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Billet de blog 5 avril 2008

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Notre maître venu du froid

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Jan Kristiansen, né en Norvège, était un maître, un «sensei» comme disent les Japonais, un passeur de savoir et de sagesse. Un homme à la parole lente et à l’esprit agile. Un journaliste formé à l’école de la vie, pas à celle des écoles.
De Jan, qui vient de nous quitter à 75 ans, je conserverai toujours le souvenir de ces derniers petits matins de réunions annuelles du FMI et de la Banque Mondiale, à Washington, quand le personnel technique entreprenait déjà de démonter le centre de presse, installé pour quelques jours dans le parking souterrain de l’hôtel Sheraton.
Jan, à son rythme, termine un papier, s’accroche à sa table, à sa chaise, à son ordinateur. Le dernier, dans la sinistre salle depuis longtemps désertée par les confrères venus des quatre coins du monde.
OPEP, OCDE, GATT puis OMC, G5 puis G7, etc. : son univers pendant plus de trois décennies, fut celui qui se cachait derrière ces sigles, là où s’élaborait tant bien que mal une gouvernance mondiale et dont les décisions, parfois bonnes, souvent mauvaises, ont pesé si lourd dans nos vies quotidiennes.
Comme tant d’autres journalistes passionnés par l’économie internationale, ceux qui restent encore à l’Agence France-Presse, les très nombreux qui l’ont quitté depuis plus ou moins longtemps, j’ai reçu de Jan des enseignements précieux. N’est-ce pas Isabelle, Christine, Jacques et Jean-Jacques, Jean-Luc et Jean-Louis, Eric, Peter, Bobby, Anil, David et les autres…?
D’abord, cultiver ses sources comme on soigne des arbres, avec patience, méticulosité, distance mais aussi sympathie. Elles vous le rendront au centuple.
Travailler dur, d’autant plus que la matière est complexe, aride souvent. Même si le temps manque, surtout en agence, il faut savoir ce que signifie un terme technique, une définition, un concept. Goût de la précision qui s’est perdue quand on qualifie désormais de «sommet» le moindre conclave ministériel.
Aimer cette matière, justement parce qu’elle résiste, qu’elle est ingrate, voire franchement revêche. Refuser la facilité, le raccourci, l’approximation.
Ne pas oublier le contexte, l’histoire, qui donnent toute sa valeur, tout son sens, à la nouvelle, petite ou grande.
Privilégier avant tout la substance, la «vitesse» dût-elle en souffrir. Aller dénicher au fond d’un épais rapport officiel l’idée originale, la citation inédite, la pépite cachée qui, hasard ou propos délibéré, rompt fugitivement avec la langue de bois.
Son audience, Jan, qui écrivait surtout en anglais mais aussi en français, l’avait trouvé avant tout en Asie, où ses dépêches étaient attendues par les rédactions et les lecteurs. Et reproduites intégralement, signature comprise. Pas recopiées ou pillées sans vergogne, selon la pratique détestable de la presse française.
Agencier anonyme, Jan ? Pas pour les innombrables journalistes, clients ou concurrents, qui passaient aux bureaux «déportés » de l’AFP solliciter sa mémoire, son expertise ou son carnet d’adresses. Et avec qui il manifestait, comme avec nous, la patience d’un grand frère indulgent.
Voyager et travailler avec Jan, avoir été pendant ses dernières années à l’agence, non pas son «chef» mais son interlocuteur et son complice, sans jamais cesser d’apprendre, ce fut une joie et un honneur.
Adieu «Viking», repose en paix en terre de France.