Suite à notre tribune "80 peintres à Orsay en 7 H 30 chrono" sur ce même blog de Médiapart, où nous critiquions vivement l'esprit de l'évènement Le jour des peintres, dans lequel nous n'avions même pas pu rentrer en raison d'une foule aussi compacte qu'interminable, le peintre Thomas Lévy-Lasne à l’initiative de cette exposition nous avait contacté pour nous faire part de ses objections à l'égard de notre billet. Nous livrons ici une part de cette conversation. Si, nous reconnaissons la générosité de Thomas Levy-Lasne dans sa démarche pour défendre les peintres qu’il rencontre dans le cadre de ses émissions sur les Apparences, et les vertus pédagogiques de cette chaîne YouTube, ainsi que sa disponibilité à débattre librement, nous ne partageons toujours pas l’orientation de la plupart de ses critiques et de ses préférences esthétiques.
Nous refusons de croire, notamment, que l’art doive renoncer, au nom d’un principe de Responsabilité exacerbé par les tragédies de notre temps, à l’immense étendue de ce qui fut pressenti dans le programme des avant-gardes esthétiques pour changer poétiquement la vie, et nos manières de percevoir le monde. En prônant un art d’arrière-garde très éloigné des expérimentations formalistes, nous craignions que cette posture ne devienne l’étendard d’une réaction commune prompte à fédérer toutes les révisions que l’on observe, entre autre, dans le champ de la poésie, sous la plume décarbonée d’un Sylvain Tesson portée par la vogue d’un « éco-art » sur fond de fièvre anthropocène ; ou dans le retour cynique et désabusé d’une littérature à la Houellebecq. Face aux menaces d’une catastrophe écologique toujours plus pressante, le créateur devrait se faire conservateur du vieux monde, en restaurant les formes anciennes. Nous pensons bien plutôt que c’est précisément l’imminence de cette menace qui doit inviter les artistes à se faire les porteurs d’une « écologie du virtuel » - inventeurs de « subjectivités inouïes, jamais vues, jamais senties ». Bref, plus que jamais nous persistons à croire aux modèle de l’artiste « objecteur », comme « ennemi de la réalité immédiate, un briseur de carcans, un pertubateur. » Parions encore sur l’espérance de « Nouveaux Réalismes », et de futures avant-gardes, portés par le désir d’une transfiguration du réel : « une façon plutôt directe de remettre les pieds sur terre, mais à 40° au-dessus du zéro de dada ».
Né en 1980 à Paris, ancien pensionnaire de la Villa Médicis, Thomas Lévy-Lasne est représenté par la Galerie Les Filles du Calvaire. Il se confronte dans sa peinture d’une manière classique à une contemporanéité de notre réalité quotidienne. Diplômé des Beaux-Arts de Paris, il travaille cinq ans pour le critique d’art Hector Obalk à filmer tous les musées d’Europe. Il anime, notamment, depuis quelques années une chaîne YouTube Les Apparences, en donnant la parole aux peintres contemporains. Il écrit, par ailleurs, dans les pages Beaux-Arts du magazine de mode CitizenK depuis six ans.

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Thomas Lévy-Lasne se bat pour une réhabilitation de la peinture, comme une revanche sur ces décennies durant lesquelles elle était carrément méprisée au grand dam des jeunes peintres en herbe...Il croit aux vertus de la collégialité, et à une conception sociable et ouverte de l’existence artistique, très éloignée des considérations néo-romantiques de l'artiste maudit. Il rêve de reproduire l’esprit des Salons qui a pu produire, les plus grands peintres de l’histoire de France, à l’instar de Chardin, Manet, ou Delacroix. Il invite les peintres à se faire une place dans les projets curatoriaux des grandes institutions parisiennes et provinciales traditionnellement tournées vers la production d’outre-Atlantique.
Le jeudi 19 septembre 2024, de 14h à 21H30, quatre-vingt peintres se sont présentés au public dans la nef du musée d'Orsay lors d'un événement exceptionnel : Le Jour des peintres. Face aux succès de l’événement, l’artiste revient sur la genèse de cette brèche ouverte dans le mur de nos institutions. En espérant qu’elle annonce un véritable printemps pour la création française.

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LA DIAGONALE DE L’ART Comment s’est fait cette sélection de quatre-vingts peintres ? Sur quels critères ? une sélection plus réduite et choisie n’aurait-elle pas été plus judicieuse, et plus prompte à favoriser la fluidité et l’accessibilité de cet événement ? Le nombre qui peut sembler l’éclat d’une force peut très vite s'avérer un obstacle, et même contribuer à l’effet zapping d’une foire fourre-tout contraignant le spectateur à n’accorder que 7 minutes chrono par artiste, d'où la critique de certains...
