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Billet de blog 16 septembre 2024

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Tomasz Machciński, star de la photographie brute

Il faut courir voir la soixantaine de photographies de Tomasz Machciński présentée à la galerie Christian Berst. Sa pratique photographique hors norme reste un testament bouleversant et unique d’un amour orphelin.

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Son oeuvre regroupe plus de 22 000 autoportraits déclinés en une variation abyssale de compositions physionomiques hétéroclites, témoignant d’une quête identitaire qui pulvérise à elle seule toutes les problématiques de genre ou les métamorphoses du Moi déjà présentes dans l’histoire de l’art - des hétéronymes de Pessoa, aux cent visages de Bowie, en passant par les séries de portraits photographiques de Witkiewicz à celles de Sélavy du jeune Duchamp. S’il exerçait le métier de mécanicien, Machciński incarnait avec entêtement le reste de son temps les stars du grand écran, les icônes de la culture pop, des figures de l’Histoire, de la littérature, de la politique, et d’autres personnages excentriques, donnant ainsi une consistance photographique brute à la célèbre formule de Nietzsche : « au fond…je suis chaque nom de l’histoire » !  

Illustration 1

Suite au décès de sa mère alors qu’il n’a que 2 ans, et après que son père meurt dans un camp de concentration, Tomasz Machciński passe son enfance en orphelinats et foyers. Orphelin de guerre, il reçoit, en soutien, un autographe de l’actrice hollywoodienne Joan Tompkins, avec la mention « Avec amour à Tommy de Mère Joan ». Ce cadeau lui a été fait dans le cadre d’un programme dit d’adoption à distance. Pendant les vingt premières années de sa vie, il restera convaincu que Joan Tompkins était sa mère. Après toutes ces années d’identification à la star, son « rêve américain » s’effondre soudainement. Il lui faudra colmater le deuil de cette identité supposée, en produisant ces milliers identités fictives comme une adresse impossible à cette mère fantasmée. 

Illustration 2

Renouvelant le plaisir enfantin du déguisement, Machciński se fait tour à tour acteur, maquilleur, costumier, archiviste, photographe et performeur, afin que ses clichés puissent mettre en scène une infinité de personnages qu’il semble endosser jusqu’à la nausée, le dépouillant ainsi de toute ressemblance à sa propre personne. Rarement la quête rimbaldienne du « je est un autre » n’avait trouvée ici une sorte d’accomplissement aussi parodique que troublant. « Au lieu de perruques ou d’artifices, je montre tout ce qui arrive à mon corps, comme : la repousse des cheveux, la perte des dents, les maladies, les processus de vieillissement, etc. » 

Illustration 3

On assimile souvent l’art brut aux créations de la folie, mais il relève bien plus de l’expression d’un délire, au sens étymologique, de ce qui sort du sillon, du droit chemin, épousant des courbes et des lignes sorcières, franchissant des limites, sous la seule logique implacable des mouvements aberrants, et des forces démoniaques qui font dévier une pratique créatrice vers un dehors qui la déborde. C’est ce dont témoigne hautement la pratique photographique hors norme de Tomasz Machciński, comme le testament bouleversant d’un amour orphelin. 

« I made it all because of you », peut-on lire dans l’une des dizaines de lettres envoyées à l’actrice hollywoodienne par cet étrange inconsollé…

tomasz machciński: american dream, i made it all because of you 

commissaires : zofia płoska-czartoryska et katarzyna karwańska

Illustration 4

exposition du 14 septembre au 10 novembre 2024

Illustration 5

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