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Billet de blog 23 décembre 2023

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Depardieu, Satyre et comédien

La stature d’un Depardieu portraiturée en ogre insatiable et promue pour le coup « satyre et comédien » au rang de bouc émissaire ne risque-t’elle pas d’en faire la victime expiatoire d’un nouveau puritanisme aux allures de curée aussi malsaine que vaine ?

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En écho peut-être à sa propre mélancolie et à celle d’une époque déjà aussi épuisante qu’épuisée, Roland Barthes dans son dernier cours sur le Neutre évoque une espèce de fatigue éprouvée à l’égard de la prise de position, « quand on vous demande d’occuper une position ou de préciser quel est votre « rapport à », c’est là une très grande cause de fatigue ». À la fin des années 70 durant lesquelles Barthes fait son séminaire, il s’agit, encore, et avant tout de se situer par rapport au marxisme, au freudisme, au lacanisme ou au structuralisme, etc. Aujourd’hui, c’est plutôt à l’égard d’histoires sordides et de faits médiatiques, infiniment moins nobles à l’instar de l’affaire Depardieu que l’on doit se positionner. Ne pourrait-on pas opposer à cette injonction incessante de penser de façon aussi binaire que tranchée, une neutralité non pas honteuse aux allures de pusillanimité en forme de lâcheté ou de mauvaise foi impuissante, mais plutôt une attitude libre et insouciante dans un refus de prendre grossièrement parti, en exerçant cette suspension du jugement dont le scepticisme grec avait fait sa vertu comme le droit de se taire avec une pudeur taoïste quasi enfantine, plus féminine que féministe, refusant par là même de s’engager virilement sur de tels sujets à grand renfort de partis pris, de tribunes, de pétitions, de postures, de prises de parole arrogantes et de certitudes affichées ? Bref, désertons cette société du spectacle, soyons résolument opportuniste en relisant Debord ! Mais revenons au séminaire sur le Neutre du 18 février 1978 :« À tout instant, tous les deux ou trois jours, on reçoit des demandes de questionnaire de différents journaux ou de radios où on vous demande toujours de prendre position. La demande de position, le monde actuel en est plein (interviews, manifestes, signatures, etc.), et c’est pour cela qu’il est si fatigant ». C’est durant cette période que Depardieu joua dans cinq films dont  il fut aisé de reconnaître, en revanche, qu’ils étaient tous d’authentiques chefs-d’œuvre : Maîtresses de Schroeder, Le camion de Duras, Rêve de singe de Ferreri, Mon oncle d’Amérique de Resnais, et La femme d’à côté de Truffaut.

À propos du cas Depardieu dont on voudrait nous faire croire qu’il est en passe de devenir une nouvelle affaire Dreyfus façon metoo, ne pourrait-on pas paraphraser la formule fameuse de Hegel citée par Marx selon laquelle tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois ? Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce vulgaire et pathétique.

Illustration 1
Gérard Depardieu, Sous le soleil de Satan de Pialat.

Avec la question de sa légion d’honneur et de ses turpitudes obscènes tout droit sorties de l’univers grotesque de Jarry, ne pourrait-on pas reprendre également, à l’égard de cette affaire, ce que le peintre Victor Brauner disait de son chef-d’œuvre, L’étrange Monsieur K et sa série visionnaire faite quelque 80 ans avant #metoo - incarnation géniale du pouvoir phallocrate inspirée de la figure d’Ubu ?

Illustration 2
L'étrange cas de Monsieur K. © Victor Brauner

« Représenté de préférence nu avec les insignes de sa puissance : décorations, revolver, à la place du sexe et du cerveau, ridicule, mais terrifiant, il ne prend pas seulement tous les aspects des pouvoirs de la société : militaire, banquier, acteur, propriétaire, policier, serviteur de l’église, il est partout et ce peut être tout aussi bien l’individu anonyme et inoffensif que nous côtoyons quotidiennement. » 

Illustration 3
Série de Victor Brauner, L'étrange cas de Monsieur K.
Illustration 4

La stature d’un Depardieu portraiturée en ogre insatiable et promue pour le coup « satyre et comédien » au rang de bouc émissaire ne risque-t’elle pas d’en faire la victime expiatoire d’un nouveau puritanisme aux allures de curée aussi malsaine que vaine ? La juste reconnaissance de la parole des femmes trop longtemps bafouée, humiliée doit-elle justifier la mise en pâture à la vindicte populaire de ses anciennes idoles autrefois encensées au temps du machisme ordinaire ? La légitimité du combat féministe ne peut sacrifier ses buts au moyen d’un lynchage médiatique digne des heures les plus sombres du maccarthysme. Elle doit plutôt se réinscrire dans une pratique politique au côté des luttes des minorités soumises à des formes de domination et de violence dans l’anonymat de notre quotidienneté.

Illustration 5

D'ailleurs, il y a sûrement bien d’autres monsieur K qui sommeillent sous les poitrines honorables et me(r)daillées de nos fièr.e.s chevali.è.res journalistes, politicien.n.e.s, hommes & femmes de pouvoir en tout genre…

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