THOMAS LÉVY-LASNE : C'était une carte blanche aux Apparences au musée d'Orsay, afin d’organiser une rencontre entre les peintres et le public. Les Apparences c'est une chaîne YouTube dont je m’occupe depuis deux ans et demi, et qui présente la scène française. Très concrètement, j’ai interviewé des peintres de la scène française parce que personne ne le faisait. Je leur donne la parole pendant une heure, chaque dimanche à 18h - ce qui permet aux auditeurs de les identifier, de les reconnaître quand ensuite ils se rendent dans une galerie pour les rencontrer. Il y a des artistes qui sont reconnus, qui ont un parcours, et une longue carrière comme François Boisrond, et d’autres qui émergent. Le but est de documenter ce qui s'est passé dans les trente dernières années en mélangeant les générations, les sexes, les âges, les races...L’idée de départ des Apparences vise à prendre soin de mon biotope, en m’occupant des autres peintres, dans une perspective ouverte écologiste, très éloignée de l’esprit de concurrence. Parmi ceux que j'ai interviewé, je leur ai demandé s'ils voulaient bien participer à l’événement Orsay. Il y a une bonne dizaine qui ont refusé et d'autres qui ne pouvaient pas. Mais on est arrivé au chiffre rond de quatre-vingt. Ce qui m'intéresse en fait, par-delà ce chiffre, c'est de montrer une vitalité, une particularité de la peinture, qui n’est pas un courant, une thématique, ni une école, mais de montrer à quel point ça pullule, qu'il y a une énergie folle et qui n’est quasiment pas relayée dans les médias ou même sur la scène des institutions. Beaucoup plus dans les galeries, mais les galeries comme c’est quand même le seul gratuit à Paris, notamment où l’on a inventé le vide. C’est intéressant de pouvoir les montrer parce que les artistes peintres, notamment figuratifs, sont coupés de leur public.

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Il y un million de personnes qui vont voir Claude Monet au grand palais. Je pense que dans ce million-là, il y a au moins cinq pour cent des gens qui seraient intéressés par savoir qu'on existe. Donc c'était une manière de faire « un grand coucou » en passant par une institution comme le musée d'Orsay. Et si l’on ne peut pas venir au musée ce jour-là, c’est un point important, il y a aussi un site lejourdespeintres.com qui permet de découvrir les artistes à travers leurs interviews ou leurs réseaux sociaux, Instagram notamment. Et après quatre-vingt, c'est de faire un événement et pas une exposition; donc de montrer un panorama. Moi je veux bien faire des expositions précises ponctuelles, curatées au cordeau avec du bon goût dans tous les sens, il faut juste que on vienne me voir.
LA DIAGONALE DE L’ART Pourquoi avoir choisi le musée d'Orsay ; et pas d’autres musée à l’instar du MAM Musée d'Art Moderne de Paris, ou du Centre Pompidou… dont ce serait plus la vocation ?
THOMAS LÉVY-LASNE C'est eux qui sont venus me chercher ! À l’occasion de l’exposition Nathanaëlle Herbelin au printemps 2024 dans la salle des Nabis du musée d’Orsay, la jeune peintre avait parlé, outre l’influence des figures historiques de l’art, des artistes de son entourage, ses professeurs, ses contemporains qui stimulaient au quotidien sa création. Nicolas Gausserand, conseiller en charge des programmes contemporains du musée, et commissaire de l’exposition de Nathanaëlle, a alors eu l’idée de faire quelque chose autour de l’actualité de cette émulation, en montrant que l’histoire de l’art, c’est aussi des amitiés, des groupes…Elle lui a dit de me contacter, en lui parlant de ma position de peintre et de figure fédératrice pour un large groupe de peintres à travers cette plateforme, les Apparences.
Nathanaël Herbelin, je la connais depuis quinze ans, et j'ai même été la première personne à écrire un article sur elle, et je l’avais rencontré lors d’un colloque que j’avais organisé au Collège de France - elle était encore une étudiante. Aussi, très vite, Nicolas Gausserand m’a proposé d’organiser le projet Orsay comme une carte blanche aux Apparences, et sous la forme d’une rencontre entre les peintres et le public. Je faisais la courroie de transmission en proposant aux artistes que j’avais interviewé d’accepter de venir à cet événement. A savoir de rester debout pendant quelques heures à échanger avec des inconnus. Tout le monde avait envie qu'il se passe quelque chose ! Et tous les peintres ont joué le jeu en répondant au public…De fait, je ne pense pas que tous les peintres étaient complètement à cent pour cent pour le projet jusqu'au dernier moment ; en revanche dans le résultat et quand la journée s'est déroulée, dans son incarnation, je pense que tout le monde a été plutôt très convaincu par ce qui s'est passé. Même des grognons étaient émus, je pense à quelqu'un qui m'a confié qu’il avait appris à quelqu'un qui était Paul Gauguin !

