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Billet de blog 3 juin 2009

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Elections européennes: votez Verhofstadt!

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Aux élections européennes, j'ai décidé de voter Guy Verhofstadt. Ah, me direz-vous, mais il est belge, qui est plus est flamand et candidat outre Quiévrain. Aucune importance. Le fait que les électeurs européens, au début 21ème siècle, soient encore prisonniers de frontières figées au 19ème, tient à un regrettable anachronisme que le philosophe italien Toni Negri a qualifié de «saloperie d'Etat-nation». Donc dimanche, je voterai en France par nécessité, mais pour Verhofstadt, par libre choix européen.

D'abord, à l'heure où une Rachida Dati fait la fine bouche devant la perspective d'aller siéger quatre jours par mois à Strasbourg (quelle punition, en effet!) et le reste du temps à Bruxelles, j'aime l'idée qu'un ancien Premier ministre, personnalité politique la plus populaire en Flandres comme en Wallonie, décide de quitter la scène nationale pour s'investir dans le fonctionnement d'une institution-clef du projet européen. Et contrairement à l'histrion italien Berlusconi, tête de liste de son parti dans toutes les circonscriptions italiennes, Verhofstadt n'est pas un homme-sandwich. Il s'est engagé à remplir le mandat que lui confieront les électeurs.

Ensuite, voter Verhofstadt, c'est voter contre Barroso. En 2004, le chef du gouvernement belge était candidat à la succession de Romano Prodi à la présidence de la Commission européenne. Libéral issu d'un petit pays, il avait initialement les faveurs du couple franco-allemand mais se heurta au veto intransigeant de Tony Blair. Le crime de Verhofstadt ? Son opposition résolue à l'aventure militaire américaine en Irak, dans laquelle Blair joua le supplétif du bushisme à front bas. A l'inverse, José Manuel Durao Barroso, c'est le quatrième homme sur la photo du sommet de Lajes aux Açores où, alors à la tête du gouvernement portugais, il joua les amphitryons pour Bush, Blair et Aznar, le premier ministre conservateur espagnol, à la veille du déclenchement de l'invasion de l'Irak par «la coalition des volontaires».

Militant des «Etats-Unis d'Europe» (s'il n'en reste qu'un...),Verhofstadt a plaidé la création, hors de l'Otan, d'un état-major européen doté de capacités de planification des interventions militaires indispensables dans la guerre moderne. Verhofstadt s'est battu, sans succès, pour une défense européenne autonome. Barroso est lui accusé par l'eurodéputé socialiste sortante Ana Gomes d'avoir fait du Portugal, quand il en dirigeait le gouvernement, une plaque tournante des vols clandestins de la CIA exfiltrant vers Guantanamo les «ennemis combattants» capturés par les Américains. Sarkozy, qui a décidé que la France devait réintégrer le commandement militaire de l'Otan, soutient, certes sans enthousiasme, la reconduction de Barroso à la tête de la Commission européenne. Voter Verhofstadt, c'est voter contre Sarkozy.

Sous la première présidence de Barroso, il s'est produit un événement considérable pour l'avenir de la construction européenne: la Commission de Bruxelles, «l'exécutif européen», a cessé d'exister. Disparue, évanouie, volatilisée. De l'aveu même de Jean-Pierre Jouyet, petit mitron de la présidence sarkozienne de l'Union européenne au second semestre 2008, elle a été remplacée par un «secrétariat général du Conseil» européen, dont la fonction consiste à demander servilement l'avis des «grands» Etats membres avant de lever le petit doigt. Pendant «l'hyperactive» présidence française, Jouyet (qui travailla longtemps à Bruxelles auprès de Jacques Delors) semblait s'en accommoder fort bien. Mais il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis.

Comme l'écrivait récemment le commentateur portugais Daniel Oliveira, «il est vrai qu'au moment où le monde se débattait dans une crise économique, Barroso a donné des preuves irréfutables de son inexistence politique. Il est vrai qu'il n'y a pas un seul journal européen de référence qui ne tire un bilan catastrophique de son mandat. Il est incompétent. Mais c'est notre incompétent. Et exiger d'un concitoyen qu'ils fasse preuve de compétence c'est, comme on sait, manquer de patriotisme et faire preuve de sectarisme idéologique». Et c'est ainsi que le socialiste portugais José Socrates appuie la reconduction du conservateur portugais Barroso, avec l'appui du travailliste Gordon Brown et du socialiste espagnol Zapatero. Et voilà pourquoi la grande famille unie du socialisme européen n'a pas de candidat à la présidence de la Commission européenne.

