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Billet de blog 7 novembre 2024

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Daniel Pommereulle au Musée d’Art Moderne de Paris

La vie de Daniel Pommereulle éprouvée autant par le traumatisme de la guerre d’Algérie, que par l’exaltation des fulgurances de Mai 68 reste d’abord la manifestation d’un pouvoir de Voyance inspirée en voie de quasi extinction.

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Face à la traversée des catastrophes écologiques que nous vivons, l’œuvre de Danielle Pommereulle apparaît dans une lumière de prophétie surprenante et crue. Que ce soit en réponse à la violence infinie des éléments naturels qui se retournent chaque jour contre le sort des hommes ou à celle du déchaînement des pulsions guerrières animant notre temps, sa poétique de l’objet semble extraire toute la puissance de prémonition d’une vie à l’agonie, dont nous sommes toujours plus les témoins impuissants.

Illustration 1

Pourtant, cet artiste dont on peut découvrir l’exposition au Musée d’Art Moderne de Paris, à l’occasion de l’entrée en collection de certaines de ses œuvres, reste encore largement méconnu, sans doute parce qu’il a toujours cherché à s’éloigner de la logique marchande. De fait, Pommereulle a longtemps décourager son public en le confrontant à un théâtre de la cruauté auprès duquel l’Actionnisme viennois, le sadisme insatiable du body art, et la plupart des crucifixions semblent de pâles esquisses.

Illustration 2

En attaquant ses toiles à coup de lance-flammes, en plantant poignards, scalpels et crochets barbelés dans des formes de plomb et des pots de peinture aux allures de Saint Sébastien criblé de flèches, Pommereulle a carrément propulsé dans une version sous acide du Nouveau Réalisme, cette « infinie douleur » dont Hegel faisait le propre de l’art romantique chrétien. Car la violence dont son œuvre porte à un point d’incandescence rare, les stigmates de sa vie n’a rien d’une feinte cruauté. Elle renvoie à ces scènes de tortures vécues par des prisonniers algériens à qui les militaires français enfonçaient des lames de rasoir, de couteaux et autres scapels dans les yeux et les georges offertes, et dont Pommereulle resta le spectateur pétrifié du haut de ses 18 ans. Elle répond aussi à l’oppression d’un pouvoir gaulliste anesthésiant sa jeunesse, jusqu’à celle d’une civilisation épuisant la terre. La vie de Pommereulle éprouvée autant par le traumatisme de la guerre d’Algérie, que par l’exaltation des fulgurances de Mai 68 reste d’abord la manifestation d’un pouvoir de Voyance inspirée en voie de quasi extinction.

Illustration 3

En temps de crises, la tentation est grande de revenir à la restauration des formes anciennes, au « bon goût » de la tradition ou d’un certain ordre « naturel », comme autant de repères rassurants dans un monde qui se dérobe. Nous pensons plutôt que l’imminence de ces catastrophes doit inciter les artistes à être toujours plus les porteurs d’une écologie du virtuel - « petits poucets rêveurs » de subjectivités inouïes, jamais vues, jamais senties. Bref, nous persistons à croire aux modèle de l’artiste « objecteur », comme « ennemi de la réalité immédiate, briseur de carcans, pertubateur », ainsi que l’écrivait Alain Jouffroy à propos de créateurs comme Daniel Pommereulle.

Illustration 4

Regarder Pommereulle, n’est-ce pas envisager en bordure du Nouveau Réalisme et de l’Arte Povera proche, une autre façon de faire oeuvre avec les objets ? On pourrait aussi rapprocher sa singularité de celles d’Yves Klein ou d’Antoni Tàpies. Tous trois veulent être au plus près de l’espace, de l’immatériel, du sentiment océanique, et de l’infini turbulent. Lorsqu’ils utilisent la peinture, c’est pour la déborder de façon radicale, au lieu de s’en remettre à un usage fétichiste et borné du médium - comme le font trop souvent nombre de peintres promus aujourd’hui. Après son séjour en Corée et au Japon, Pommereulle finit par infléchir son travail, en délaissant la violence de ses premières créations, pour une démarche pacifiée tant graphique que sculpturale, à travers l’emploi du verre, de la pierre et de l’acier. II a franchi le mur en allant puiser les énergies cosmiques, bien loin de la violence des hommes de son temps.

Illustration 5

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