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Le fait que cela réunisse des publics si différents, dans une ambiance conviviale et festive, est suffisamment rare pour le noter. Car, il y a eu évidemment des gens importants, des directeurs de musées, des grands collectionneurs, des galeristes, des critiques qui sont passés ; mais il y a aussi le quidam, « l’homme du commun » cher à Dubuffet…Et, il y avait beaucoup de gens du public des Apparences – ce public qui regarde mes émissions et qui n’ont pas eu peur d'aller voir les artistes fort de l’écoute de ces entretiens que j’ai réalisés en amont. Et, c'est un point auquel je tiens par rapport aux Apparences, à savoir que bien des gens qui n’iraient pas spontanément dans une galerie, osent franchir sa porte une fois qu’ils ont écouté l’émission, dans la mesure où ils connaissent ainsi l'artiste.
LA DIAGONALE DE L’ART - Oui, parce que vous êtes critique vis-à-vis du système des galeries, au sens où elles ne favorisent pas l’ouverture de l’art à un large public ; et participent d’une forme de clivage entre des catégories de personnes autorisées à y rentrer ( de par leur position sociale et la mondanité qu’elles véhiculent ), et ceux qu’elles dissuadent. D'ailleurs, en paraphrasant Bourdieu, ne pourrait-on pas dire que les galeries sont importantes pour ceux qui y vont dans la mesure où elles leur permettent de se distinguer de ceux qui n'y vont pas ?
THOMAS LÉVY-LASNE - Je crois qu’il y a effectivement un effet social, et j’ai vraiment du mal avec le snobisme de l'art contemporain, des galeries, dont je comprends le travail, parce qu'elles veulent faire de l'argent, etc. En revanche, en tant qu'artiste, j'ai envie d'être vu, et je pense qu'une œuvre est vivante lorsqu’elle est vue d’un public qui ne se cantonne pas à un petit nombre d’élus. Par exemple, il y a eu dix-sept mille personnes au musée d'Orsay ; aucun des artistes présents n’ont jamais eu autant de monde pour voir leurs tableaux. Certes, il y a évidemment une contre productivité là-dedans ; on fait la queue à l'entrée, c'est pénible, il faut un peu se bousculer parfois…Je suis complètement d'accord ! Mais mon propos, c'est juste de dire qu'il y avait un public pour nous. Ça aurait pu être un énorme ratage. Normalement le musée d'Orsay à cette époque-là, c'est dix mille visiteurs par jour, et là il y avait dix-sept mille personnes ! L'exposition surréaliste en ce moment à Beaubourg, hyper starifiée, fait nettement moins...Par ailleurs, pour la photographie, il y a la Maison Européenne de la Photographie, le Musée du Jeu de Paumes, Paris Photo, les Rencontres de la photographie d'Arles, etc… et la plupart des grandes institutions existantes, à l’instar du Musée d'Art Moderne de Paris, du Centre Pompidou ou du Palais de Tokyo négligent scandaleusement les peintres français ! En même temps, je ne crois pas qu’il faille que cela soit exclusivement consacré à la peinture, parce que ce serait une manière d'être médiumnisé, d'être ramené au seul médium. Et, lorsqu’on me dit que je défends la peinture, je préfère dire que je soutiens des artistes qui font de la peinture ; et je n’ai aucun fétichisme à l’égard de ce médium. Seulement, je ne comprends pas qu’il ne soit pas plus présent dans les expositions et les institutions, alors que c’est le médium privilégié par une majorité d’artistes actuels. Je n’oppose pas la peinture aux autres médiums, mais je crois que si nous étions moins dépendant du marché, de la mode, ce serait infiniment mieux pour tout le monde - puisqu'on aurait une pluralité d'expressions, comme il y a une pluralité d'animaux dans notre biotope...

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LA DIAGONALE DE L’ART - Ne pourrait-on pas parler, à cet égard, comme le faisait Félix Guattari d’écologie du virtuel à avoir en ce domaine - avec une défense d’espèces culturelles menacées semblable à la protection de celles des milieux naturels en voie de disparition ? Comme pour la biodiversité, ce sont certaines formes d’art qui semblent aujourd’hui en danger, à l’image du cinéma allemand, italien quasiment disparus à la fin des années 70. La mort « d’espèces » comme cela, est comparable à la disparition de certaines espèces d’oiseaux ou de mammifères…Sauf que Guattari pensait moins à la peinture figurative dans ses versions réalistes, pour caractériser son « écologie du virtuel », mais plus à des formations de « subjectivités inouïes, jamais vues, jamais senties ».
