Donc, près de 70% des Français regrettent le franc, selon un sondage commandé par Paris Match, magazine à la pointe de l'information économique. Dans la nostalgie qui sent bon le renfermé, on a connu pire: les Portugais considéraient il y a peu, selon une enquête d'opinion (manipulée), que le dictateur Antonio de Oliveira Salazar était le plus grand homme de leur histoire. Avancer en regardant dans le rétroviseur n'est pas la meilleure façon de marcher.
Alors, aux nostalgiques du contrôle des changes et du carnet allant avec, à l'époque heureuse des bouchons sous la canicule pour franchir la frontière du Perthus, aux masochistes qui pleurent sur les week-ends passés à attendre la nième dévaluation de la monnaie nationale (et le plan de rigueur qui suivait), à ceux qui ont dans le cerveau, sinon sur la tête, un béret «français» et pensent que la monnaie unique est responsable du prix élevé de la baguette, autre accessoire indispensable de la «gaulitude», on se contentera de faire quelques rappels.
Pas simplement, comme l'ont déjà fait nombre de commentateurs, le fait que l'euro a certainement préservé ce pays de turbulences financières encore plus violentes, qui compte tenu de la détérioration de sa compétitivité externe, se seraient très certainement traduites par une crise de balance des paiements et une nouvelle dévaluation.
Pas uniquement que les pays de la zone euro ont créé, de 1999 jusqu'au déclenchement de la crise mondiale, beaucoup plus d'emplois nets (14 millions) que cela n'avait été le cas au cours de la décennie précédente.
Pas même que le phénomène de l'inflation perçue, liée à la hausse des prix de produits achetés très fréquemment, a fait l'objet de nombreuses études démontrant qu'elle était sans commune mesure avec l'inflation réelle, qui prend en cause l'ensemble des consommations et notamment celles de biens durables, produits industriels dont les prix ont en fait baissé, soit en valeur absolue, soit en valeur relative parce que leur contenu a été considérablement enrichi (cas typique de l'automobile).
En dix ans, non seulement certains prix ont progressé (rien ne dit que cela n'aurait pas été pire avec le franc compte tenu de l'inflation importée par une monnaie chroniquement faible) mais les modes de consommation ont évolué, de manière spectaculaire dans certains domaines comme la téléphonie mobile, qui a conquis dans le budget des ménages une place que personne ne semble trouver choquante.
En réalité, la hausse des prix en euro, quand elle a eu lieu, s'est manifestée surtout dans deux catégories de produits ou de services. D'abord, ceux qui sont liés à l'évolution de la demande mondiale, comme le pétrole (bien que les prix des produits pétroliers n'aient jamais retrouvé les sommets historiques du début des années 80 en dollar constant, grâce à la force de l'euro notamment) ou les matières premières agricoles. Gageons que si le prix à la consommation du sucre s'envole cette année, les nostalgiques du franc blâmeront l'euro et non les mauvaises récoltes en Inde et au Brésil. Par ailleurs, ceux qui attribuent à l'euro la hausse des prix des produits agro-alimentaires seraient bien inspirés d'aller voir du côté de la Politique agricole commune et de l'organisation des filières de distribution.
Et en second lieu, les services, devenus le moteur principal de l'inflation, comme l'ont expliqué les études de l'OCDE, et notamment les services protégés de la concurrence internationale par leur proximité avec le consommateur. Dans la formation de leurs prix, entrent au demeurant des éléments qui n'ont rien à voir avec l'euro, comme la hausse des loyers là où l'immobilier a flambé, et encore la charge en progression constante de la protection et des transferts sociaux.
En réalité, la création de la monnaie unique était indispensable au fonctionnement du grand marché intérieur européen, qui sans cela serait aujourd'hui en voie de dislocation, mais en retour, l'achèvement du marché intérieur était une condition d'un fonctionnement optimisé de l'euro. Sauf erreur, c'était l'ambition de la directive sur les services, la tant décriée directive Bolkestein, que la France a contribué, plus que tout autre pays, à vider de son contenu. En dépit des efforts réels poursuivis, à l'échelon européen, dans la lutte contre les cartels et les comportements anticoncurrentiels, s'il y a un responsable à la hausse des prix des services, c'est le manque d'Europe.
Publié initialement sur Orange.fr le 22 février 2010