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Billet de blog 9 mai 2025

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André Rouillé, une vie à l’épreuve de l’art

André Rouillé qui vient de nous quitter, laisse une œuvre importante sur la photographie, et sur la révolution numérique qu'il avait perçue comme l’expression ultime du néo-libéralisme.

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André Rouillé vient de nous quitter. Maître de conférence à Paris-8, il est l’auteur d’ouvrages de référence sur la photographie notamment. Il fut, également, l’un des premiers penseurs de l’art contemporain à avoir pris conscience des conséquences engendrées par la révolution numérique, pour proposer de nouvelles manières de penser le statut de l’image, et celui-là même du critique d’art. Ainsi, en initiant le site internet paris-art.com consacré à l’art contemporain, la photo, le design et la danse, il tenta de faire de l’outil numérique un moyen de diffuser gratuitement des contenus textuels de qualité, sur la plupart des événements culturels de la capitale et des régions, offrant ainsi une banque de données sans pareille de l’actualité de l’art. Mais aussi une sorte de mémoire numérique à l’image de ce que fut la photographie document.

Illustration 1
capture d'écran du site paris-art.com

Dans dernier essai, La photo-numérique, une force néolibérale, André Rouillé pense internet, dans son rapport à la photographie et l’art, sur le modèle du « numérique-pharmakon »: remède et poison.
Remède, puisqu’il offre gratuitement en temps réel partout universellement en accès libre des contenus textuels et des images virtuelles, permettant ainsi à ceux qui ne pouvaient auparavant en disposer de par la distance géographique, sociale ou économique, d’accéder virtuellement à des lieux ou des données culturels. Le numérique a ainsi servi de « remède » en surmontant l’inaccessibilité des œuvres quand les galeries et les musées étaient fermés, pendant l’épidémie de Covid, en transformant les expositions, des œuvres, ou des évènements, en visites virtuelles accessibles à distance au moyen d’applications connectées.
« Mais le numérique simultanément agit comme un « poison » en modifiant significativement nos rapports avec l’art. Une visite virtuelle ne donne en effet accès ni à la matière, ni à la taille, ni à l’environnement des œuvres : elle abolit leurs aspects physiques et matériels au profit de leurs formes, de leurs qualités visuelles et symboliques. Elle les virtualise. La virtualisation des expositions et des œuvres, qui s’est accrue avec l’essor d’internet et des réseaux, est en train de franchir une nouvelle étape en inscrivant dans les pratiques et les sensibilités des individus une rupture avec l’expérience physique, matérielle, sensible et spatiale de la réception des œuvres. »

Illustration 2

En m’invitant à écrire sur son site en tant que professeur de philosophie, André Rouillé me montra qu’on ne peut jamais parler « d’art » en général, à partir de catégories abstraites ou conceptuelles, car chaque œuvre est un monde unique, chaque artiste, fut-il membre d’un collectif ou d’une école, afrodescendant, blanc, outsider, post colonisé, transgenre, homme, femme, etc. est avant tout un univers particulier, une pensée, un regard et un corps unique…Aussi, il m’apprit à regarder et fréquenter physiquement les œuvres, les expositions. Bien avant l’expérience des confinements, et la multiplication des visites virtuelles d’expositions, il me fit en quelque sorte une cure de réincarnation d’un art que j’avais trop pensé à partir d’images, et de concepts souvent vides. Il me montra comment tisser de nouveaux liens avec les œuvres, la culture et les individus qui la font vivre : artistes, galeristes…

Illustration 3
André Rouillé en visite d'exposition à la galerie Christian Berst

La première fois qu’il m’envoya faire une critique d’exposition, je n’en menais pas large. Ouvrant la porte de la galerie je vis une petite femme énergique perdue au milieu d’un dédale de corps tronqués, dépourvus de tête ou de bras ; des jambes détachées et des bustes maculés de couleur fauve. C’était la galeriste Suzanne Tarasieve qui m’accueillait avec jubilation au milieu de toutes ses toiles et sculptures de Markus Lüpertz, qu’elle s’empressait de me présenter. Je compris aussitôt que l’art se vivrait dès lors dans l’irremplaçable surprise d’une rencontre aussi bouleversante qu’inattendue. Ce qu’aucune expérience virtuelle, aucune IA ne saura remplacer…
Le site paris-art.com

https://www.paris-art.com

Illustration 4

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