Rappelant que les Obama ont choisi pour animal domestique un «cao d'agua» (chien nageur) portugais baptisé ‘Bo', Oliveira conclut: «comme on l'a vu à Lajes, nous avons été taillés pour ce rôle». Et «avec les deux pieds de Barroso à Bruxelles et les quatre pattes de ‘Bo' à Washington, le monde nous appartient».

Simplement, la cause européenne n'a pas besoin à la tête de la Commission d'un caniche (avec qui le cao d'agua affiche un air de famille) mais d'un chien de garde et d'attaque. Gardien des Traités, des équilibres institutionnels et politiques, notamment entre grands et petits pays, entre libéralisation et régulation, entre concurrence et intérêt général, entre progrès économique et solidarité sociale. A l'offensive pour qu'entre des Etats-Unis affaiblis et des pays émergents qui...émergent, la crise financière globale sonne l'heure de l'Europe, et non celle de son effacement.

Et pour cela, Guy Verhofstadt à un plan. D'abord les initiatives présentées dans «Sortir de la crise», livre sous-titré «Comment l'Europe peut sauver le monde» (André Versaille éditeur et Actes Sud), qu'il présentait à Paris vendredi dernier. «Il arrive», répliquait il y a peu François Bayrou sur France-Culture, «que des hommes politiques écrivent les livres qu'ils signent». C'est manifestement le cas de l'ancien Premier ministre belge, qui a vraiment bossé pour tenter de comprendre et expliquer la crise financière mondiale. Dans un ouvrage qui, lui, parle d'Europe et de cela seulement.

S'indignant de la modestie et de l'incohérence de la relance européenne (que chaque pays a concocté dans son coin pendant l'admirable présidence française), il propose ainsi un programme communautaire de mille milliards d'euros, dont 600 milliards pour la recapitalisation des banques européennes, très en retard sur leurs rivales américaines dans le nettoyage de leurs bilans, et 400 milliards pour l'investissement (soit 3% du PIB) dans une économie européenne «non fossile».

Faute de quoi, redoute le FMI, l'UE resterait en 2010 et 2011 la seule zone de la planète engluée dans la stagnation économique, comme le Japon des années 90. Pour financer ce programme, il suggère de créer un marché obligataire authentiquement européen, reprenant au passage une idée présentée ici-même (la mutualisation partielle de la dette publique européenne) afin que l'épargne abondante des Européens finance la croissance et l'avenir de l'Europe, et pas celle des Etats-Unis.

Guy Verhofstadt démontre ce faisant qu'il a assimilé trois idées simples mais décisives : pas de sortie de crise sans assainissement complet du système bancaire (nous en sommes loin); relance, oui, mais par l'investissement et non la consommation ; impératif catégorique de la maîtrise de sa propre intermédiation financière par l'Europe. De combien d'hommes politiques peut-on en dire autant ?

«La Commission européenne doit avant l'été présenter cet ‘europlan' au Parlement européen et au Conseil. Elle seule a le droit d'initiative», rappelle-t-il. Et c'est ici qu'intervient le volet politique du projet Verhofstadt : faire naître au sein du prochain Parlement européen, dont le poids sera encore accru par le Traité de Lisbonne, une nouvelle coalition qui contraigne la Commission à tenir son rôle. «Ma critique (à l'égard de la Commission Barroso) n'a rien de personnelle, dit-il, mais la méthode est mauvaise. Quand il n'y a rien sur la table, les Etats membres font ce qu'ils veulent».

«Le Parlement européen doit forcer la Commission à venir avec une stratégie». Pour cela, «il faut espérer que l'on ne retournera pas aux mœurs du passé, à l'alliance classique entre le PPE (conservateurs) et le PSE (socialistes) pour des accords politiques sans aucun contenu qui ne servent qu'à se partager les fromages». «Une autre majorité existe, mais elle n'est pas organisée», estime-t-il. C'est pour y travailler que Guy Verhofstadt veut aller à Strasbourg.

On aura compris qu'il y a plusieurs bulletins de vote disponibles en France pour voter Guy Verhofstadt le 7 juin. Pas l'embarras du choix mais un choix tout de même.