THOMAS LÉVY LASNE J'aime la diversité. Il faut défendre des voix qui peuvent disparaître. Et, c’est une chose à noter en politique, qu’il y a une exception culturelle pour le cinéma, la littérature, le théâtre, et pour tous les médiums…sauf pour l'art contemporain - et en particulier pour la peinture. De ce point de vue, l’art contemporain et la peinture sont à la même enseigne, je ne fais aucune distinction. Par exemple, nous sommes ainsi dans un pays très étrange où dans nos musées nationaux, 51 % des artistes sont français, alors qu’aux États-Unis, c'est quelque chose comme 80%, en Allemagne 70 %, etc. De même, les FRAC (Fonds régionaux d'art contemporain) achètent 50 % d’œuvres étrangères, deux fois plus chères en moyenne. On va vous dire : c'est parce qu'ils sont meilleurs. Parce qu'ils sont ouverts, universalistes. Que l’art n'est pas fermé sur lui-même, etc. D'accord, sauf que ce n’est pas de cette manière qu'on fait des grands artistes ! Un grand artiste, c'est un créateur qui a un rapport très sain avec la société contrairement à une certaine image d’Épinal de l’artiste maudit, toujours, très prégnante en France, à l’image du mythe de Van Gogh. Pour vous donner un exemple, il y a eu un petit reportage France 3 Île-de-France sur le Jour des peintres, dans lequel le journaliste les a présentés comme « des peintres qui ne sont pas encore morts. »

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LA DIAGONALE DE L’ART Cette vision d’un romantisme trivial qui plane encore sur les peintres accrédite l’idée que la peinture est résolument une « chose du passé » pour paraphraser Hegel ? On n’envisage pas que le peintre puisse avoir besoin d’un « écosystème vivant » où il puissent se réaliser dans une vie sociale épanouie, très éloignée de l’image de l’artiste en marge de la société ou quasiment moribond.
THOMAS LÉVY-LASNE - Effectivement, les gens au ministère de la culture sont encore complètement tributaires de cette vision de l’artiste à la Van Gogh, qu’il faudrait plutôt déconstruire ! Car Van Gogh, c'est 8 à 10 ans de peinture pour deux mille tableaux, et il en est mort d’ailleurs…C'est pas très intéressant comme carrière ! Je suis plus beaucoup intéressé par des gens comme Courbet, par exemple, qui n'aurait jamais pu peindre, s'il n'y avait pas eu le Salon - c'est-à-dire un jeu avec l'institution qui lui permet d'avoir un engagement. En ce moment, il y a un peintre français Abdelkader Benchamma, qui a reçu la commande d’une station de métro Mairie-de-Vitry de la ligne 15. Je pense que c'est avec ce genre de relations, de projets, d’initiatives très socialisante que se font les meilleurs artistes ; et qu'on ne me dise que pas que « ça ne rapporte pas d'argent », que c’est inutile, que ça n’intéresse personne …Le musée Soulage à Rodez apporte quatre cent mille visiteurs par an ! Et, dans mes 80 artistes des Apparences, il y en a bien dix qui peuvent faire ça. Il y a une demande. La preuve avec Rodez, et avec le succès de cette Journée des peintres…

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LA DIAGONALE DE L’ART - On peut s’étonner que la photographie soit toujours perçue sur un terrain concurrent avec la peinture comme à ses débuts presque. Cette confrontation est résolument passée, et la peinture s’est même emparée, depuis, de la photographie comme d’un matériau de sa création. La peinture n'est-elle pas également marquée par une forme de ringardisation dont elle a été victime, à partir des années soixante, du fait de l’hégémonie de mouvements comme l'art conceptuel, l’Arte Povera..?
THOMAS LÉVY-LASNE- Je pense que nous sommes encore dans un pays très idéologique dans sa conception même de l’art. Il reste largement associé une vision téléologique de l'histoire de l’art, arrimée à une conception hégélienne d’un progrès des formes artistiques. Et, le progressisme à atteint une sorte d’apogée au vingtième siècle, avec cette croyance qu’on allait décomposer chacun des médiums, pour en extraire leur essence - en décomposant la peinture en morceaux, au travers des diverses avant-gardes du fauvisme, du cubisme, du constructivisme, etc. Bref, ces artistes se pensaient toujours comme « le dernier des derniers », et tous les peintres s'annonçaient comme étant le terme de toute cette histoire, son point d’achèvement ultime. On finit ainsi en France avec les minimalistes, cette dernière avant-garde abstraite française avec Supports/Surfaces, et BTP, regroupant des artistes comme Dezeuze, Viallat, Buren, etc. Or, la supercherie, c’est qu’au lieu de se penser comme des ruptures singulières et d’ouvrir l’histoire, ils la referment en se pensant comme la fin de l’histoire. C’est la raison pour laquelle, j’ai pu faire une conférence en 2012 contre cette mystification au titre explicite : « Pourquoi annonce t-on le retour de la peinture tous les dix ans ? » Justement parce que notre « histoire » bute sur cette chose-là. Mais, c’est oublié qu'après le 11 septembre, après la dérive écologique, on ne peut plus vraiment nous dire que cette histoire reste un progrès. Et avec elle, c’est tout cette conception théologique qui vole en éclats et s’avère pour le coup totalement obsolète…Or, il y toujours des directeurs d'institutions très influents qui ont été formés au modernisme, et qui le restent. Ils ont du mal à se remettre en question au regard du nouveau paradigme.

