions – en particulier celle d’Olivier Faure - et de faire barrage au RN. La NUPES - rebaptisée Nouveau front populaire - arrivera en tête sans être majoritaire avec 192 députés. A l’intérieur de la coalition, LFI a le leadership et prétend imposer sa loi. Mais les positions du leader maximo - Hamas, 7 octobre, antisémitisme, islamo-gauchisme, clientélisme dans les banlieues – sans parler des provocations quotidiennes rendent la cohabitation de plus en plus difficile.
En interne au PS, la situation est de plus en plus tendue, d’autant qu’au congrès de Marseille en 2023, Nicolas Meyer-Rossignol a été à deux doigts de l’emporter. Cependant, Faure persiste et accroche le PS à LFI en votant la censure contre le gouvernement Barnier qui tombe, empêchant l’adoption du budget, ce qui provoque la crise budgétaire. Ce sera le début de la fin.
Fragilisé dans la perspective du congrès de Nancy, Olivier Faure joue sur le fait que son opposition est divisée en plusieurs courants : Nicolas Meyer-Rossignol, Hélène Geoffroy, Philippe Brun, Carole Delga. Seulement, voilà, début avril tout ce petit monde s’allie et signe un texte d’orientation commun qui reprend peu ou prou les propositions de Meyer-Rossignol. Faure comprend le danger. Il est seul ou presque face au courant social-démocrate. Il va perdre le congrès et son poste de premier secrétaire.
Alors, il va consommer la rupture avec LFI en commençant par un acte qui se veut fondateur : la non-censure du gouvernement Bayrou. Depuis, il n’a pas de mots assez durs contre Mélenchon, « diviseur, radical, dangereux, etc… ». Il rédige pour le congrès un texte d’orientation sociale-démocrate dont la conclusion est claire : « lors de la prochaine élection présidentielle, nous souhaitons qu’une candidature socialiste puisse opérer le rassemblement de la gauche non-mélenchoniste ». Grâce à son petit GPS politique, Olivier Faure a trouvé le chemin de Canossa.
La messe est dite. Les trois textes – Boris Vallaud propose aussi une motion - soumis au congrès étant sur la même ligne sociale-démocrate, le résultat est que le PS rentre dans le jeu pour ne pas dire le rang du bloc central républicain.
Mais à partir de ce socle, tout reste à construire. La première question est celle de l’élection du Premier secrétaire dont le premier tour a lieu le 27 mai. Sur le papier, Nicolas Meyer-Rossignol, leader du bloc d’opposition est le mieux placé. Mais, au Parti socialiste, entre les alliances contre nature, les arrangements entre amis, les petits accords du genre un poste au bureau national contre un soutien, quelques urnes plus bourrées qu’un polonais, tout est possible et la fumée blanche annonçant « habemus primium secretarium » peut réserver des surprises.
Mais, au fond, cette élection n’a pas vraiment d’importance. Le vrai sujet, c’est l’après, c’est la présidentielle de 2027. Une élection de cette importance se joue sur un projet, un programme, une stratégie et une incarnation.
Le projet et le programme ne devraient pas poser trop de problèmes, les protagonistes étant d’accord sur la ligne générale. Il y a certes des différences de sensibilité, de degré et de nature sur plusieurs sujets mais au final, il y aura une synthèse - la synthèse est à la fois une tradition et un fantasme chez les socialistes - de type auberge espagnole : chacun y trouvera un peu de ce qu’il aura déposé dans la corbeille de mariage.
La stratégie – ils sont globalement d’accord là-dessus aussi – est celle d’un rassemblement large de la gauche non extrême, « de Glucksmann à Ruffin » comme l’a théorisé Olivier Faure, en passant par tous les autres, à commencer par eux-mêmes, ainsi que l’écologiste Marine Tondelier si elle veut bien se joindre à la fête au lieu de la jouer solo. Ce large spectre n’est pas sans rappeler l’Union de la gauche des années 70-80 ou la gauche unie des années 90.
Il reste l’incarnation et c’est là que la dynamique peut se transformer en dynamite. Dans les prochains mois, on n’a pas fini d’entendre que l’essentiel dans l’intérêt de la gauche et du pays pour empêcher l’arrivée au pouvoir du RN, tourner la page du macronisme, etc. est l’unité.
