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Billet de blog 3 juillet 2023

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Qui va protéger de la police les minorités racisées ?

Le traitement des populations racisées par la police française est peut-être familière à un public américain, mais elle apparaît comme exceptionnelle et choquante dans la plupart des démocraties européennes.

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La fusillade à bout portant de Nahel M, 17 ans, à Nanterre par la police n'est que la dernière d'une série d'incidents meurtriers en France. C'est le troisième homicide lors d'un contrôle routier cette année. Il fait suite à 13 homicides l'année dernière. Il y a deux semaines, à Angoulême, un homme noir âgé de 19 ans a été tué par la police dans des circonstances similaires. La nouvelle n'a pas fait les gros titres parce que personne n'était là pour filmer la scène.

A Nanterre, un passant a filmé l'homicide de Nahel. Les images contredisent le rapport de la police qui a souligné que le comportement de Nahel représentait une « menace directe » pour les deux policiers sur le terrain. Ce récit est fallacieux. Nahel a été abattu parce qu'il refusait d'obtempérer à un ordre d'arrêt.

Pas de « moment George Floyd »

En droit français, le refus d'obtempérer à une injonction de la police ne donne pas à la police le droit de tuer. C'est pourquoi l'officier qui a tiré sur Nahel a été officiellement mis en examen pour homicide volontaire. Cela ne signifie pas qu'il sera éventuellement reconnu coupable d'homicide. La justice française condamne rarement les policiers.

Le président Macron a rapidement déclaré que l'homicide était « inexcusable ». Il est très inhabituel pour un chef d'État de condamner un officier. Dans la plupart des cas, personne n'ose critiquer la police, et encore moins contester sa version des faits. Macron a proféré ces paroles d’apaisement car il craignait que cet homicide choquant ne déclenche des manifestations violentes à travers la France. En effet, c'est exactement ce qu'il est advenu.

La mort de Nahel ne constitue pas le « moment George Floyd » pour la France. Les violences policières à caractère raciste sont fréquentes en France depuis des décennies. Les émeutes actuelles rappellent les événements de 2005. À l’origine, deux adolescents français d'origine arabe, Zyed Benna et Bouna Traoré, avaient été électrocutés après être entrés dans un poste de transformation électrique alors qu'ils tentaient d’échapper à un contrôle de police. L'emblématique  affaire Adama Traoré est également présente dans nos esprits : un homme noir de 24 ans est mort en garde à vue dans des circonstances qui restent floues. Une autopsie indépendante et un rapport médical ont fait état d'une asphyxie. Sept ans plus tard, les policiers impliqués n'ont toujours pas été inculpés. La liste des homicides de cas moins médiatisés serait trop longue pour en rendre compte dans cet article.

Pourquoi la question des violences policières n'est-elle devenue un sujet d'actualité que récemment ? Jusqu'à il y a quelques années, seules les personnes racisées vivant en banlieue étaient victimes de violences policières. Les médias n’en parlaient pas ou peu, et les politiciens de droite et de gauche étaient dans le déni, arguant que la police est une « force républicaine agissant pour le bien commun ». La police, en tant qu'institution, ne pouvait donc rien faire de mal.

Au cours des dix dernières années, les forces de police ont de plus en plus utilisé des tactiques brutales pour gérer les manifestations dans les centres-villes. Cela a été édifiant pendant le mouvement des Gilets jaunes à partir de 2018, et à nouveau lors des manifestations contre la réforme des retraites en 2022-23. Des centaines de manifestants ont été victimes d’actes de violence policières et d'arrestations arbitraires. Certains ont perdu un œil à la suite de tirs de « flash-balls » ou ont eu une main arrachée par des grenades de désencerclement. Les victimes étaient des individus provenant pour la plupart de la classe moyenne blanche. Les gens se rendent maintenant compte que n'importe qui pourrait être la cible de violences policières. La gauche est devenue plus critique à l'égard de la police, et l'expression « violences policières » est maintenant utilisée dans les médias.

La mère de Nahel, interviewée à la télévision française, a déclaré que le policier qui a tiré sur son fils « a vu un visage arabe, un petit enfant, et il a voulu le tuer ». Dans les banlieues ouvrières où de nombreux jeunes racisés sont intimidés, harcelés et agressés quotidiennement par des policiers, cette déclaration a certainement touché une corde sensible. Cette situation épouvantable est peut-être familière à un public américain, mais elle apparaît comme exceptionnelle et choquante dans la plupart des démocraties européennes.

Racisme endémique

Le racisme est en effet endémique dans les forces de police françaises. Les violences policières surviennent tous les jours, surtout si vous êtes un Arabe ou un Noir. Les policiers pratiquent le profilage ethnique, ce qui constitue une discrimination systémique. En 2021, dans un arrêt rare mais significatif, la Cour d'appel de Paris a conclu que les contrôles d'identité de la police sur trois lycéens d'origine marocaine, malienne et comorienne dans une gare en 2017 constituait un acte discriminatoire.

Malgré les preuves abondantes d’une telle pratique et de nombreux rapports d'ONG de défense des droits humains qui soulignent que ces contrôles d'identité abusifs visent à « humilier » les jeunes racisés, aucun gouvernement n'a pris de mesures pour résoudre le problème. Suite à l'homicide de Nahel, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a une fois de plus pointé du doigt la France et a exhorté ses autorités « à s'attaquer sérieusement aux problèmes profonds du racisme et de la discrimination dans l'application de la loi ».