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LA DIAGONALE DE L’ART - Qu’est-ce qui définit l’art d’une époque ? Ce qui doit intégrer les musées et les institutions ? Doit-on s’en remettre en l’absence, désormais, d’une avant-garde artistique à une aristocratie du goût ; celle d’un public éclairé constitué, notamment, de ceux collectionnant des œuvres ? Est-ce plutôt la critique, les commissaires ? Sont-ce les artistes « importants », étant entendu, comme le pensait Nietzsche, que l’art devrait être compris du seul point de vue de l’artiste ; mais auquel cas comment déterminer l’éminence d’un créateur auprès de ses pairs - par la technique, l’originalité, l’égo, la volonté de puissance, la cote ?
THOMAS LÉVY-LASNE - Mon point de vue, c'est juste de dire que ce sont les artistes qui sont les mieux placés pour dire ce que doit être l’art d’une époque. Il faut écouter les artistes parce que ce sont eux qui font l'art. Bref, on devrait avoir plus d'artistes, comme autant de contre-pouvoirs, dans les lieux de décision, les jurys, les commissions etc. Ainsi, s'il y avait eu un peintre, notamment, parmi les huit personnes qui ont décidé du grand projet « Nouveaux mondes" ( cette commande lancé par le président de la République, en réponse à l’impact de la crise du Covid sur les artistes, avec un programme doté de 30 millions d'Euros sur 2021-2023 ), Bernard Blistène n’aurait pas pu faire qu'il n'y ait aucun peintre pouvant bénéficier de cette manne gargantuesque.
Autre exemple qui m'intéresse beaucoup, en ce moment aux Beaux-Arts de Paris, il y a 40% d'étudiants qui font de la peinture, et il n'y a pas les capacités de les accueillir tous. Les institutions, au lieu de s'adapter à leurs besoins, ont tendance à brider leurs désirs, en les orientant vers d’autres pratiques ( vidéo, photo…) Ce n’est pas l’institution qui s’adapte à ses élèves, mais ce sont les étudiants qui doivent s'adapter à l’institution. Donc, ils vont devenir des photographes, des vidéastes contraints, contrariés... Autre exemple : le Centre Pompidou, programme constamment des poètes, des écologistes, des cinéastes, des musiciens, des danseurs, tout ce qu'on veut, mais ils n’accueillent pas la scène vivante de l'art. Ainsi, sur une année, le Centre n’a présenté qu’un seul peintre français ! C'est quand même le lieu où ça devrait se passer.
LA DIAGONALE DE L’ART - Mais pour comprendre cette situation, ne peut-on pas se demander si les peintres ne sont pas, toujours, tributaire d’un certain topos réduisant leur art à une poésie muette, dont la formule Ut pictura poesis d’Horace reste la plus célèbre ? N’est-ce pas encore un lieu commun de comparer un poème à un tableau parlant, et la peinture à un poème silencieux ? Ne retrouve-t-on pas, aussi, sa survivance dans l’image du peintre peu loquace, fuyant la communication comme la peste, et moins apte à rendre compte de son travail par un arsenal de discours et de paratextes, qu’un artiste plus « conceptuel » ? La plupart des créateurs ne sont-ils pas, de fait, contraint de se soumettre aux exigences d’un art contemporain ô combien bavard et réflexif, en devenant, avant tout, d’habiles communicants ?
