L’art de Geert Goiris tient autant à l’effet d’éloignement qui parcourt ses photographies, qu’au sentiment de désorientation qu’elles suggèrent, dans une sorte d’exotisme sans promesse d’Ailleurs. Bon nombre de ses photographies ne donnent-elles pas à voir des constructions énigmatiques, des ruines modernes dont le béton reste le matériau privilégié ? Le photographe belge ne consacre-t-il pas une grande partie de son œuvre aux paysages solitaires qu’il découvre en parcourant les régions les plus désertiques du globe ? Sa photographie semble transposer le topos romantique de la nostalgie des ruines, et celui de la mélancolie attachée aux mondes passés, en l’appliquant à la perception de notre âge de l’Anthropocène. En ce sens Geert Goiris s’inscrit dans la lignée d’artistes tels que, Noémie Goudal ou encore de Cyprien Gaillard nous confrontant au spectacle de non-lieux quasiment dépourvus de toute humanité, à l’aune d’une pensée hantée par le spectre de l’ère post apocalyptique.
Agrandissement : Illustration 1
Le photographe né en 1971 travaille en argentique à la chambre, aucune de ses images n’est modifiée numériquement. Frappé par les larges étendues, froides ou chaudes, par leur inquiétante étrangeté, leur hostilité, mais également par leur beauté, il utilise le terme de « réalisme traumatique » pour décrire ce qu’elles lui inspirent. Cette expression dit-il, « renvoie à un état mental indiquant un point de rupture, où le tangible et la fiction fusionnent dans une sorte de micro-mystère, où le familier revêt une présence étrangère. »
Agrandissement : Illustration 2
Robinsonnades photographiques
En donnant peu d’indications sur les circonstances de leur prise de vue, les photographies de Geert Goiris n’ont donc rien de journalistique. On retrouve, ici, le déplacement de la forme documentaire qui caractérise le travail de Geert Goiris toujours à l’affût de paysages avares en traces de présence humaine. Ainsi la plupart des lieux ne sont nullement identifiable géographiquement et historiquement - le photographe s’évertuant à exclure tout marqueurs temporels, à l’intar des voitures et autres objets de notre quotidienneté.
Agrandissement : Illustration 3
L’usage fréquent du changement d’échelle renforce cette déstabilisation du regard. Ainsi, la récurrence des cavités et des excavations ne sert pas de prétexte à de simples jeux esthétisants et graphiques, mais renvoie à une forme d’allégorie que Geert Goiris revendique pour sa pratique photographique : « La distance que je prends par rapport à mes sujets pourrait presque être celle d’un extraterrestre, d’un visiteur provenant d’une autre dimension spatio-temporelle et voyant le monde pour la première fois. Lorsque tout semble étranger et nouveau, il n’y a plus de hiérarchie. Imaginez que vous rampiez hors d’un abri souterrain, après vous être cachés pendant des mois, et que vous découvriez tout un nouveau monde autour de vous, ou que vous vous réveilliez d’un long coma. » Une version postmoderne du mythe de la Caverne ?
Agrandissement : Illustration 4
Coalescence du réel et de l’imaginaire
Sur le plan formel, la complexité des photographies de Geert Goiris tient à la combinaison habile de quatre composantes hétérogènes : le caractère documentaire, la portée allégorique, la dimension graphique (par l’usage fréquent du N&B et la forme-affichage), et le statut d’image-mentale opérant une véritable coalescence du réel et de l’imaginaire. On hésite souvent à reconnaitre dans ses photographies une composition purement abstraite soutenue par ses modulations grises quasi graphiques. L’accrochage proposé par la galerie Art Concept avec la variété des formats et des supports proposés, ainsi que l’alternance du N&B et de la couleur, contribue à amplifier cette expérience de désorientation visuelle. L’exposition alterne des wallpapers, « affiches » collées au mur, et quelques photographies de différentes tailles encadrées.
Agrandissement : Illustration 5
Le wallpaper permet de produire des images de très grand format qui jouent davantage avec l’effet d’illusion tandis que la photographie, pourvue d’un cadre et d’un verre, renvoie l’image à un statut d’objet. L’aspect plat et mat de l’affiche s’intègre parfaitement au lieu d’exposition, se confondant avec les murs. Elle agit comme une fenêtre ouverte sur un autre espace, soulignant ainsi le caractère illusoire en trompe-l’œil de la photographie. Ainsi, certaines sont quasiment à l’échelle 1 et semblent avoir pour fonction d’impliquer corporellement le spectateur au cœur même des images. De plus, la forme poster (sans cadre) tend à confondre une partie des photographies avec l’étendue blanche de la cimaise, en favorisant la mémoire visuelle de chaque cliché qui finit ainsi par déborder sur ses voisins.
Agrandissement : Illustration 6
L’importance du gris dans l’art de Geert Goiris impulse une dimension abstraite à ses photographies. Cette grisaille favorise, en effet, le recul contemplatif conférant à la photographie ce caractère mélancolique dont Barthes affublait du fameux « ça-a-été » le contenu de cet art ? Il y a aussi une interprétation moins nostalgique de cette couleur. Le gris n’est-il pas propice à faire ressortir les dessins et les graphismes ? Il fait travailler l’œil, développe et aiguise sa sensibilité aux très faibles modulations de valeurs de tons, et met en valeur les autres couleurs lorsqu’elles s’emparent d’autres images.
Agrandissement : Illustration 7
Les seuls personnages apparaissant dans cette série de Geert Goiris sont dans une position de dormeur en proie à des rêves inconnus. La surface des photos devient le lieu de toutes les projections inconscientes. Le regard semble alors convié à une forme d’errance insouciante et sensuelle au plus près de cette matière photographique, où l’on rencontre parfois l’œil d’un pachyderme dans un face à face aussi énigmatique qu’improbable.
Agrandissement : Illustration 8
Exposition Geert Goiris Writing to myself galerie art concept 7 novembre 2024 - 18 janvier 2025