Mais le poids de l’union risque de se heurter au choc des ambitions parce qu’une réalité d’évidence s’imposera : à la fin des fins, président de la République il n’y en a qu’un. Or, pour gagner, la gauche ne peut pas aligner 2, 3 ou 4 candidats. Alors quelle sera l’incarnation ? Comment la déterminer ? Selon la logique politique darwinienne du plus fort qui s’impose en éliminant tous les autres ou avec un process civilisé de type primaire ?
Ils sont nombreux sur la ligne de départ : Faure, Meyer-Rossignol, Glucksmann, Ruffin, Bouamrane, Geoffroy, Delga, et d’autres encore plus ou moins déclarés, sans oublier François Hollande que tous les autres – c’est aussi un point d’accord entre eux – ne veulent pas. Mais l’ancien président n’a pas dit son dernier mot. Il a des atouts. Par rapport à cette « bande de jeunes », il a l’expérience, la notoriété, la connaissance des dossiers. Mais ses atouts sont aussi ses faiblesses. L’Histoire a montré, de l’échec de Giscard d’Estaing en 1995 à l’humiliation de Sarkozy à la primaire de 2016, que contrairement aux assassins, les ex-présidents ne reviennent jamais sur les lieux de leur forfait….
Affaire à suivre.
Mais le plus significatif est que, par une sorte d’effet papillonesque - le fameux battement d'ailes d’un papillon qui provoque une tornade sur tout le globe - ce retour du PS dans l’arc républicain, fait bouger l’ensemble du paysage politique. Les plaques tectoniques sous la croute terrestre politique ont commencé à bouger, et chaque mouvement de plaque annonce un séisme qui impactera l’ensemble.
Pour comprendre, il faut observer les oscillations des plaques tectoniques macroniste-bloc central, Républicains et RN.
La plaque macroniste. C’est la plus en effervescence même si c’est encore à bas bruit. En 2027, le macronisme, c’est fini. Emmanuel Macron - constitution oblige - ne pourra pas tenter un troisième mandat. Et parce qu’il n’a pas su ou plutôt pas voulu ancrer le macronisme dans l’univers politique tant en termes de structure que de courant fort de pensée, ce qu’il incarne disparaitra avec lui. Le Général de Gaulle, malgré sa détestation des partis, avait pris le soin de créer un parti fort, destiné à pérenniser sa pensée, continuer son œuvre et ancrer son héritage dans l’Histoire. Pour cela, il avait façonné une génération politique – ceux qu’on appelait les barons du régime - qui a fait vivre le gaullisme et a assuré la transmission sur plusieurs générations.
Pour Emmanuel Macron, la place du macronisme dans l’Histoire restera liée à sa seule personne. Pour aujourd’hui et pour demain, le Président ne veut voir qu’une seule tête : la sienne. Aucune personnalité forte n’a émergé au cours de ses deux quinquennats parce qu’il ne l’a pas souhaité et l’a même empêché.
La question qui se pose est donc de savoir ce que vont devenir les orphelins du macronisme. L’essence du macronisme est le dépassement des clivages, le rassemblement des disparités, le fameux en même temps. Ceux qui l’ont rejoint et accompagné venaient de la droite républicaine et de la gauche sociale-démocrate. Que vont faire les uns et les autres ? Revenir à leur bercail d’origine ou tenter de constituer une force sur les mêmes bases ? Sans le ciment que constituait Emmanuel Macron, l’aventure sera périlleuse. Sans le Président inspirateur, Gerald Darmanin, Edouard Philippe, Elisabeth Borne, Sébastien Lecornu, Jean-Noël Barrot, Pierre Lescure et évidemment Gabriel Attal peuvent-ils constituer une offre et une force politique ?
La stratégie d’Edouard Philippe est de préempter l’héritage et de regrouper les orphelins du macronisme, façon reconstitution de ligue dissoute. Il a bien reçu des soutiens mais cela ne garantit rien. Il y a peu, Gérarld Darmanin affirmait son ralliement à l’ancien premier ministre mais désormais, il n’exclut pas de se présenter et de tenter aussi l’opération récupération.