THOMAS LÉVY-LASNE - Certes on a toujours considéré les peintres comme étant les moins dignes de parler de leur travail ; comme n’étant pas du côté de la parole. Ce qui est faux ! Van Gogh n’était-il pas un écrivain de génie ? On a le sentiment qu’on préfère les considérer comme ne sachant pas bien parler de leurs démarches. C’est un autre point important avec les Apparences que de montrer que sur les 92 artistes ; tous parlent extrêmement bien de leur travail. Ce sont même des experts mondiaux d'eux-mêmes ! Ces interviews témoignent qu’ils ont tous un rapport d’expertise, aussi précis qu’informé à la peinture ; qu’ils sont extrêmement cultivés, érudits... Cela renoue avec cette tradition du Salon français qui débute avec Louis XIV, et qui a duré trois cents ans, - dont certains sont rapportés par Diderot - avec des artistes comme Chardin qui était le tapissier du roi, etc. Ces trois cents ans de Salon sont une institution culturelle tenue par les artistes, à l’instar de Delacroix mettant ce « petit Manet » dans l'exposition, en argumentant parfaitement. Encore une fois, c'est un préjugé cette conception d’une « impuissance » à parler des peintres, qui les infantilisent. Je vois des vidéastes qui parlent si mal de leur travail…Dans le nombre d’artistes interviewés sur le antennes de France Culture, c’est souvent très indigeste ! Je travaille à la commission culturelle de l’Adagp, ce qui m’a donné l’occasion d’avoir des interactions avec Arte. La chaîne fait une émission qui s'appelle L'atelier A, sur des formats très court de dix minutes. Elle refuse de les diffuser à la télévision, et préfère les mette en ligne uniquement sur l’application Arte. Donc, c'est un miroir aux alouettes pour les artistes ! Et, la première chose que me dit la responsable d’Arte, quand je lui demande de faire passer l’émission à la télévision, c’est ce fameux préjugé que les artistes parlent mal de leur travail. Je suis en train de faire un film d’une heure sur le peintre François Boisron qui a souvent des réticences, de par sa timidité, à s’exprimer devant un micro ou une caméra. Et, là, il parle très bien pendant une heure…Moi qui travaille aussi dans le milieu du cinéma, il serait faux de croire que les comédiens parlent bien naturellement à la télé. En fait, ils y arrivent parce qu’on les installe avant, dans un confort et une mise en scène appropriée. Toujours est-il que les statistiques des 400 vidéos de L'atelier A sur Arte ne montent qu’à 80 000 vues seulement, alors que les Aparences, avec ses 82 artistes, c’est 450 000 vues ! En sachant, enfin, que cette émission n’a rien de très parisienne ; il y a 8% de parisiens, 5% de new-yorkais et le reste ce sont des provinciaux.

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LA DIAGONALE DE L’ART - En défendant une peinture qui se confronte, notamment, à l’image du réel, vous retrouvez, sûrement, une réflexion sur la place de l’image dans nos sociétés. Dans son livre sur le cinéma, Deleuze dit que nous avons perdu la croyance en ce monde. « Nous ne croyons même pas aux événements qui nous arrivent, l’amour, la mort, comme s’ils ne nous concernaient qu’à moitié…» Diriez-vous la même chose à l’égard des images, avec le soupçon qui les accompagnent au sein du régime des fake news, et de son écrasement numérique par le nombre, ou même de sa colonisation dans l’empire d’une marchandisation vorace ?
THOMAS LÉVY-LASNE - Effectivement, pour les jeunes aujourd’hui, le rapport à l'image est extrêmement perverti. Ils sont même pris dans une véritable tenaille, sur le mode du double- bind, coincés entre des injonctions contradictoires, avec d’une part des sollicitations toujours plus nombreuses à consommer de l’image, et d’autre part à en modérer l’usage…On est quand même à l'ère des fake news, et d’une saturation cognitive sans précédent des images de tout genre, à l'ère des manipulations en tous sens. Avoir une culture de l'image, serait très important ! Je pense que nous sommes paradoxalement dans une société qui ne croit pas au pouvoir des images ; d'un côté, on fait MeToo, et de l'autre on laisse les gamins de 12 ans regarder des films porno…

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LA DIAGONALE DE L’ART - Pour en revenir à la peinture que vous défendez, ne peut-on pas dire qu’elle relève, toutefois, d’un choix orienté vers une conception extrêmement figurative, réaliste, que d’aucuns verrons comme une restauration anti-moderne. Ne faudrait-il pas reprendre, ici, l’idée de Picabia, imaginant un « thermomètre-Rimbaud », qui introduit au bon endroit, mesure la fièvre poétique d’une œuvre à l’aune de celle de Rimbaud ? À cet examen, les dadaïstes pèteraient sans problème le plafond de la graduation; mais ne pourrait-on pas dire qu’un siècle après Picabia, nombre des peintures que vous défendez caillent sous le zéro absolu ?
Pour le dire autrement, en prônant, un art politiquement correct, très éloigné des expérimentations formalistes, en affirmant que la peinture se doit être « éco-peinture », ou ne sera pas, ne devenez vous pas le porte drapeau d’une forme de réaction commune à toutes les régressions que l’on observe dans le champ de la poésie, sous la plume décarbonée, par exemple, d’un SylvainTesson, et de cette tendance portée par la vogue d’un « éco-art » sur fond de fièvre anthropocène; ou bien de celui d’un retour au réalisme plat d’une littérature à la Houellebecq ?
THOMAS LÉVY-LASNE Lorsque je faisais de la peinture en 2000, on me disait, déjà, que j'étais réactionnaire !