Comme toujours, le gouvernement français a nié, arguant que « toute accusation de racisme ou de discrimination systémique dans les forces de police est totalement infondée ». Cette réaction est très ironique : les élites françaises estiment que la politique de « colour-blindness » au cœur de l'idéologie républicaine française est un antidote contre le racisme institutionnel. Cette croyance est l'un des héritages de la Révolution française qui a rompu avec le système inégal des ordres sous l'Ancien Régime, en postulant que tous les hommes naissent égaux. L'État ne tient donc pas compte de l'origine des personnes (qu'elles soient ethniques ou religieuses) pour déterminer si certaines populations sont victimes de discrimination. En conséquence, personne dans le mainstream politique n'est prêt à remettre en question cette conception très abstraite de l'égalité. Nous savons toutes et tous que cet « universalisme républicain » est dans les faits une plaisanterie, mais le monde politique se tait car nul en France ne saurait critiquer la sacro-sainte notion de « République » et ses « valeurs ».

Les violences policières et les homicides sont en hausse depuis une loi de 2017. Les policiers sont désormais autorisés par la loi à tirer sur les personnes s'ils estiment qu'un conducteur ou les occupants d'un véhicule « présentaient un risque pour la vie ou la sécurité physique de l'agent ». Les syndicats de police ont fait pression sur le gouvernement socialiste de l'époque et ont obtenu ce qu'ils voulaient. Un gouvernement de centre-gauche a modifié la loi sur l'utilisation des armes à feu par les agents et a réécrit le code pénal pour répondre aux souhaits de la police.

L'ONG française Ligue des droits de l'homme soutient que la loi a permis de « désinhiber » les agents car elle leur assure une protection juridique en cas d’homicide. Il est avéré que depuis que la loi a été modifiée, le nombre de personnes qui a été tué par la police (la plupart d'entre elles sont des personnes racisées) n'a cessé d’augmenter : 27 en 2017, 40 en 2020 et 52 en 2021.

La police française et l'extrême droite

L'homicide de Nahel devrait soulever la question cruciale de l'état de la police française et de l'incapacité des gouvernements successifs à la réformer ainsi qu'à mettre au pas ses syndicats de plus en plus orientés vers l'extrême droite. Après la Seconde Guerre mondiale, la plupart des syndicats de police étaient proches du Parti communiste français. Dans les années 1980, ils ont soutenu les gouvernements socialistes. Ils partagent maintenant le programme répressif de l'extrême droite en matière de maintien de l'ordre. Une majorité de policiers a voté pour Marine Le Pen en 2022.

Dans une réforme de 1995, le gouvernement a donné de larges pouvoirs de cogestion aux syndicats de police. Depuis lors, les syndicats ont conclu des accords avec les ministres de l'Intérieur successifs de droite et de gauche. Les syndicats sont devenus des organisations puissantes et politisées qui peuvent compter sur la loyauté de leurs adhérents. Ils ont la capacité de saper le pouvoir des ministres de l'Intérieur qui tentent de réformer la police. En 2020, Jean-Christophe Castaner, alors ministre de l'Intérieur, prévoyait d'interdire l'utilisation controversée de prises d'étranglement lors des arrestations, de réformer l'IGPN (composée de policiers qui jugent l’action de leurs pairs) et d'introduire des politiques de tolérance zéro pour le racisme dans la police. Les syndicats ont protesté avec véhémence et Castaner a été remplacé par Gérald Darmanin, un partisan d’une ligne dure de droite. Ce ministre très droitier a déclaré à Marine Le Pen lors d'un débat télévisé qu'elle était « trop douce avec l'islam ».

Bref, le gouvernement semble ménager des syndicats de police d'extrême droite qui veulent gérer les questions d'ordre public en France comme bon leur semble. Parler de « police de Macron », c'est donc minimiser l'énorme autonomie que la police a acquise au cours des 20 dernières années.

Comme l'historien britannique Edward P. Thompson l'a écrit : « Les émeutes sont un désastre social » pour les dominés. Les circonstances actuelles lui donnent déjà raison. Les scènes de destruction de bâtiments publics (des commissariats, mais aussi des écoles, des bibliothèques, des mairies et des bus) ainsi que le pillage de magasins ou l'incendie aléatoire de voitures dans la rue, sont condamnées par le public. La plupart des habitants des banlieues disent qu'ils comprennent la colère des jeunes mais qu'ils désapprouvent leur action. Ce sont les résidents ouvriers des zones défavorisées qui vont être impactés par ces destructions. Sur les réseaux sociaux, des racisés expriment leur inquiétude. Ils estiment que l'incendie d'une école est un acte qui ne rend pas hommage à Nahel. Ils craignent que ces actions donnent raison à leurs détracteurs racistes et permettent à Macron de faire adopter de nouvelles lois répressives qui restreindront encore davantage les libertés publiques.

Marine Le Pen et Éric Zemmour vont profiter pleinement de la situation en arguant (ils ont déjà commencé à le faire) que ces « racailles ne respectent pas la France », et « ne veulent pas s'intégrer ». Ils vont prétendre que « le multiculturalisme français a échoué », alors qu'en fait la situation est tendue racialement parce que la classe politique et la police rejettent l'idée même que la France soit un pays multiculturel, ce qui est pourtant un fait. La gauche, sous la direction du mouvement populiste France insoumise, est trop faible et n'a aucune influence sur les populations ouvrières de ces zones défavorisées. La situation est extrêmement préoccupante car les émeutiers actuels semblent moins politisés que leurs prédécesseurs en 2005. Ces jeunes sont en colère, bouleversés et sans repères politiques. Entretemps, qui va protéger de la police ces jeunes racisés ?

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Traduction française effectuée par Google Translate d’un article en anglais qui est paru le 3 juillet 2023 sur le site de CounterPunch, revue de gauche radicale américaine : https://www.counterpunch.org/2023/07/03/who-will-protect-frances-ethnic-minorities-from-the-police/

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