Le bloc central, même étendu au centre, ne constitue pas une base suffisante. Il faut un élargissement vers la tendance sociale-libérale des Républicains. Et ce n’est pas gagné.
La plaque Républicain. Depuis dimanche 18 mai 19 h 00, elle est en pleine excitation. Parce qu’il a retaillé, dans les grandes largeurs, son adversaire, Bruno Retailleau se voit en incarnation de la droite. Mais, quel projet, quelle stratégie incarne-t-il ? La campagne interne s’est faite sur les thématiques de la sécurité et de l’immigration dont les propositions des deux candidats étaient des copiés-collés de celles du RN. Cela ne suffit pas pour une élection présidentielle. L’enjeu pour Bruno Retailleau est d’élargir la base des LR. Comment ? En se tournant vers l’extrême-droite comme le proposait Laurent Wauquiez qui voulait faire « une union des droites des Républicains jusqu’à Sarah Knafo » qui n’est rien d’autre que la plus proche collaboratrice et compagne d’Eric Zemmour ou en se rapprochant des anciens républicains repentis du macronisme comme Edouard Philippe et Gérald Darmanin ? Dans la première hypothèse, il court le risque de se retrouver en simple supplétif du RN, comme les aventures d’Eric Ciotti l’ont montré et de faire éclater les LR dont les tenants de la ligne chiraquienne d’un droite libérale-sociale sont hostiles à un tel rapprochement. Il ouvrirait ainsi un boulevard à Xavier Bertrand, ouvertement candidat et à David Lisnard, le maire de Cannes qui réfléchit à une candidature.
Dans la seconde hypothèse, il lui faudrait offrir un ticket avec l’ancien premier ministre et son collègue ministre de la Justice avec cet inconvénient que les deux revendiqueraient d’être le numéro 1 sur le ticket.
Comment le nouveau président des LR va-t-il sortir de cette nasse ? La plaque Républicain n’a pas fini de turbuler et les risques de séisme sont importants.
La plaque Rassemblement national. De ce côté-là, les certitudes se sont envolées. Conséquence de l’inégibilité de Marine Le Pen, la plaque tectonique RN est entrée en mouvement.
Le Rassemblement national a dénoncé cette inégibilité avec exécution provisoire comme une opération politique visant à empêcher Marine Le Pen d’être candidate et donc priver ses 11 millions d’électeurs d’expression. Cette position a été démentie et même taillée en pièce par…Jordan Bardella. En déclarant, dans une interview, que si la Marine ne pouvait pas être candidate, il serait « son » candidat, il a dédouané les juges du tribunal de Paris - aussi bien ceux de première instance que ceux de la cour d’appel qui vont avoir à confirmer ou non ce jugement - de cette accusation de décision politique. Les électeurs du RN ne seront pas privés d’exprimer leur préférence puisque « je serai là » dit-il en substance aux juges et pas seulement à eux, ce qui a mis le feu aux poudres au RN.
Marine Le Pen s’est sentie obligée de rappeler qu’elle était la candidate naturelle du parti et tous ceux qui n’ont jamais accepté la montée en puissance du jeune banlieusard n’ont pas manqué de faire savoir que, malgré l’initiale de son nom, il n’est pas automatiquement le plan B. Marion Maréchal-nous voilà, dépositaire et héritière naturelle de la marque Le Pen est en embuscade et elle n’est pas la seule. Au fur et à mesure que l’on approchera du procès en appel, la plaque tectonique du RN bougera de plus en plus et, si l’inégibilité de Marine Le Pen était confirmée, un séisme de forte magnitude pourrait éclater et cela ne serait pas sans conséquence sur la campagne électorale.
Tous ces mouvements des plaques tectoniques des partis ont pour conséquence que le scénario de 2027 n’est pas écrit. Les certitudes des uns – l’inéluctabilité de l’élection de Le Pen -, le fantasme des autres - un duel de second tour ente Le Pen et Mélenchon – éclatent. Avec la rupture du NFP, le retour dans l’arc républicain du PS, l’éclatement du macronisme, les affrontements idéologiques internes des Républicains et les turbulences au sein du RN, le jeu politique est beaucoup plus ouvert et le feuilleton des prochains mois sera plein de rebondissements.
Les trois coups vont bientôt être frappés. Approchez, approchez, le spectacle va commencer.