LA DIAGONALE DE L’ART - Mais, c’est la même chose en poésie, en littérature, en musique …dans tous les domaines, il y a une méfiance à l’égard de ce que furent les aventures formelles et autres expérimentations esthétiques de la modernité, au nom d’un retour au sacro principe de réalité. Pierre Boulez, ne remarquait-il pas, déjà, que parmi les quelques arguments invoqués pour renier les prétentions de dépasser les cadres de la musique tonale, il y avait notamment le manque de respect vis-à-vis d'un ordre naturel des choses - en oubliant que cet ordre est lui-même historiquement et géographiquement daté ?
Ne participer-vous pas à cette entreprise de dénégation, dont un chroniqueur comme Benoît Duteurtre, récemment disparu, avait fait de son combat contre l'art contemporain son cheval de bataille, ne s'autorisant pas seulement à dénoncer l'hégémonie boulézienne sur la musique, mais en poussant sa logique de liquidation jusqu'à déclarer préférer la Traversée de Paris du sinistre Claude Autan-Lara à la totalité du cinéma issu de la Nouvelle Vague, tout en se livrant à une ahurissante réhabilitation de l'opérette ! Bref, ne prêtez-vous pas le flanc à la critique de personnalités qui assimilent votre démarche à un combat d'arrière-garde ?
THOMAS LÉVY-LASNE - Il est vrai que les romans de Bret Easton Ellis, ou ceux de Houellebecq à ses débuts, comme ceux d’Emmanuel Carrère m'ont sauvé à mes début de jeune peintre pour m’autoriser le droit de faire cette peinture. À l’instar de ce que fait mon ami Aurélien Bellanger, j’ai pu en reprendre des formes anciennes pour les revitaliser et en faire quelque chose de radicalement nouveau, en phase avec notre présent. Mon parti pris de la figuration, et du réalisme n’a rien de dogmatique - j’aime des propositions de peinture comme celles de Bernard Frize. Il y a un peintre que j’admire, par exemple, Jean-Baptiste Bernadet, et que j'avais interviewé dans les Apparences; mais il a refusé de participer à Orsay. J’avais envie qu’il fasse un immense mur de peinture. Le faux dilemme de l'abstraction/ figuration, c’est inintéressant. Ce qui me préoccupe, c’est le rapport à la figuration, notamment, chez les jeunes. Le fait de vouloir s'installer dans un rapport au réel, s'accrocher au réel me semble important au regard de la catastrophe écologique en cours. Paradoxalement, le vingtième siècle d’un point de vue de la technique a été souvent faible, par rapport aux peintres des Apparences, qui développent un goût de la matière, et cherchent souvent de nouveaux supports ou des techniques vraiment nouvelles de peinture …Ce qui n'était pas le cas de Matisse ou Picasso ; ni même Balthus.
LA DIAGONALE DE L’ART - Cela dit, il y a quand même aujourd'hui, une forme de régression au regard de l’effervescence des années soixante, notamment avec ce que furent la Nouvelle Vague, le Nouveau Roman, etc. Aujourd’hui, on revient quand même, non pas à un naturalisme, mais à un réalisme dont vous avez d’ailleurs thématisé l’esprit dans votre peinture. Encore une fois, ne vous inscrivez-vous pas dans ce mouvement qui condense toutes les attaques contre la modernité, l’avant-garde, et les appels au retour à l’ordre et à la tradition. Votre position n’est-elle pas, pour tout dire, symptomatique d’un état d’esprit réactionnaire, dont la haine affichée contre ce que fut l’esprit de mai 68, reste un thème constant de nombreux essayistes et écrivains depuis les années 2000, avec tous ces porte-drapeaux à l’instar de Muray, Duteurtre, Guillebaud, Finkielkraut, Noguez, Houellebecq, Marc-Edouard Nabe, Luc Ferry, pour ne citer que les plus célèbres… Le recours constant au vieux thème spenglerien de la décadence « C’était mieux avant ! » marié à celui, ouvertement réactionnaire de la fin de l'Histoire, et plus généralement une haine de la modernité en soi, jusque dans ses aspects les plus anodins, ne semblent-elle nourrir le credo de votre position ?
THOMAS LÉVY-LASNE - Disons que je n'aime pas cet art qui se coupe non seulement d’une certaine réalité, mais de tout public, dans une version extrêmement élitiste de la Tour d'ivoire. J'ai vu cela à la Villa Médicis où j’étais avec seize pensionnaires ; parmi lesquels deux musiciens d'avant-garde - je n'ai rien compris de leur vie, ni rien de ce qu’ils faisaient pendant un an, même s’ils étaient très sympas - mais voilà, ils étaient tous entre musiciens d'avant-garde, même durant des voyages. Je pense qu’il y a eu un effet d'épuisement des avant-gardes. Et, les seuls qui continuent d’aller à des concerts de musique contemporaine, ce sont seulement...des musiciens contemporains. Or, moi, je pense que l’art a besoin de s’ouvrir à tous. Cela ne doit pas empêcher ceux qui veulent faire ce genre d’expérimentations de les poursuivre, je suis pour la diversité - mais cela ne doit pas servir de modèle pour une création vivante ouverte à la société. Par, exemple, il y a une exposition du peintre conceptuel Claude Rutteau, disparu en 2022, à qui le Musée d’orsay a rendu un hommage l’année dernière que je n’ai pas été voir. Évidemment, avec mes positions j'ai une pression des gens proches de l’extrême-droite ou de personnes carrément réactionnaires qui viennent me voir en étant très heureux.
