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Billet de blog 3 juillet 2010

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Yuan: la Chine préempte le G20

Avant même le sommet du G20 les 26 et 27 juin à Toronto, le principal, sinon le seul, résultat concret de ce nouveau conclave des puissants de ce monde, est déjà connu: la Chine a décidé de mettre fin à deux années de gel de la réévaluation progressive de sa devise, le yuan, entamée en 2005.

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Avant même le sommet du G20 les 26 et 27 juin à Toronto, le principal, sinon le seul, résultat concret de ce nouveau conclave des puissants de ce monde, est déjà connu: la Chine a décidé de mettre fin à deux années de gel de la réévaluation progressive de sa devise, le yuan, entamée en 2005.

Comme pour leur plan de relance massif en 2009, les dirigeants de Pékin ont agi avec un sens aigu du «timing», afin de tirer le meilleur parti diplomatique d'une décision qui était attendue cette année.

Après 24 mois de «peg» (lien fixe) avec le dollar US, justifié par la recherche de stabilité au milieu des turbulences provoquées par la crise financière globale venue des Etats-Unis, le yuan va donc retrouver un régime de «flottement contrôlé» sous la surveillance étroite des autorités chinoises. Ce qui veut dire qu'il pourra évoluer à la hausse, mais aussi à la baisse, vis-à-vis d'un panier de monnaie dans lequel le billet vert est toujours en position dominante mais qui inclut la monnaie unique européenne. Depuis l'annonce de ce changement le 19 juin, le yuan a de fait bougé dans les deux sens, manière de mettre d'emblée les points sur les «i». Il se situait néanmoins le 24 juin à son niveau le plus élevé face au dollar depuis 1993.
Personne ne s'attend à ce que la devise chinoise s'envole, ni même qu'elle retrouve le rythme d'appréciation (20% en trois ans) qui était le sien avant la crise financière. Pékin va gérer le mouvement au rythme qui lui conviendra et en fonction de ses objectifs.
Quels sont-ils ? D'abord éviter que l'économie chinoise ne soit déstabilisée, comme tant de pays émergents en ont fait l'expérience dans le passé, par l'afflux, puis le reflux, de capitaux flottants jouant la réévaluation. Ensuite, maintenir l'appréciation du yuan en phase avec le rééquilibrage progressif de la croissance vers plus de demande interne et une moindre dépendance à l'égard des exportations. Et avec la consolidation d'un système financier qui demeure structurellement fragile. Il faut d'ailleurs rappeler sans cesse que la Chine est avant tout une vaste économie continentale tirée par la demande interne et l'investissement. Ses considérables excédents commerciaux sont apparus seulement au début de ce siècle, alimentés par un appétit occidental (et notamment américain) stimulé artificiellement dans des conditions que la crise a révélé.
Sur le très long terme, une devise plus forte est évidemment dans l'intérêt bien compris des Chinois. Il faut être Français pour croire que la dévaluation ouvre durablement le chemin de la croissance et de la prospérité. L'appréciation régulière de la devise est en effet un bon instrument de contrôle de l'inflation dans une économie en pleine expansion, sujette à des phases de surchauffe. Elle procure en outre une amélioration des termes de l'échange sur les marchés de matières premières cotés en dollar, où la République populaire est devenu le premier acheteur mondial.
Par ailleurs, Pékin est engagée dans une stratégie à très long terme, quinze ans ou plus, lui permettant de sortir du «piège» mercantiliste ayant conduit le pays à accumuler d'énormes créances en dollar, dont on peut douter que les Etats-Unis les honorent. Sortir de ce piège, c'est aussi étendre progressivement le rôle du yuan dans les échanges commerciaux internationaux. Une ambition accessible seulement à une monnaie forte, stable et librement convertible.
Tout à fait accessoirement, désancrer le yuan tout en tenant fermement la chaîne peut contribuer à calmer les ardeurs belliqueuses de certains élus américains qui accusent la sous-évaluation de la devise chinoise d'être responsable du déficit abyssal des comptes courants des Etats-Unis. En oubliant que la réévaluation massive du yen japonais dans les années 80 n'a jamais fait disparaître les excédents commerciaux nippons vis-à-vis des Etats-Unis. Pour une raison simple: le déficit extérieur est fonction du niveau d'épargne intérieure. Tant que les Américains vivront à crédit au-dessus de leurs moyens, le commerce extérieur des Etats-Unis restera dans le rouge. Pour paraphraser Al Gore, une «vérité inconfortable».

Publié initialement sur Orange.fr, le 24 juin 2010