LA DIAGONALE DE L’ART - Voilà, parce ça peut sembler cautionner l’idée d’un art réaliste figuratif, et lorsqu’on sait, ce que l’histoire a fait du Réalisme - que ce soit celui du socialisme ou du nazisme…tout en voyant que vous revendiquez la défense d’artistes de la scène francophone, etc. On comprend que cela puisse attirer des personnes d’extrême-droite !
THOMAS LÉVY-LASNE - C’est un vrai sujet. Et, c’est drôle, parce que, justement, c'est moi qui a organisé, en 2021, une exposition de cinquante peintres vivants de la scène française « Les apparences » à Perpignan. Et je l'ai fait, précisément, parce que Louis Aliot venait d’être élu comme maire du RN dans cette ville ! Mon point de départ c'était de dire : moi j'adore Perpignan, il y a un festival qui s'appelle le FILAF ( Festival International du Livre d'Art et du Film ) qui était menacé par l’arrivée de l’extrême-droite. C’est seulement 10% en fait des Perpignanais qui ont voté pour pour Aliot ! Aussi en réaction, j’ai décidé de leur faire une exposition très belle, généreuse, en forme de gros câlin : une exposition de la scène française; en leur disant que moi aussi "je suis fier d’être Français", précisément pour pas qu'on leur laisse cette fierté-là ! Il y avait des noms bigarrés dans ma liste de peintres, et c'était la France ! Accueillante, comme elle a toujours su accueillir les artistes de l'étranger. De la même manière, j'ai été effrayé en juin dernier avec Nicolas Gausserand de se retrouver à organiser une exposition de peinture de la scène française, qui puisse se retrouver sous un gouvernement Bardella…En attendant, ce que je défends en art reste très éloigné de la ligne esthétique des municipalités du RN, à l’instar de l’ignominie kitch de la sculpture de Johnny Hallyday qui vient d’être inaugurée à Fréjus !

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Et de ce point de vue, ce serait drôle de mettre en regard cette sculpture avec celle sur la même « idole des jeunes », faite à Bercy par Bertrand Lavier, parangon d’un certain art contemporain subventionné - car je renverrai l’un à l’autre ces d’eux esthétiques, en me situant résolument dans un large entre-deux. De même, dans l’exposition le Jour des peintres, il y a certes quatre-vingt artistes majoritairement figuratifs, mais il y a 80 figurations. Et, c'est aussi important parce qu’il ne faut pas les réduire à cette seule caractéristique, en les rangeant dans le même sac d'une simple figuration. A chaque fois, c'est encore une forme de mépris ou de négligence à l’égard de la peinture même. Et, ce que je fais avec les Apparences, c’est d’accorder une attention, un soin au travail de ces artistes qu’on a tendance à classer hâtivement sous une seule étiquette. J’en suis à 82, mais je voudrais bien arriver au chiffre symbolique de 100 peintres. Et, j'aimerais bien avoir des sous-titres en anglais payés, par le Ministère de la Culture, afin qu’on puissent faire découvrir la scène française à l’étranger. Cela pourrait avoir une fonction éducative, être relayer sur un musée, par exemple. Je donne déjà gratuitement quand il y a des expos d'artistes qui me demandent, et souvent les gens ne comprennent pas que je ne gagne pas d'argent dans l'histoire. J’ai dit à Télérama, à Beaux-arts magazine, les Inrocks, Connaissance des arts, prenez mes trucs, utilisez-les ; et ils ne l'ont pas fait car cela échappe à leur habitude marchande des droits d'auteur, etc.
Mon idée c'est que ce soit utile. Avec 20000 vues, c'est 10 fois l'Olympia ! C’est quand même toucher des cœurs, des publics, qui ne vont pas forcément voir de prime abord des expositions. Cela crée des relations, du lien et de l’émulation…Cela suscite des clivages et des alliés - et j'aurais bien envie d'être copié…
Pour poursuivre le geste généreux de Thomas Lévy Lasne, son parcours en amont ou poursuivre ce dialogue au-delà de cet entretien, le visiteur peut consulter le site des entretiens vidéo de chacun des peintres des Apparences réalisés dans le cadre de la chaîne Twitch/YouTube Les apparences.

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