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Billet de blog 5 avril 2012

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Les Français keynésiens dans leur tête, «ricardiens» en pratique

Comme citoyens et électeurs, les Français, très majoritairement, sont étatistes et keynésiens. La vraie «pensée unique» en ce pays, contrairement en ce qu'affirment ses propagandistes qui se présentent abusivement comme des "résistants" à "l'utltra-libéralisme", c'est la religion de l'Etat et de la dépense publique. C'est elle qui occupe les estrades, de «droite» comme de «gauche», les médias et les étalages des librairies.

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Comme citoyens et électeurs, les Français, très majoritairement, sont étatistes et keynésiens. La vraie «pensée unique» en ce pays, contrairement en ce qu'affirment ses propagandistes qui se présentent abusivement comme des "résistants" à "l'utltra-libéralisme", c'est la religion de l'Etat et de la dépense publique. C'est elle qui occupe les estrades, de «droite» comme de «gauche», les médias et les étalages des librairies. Le libéralisme, dont l'économiste anglais David Ricardo fut un des pères fondateurs, est en France une petite minorité «non visible». Dans la vie réelle, toutefois il en va différemment. Démonstration par le taux d'épargne.

En 2011, selon l'INSEE, le taux d'épargne des ménages français, dont l'addiction pour le bas de laine est atavique (souvenons nous des emprunts russes), a fait un nouveau bond en avant. A 16,8% des revenus, il s'est inscrit au plus niveau depuis 1983, surpassant même les 16,5% atteints en 2009, au plus fort de la tempête financière mondiale. Il évoluait autour de 15% avant la crise, en 2006.
C'est la démonstration de ce que les économistes appellent des «anticipations ricardiennes», dont le mécanisme (affiné plus tard par Robert Barro) a été décrit par Ricardo en 1821 dans «Principe de l'économie politique et de l'impôt». Méfiants dans la capacité de l'Etat à maintenir indéfiniment un train de vie dispendieux, convaincus (et comment en serait-il autrement ?) que les déficits d'aujourd'hui sont les impôts de demain, conscients que la dépense publique n'est pas le moteur de la croissance (sinon, la France serait le meilleur performeur mondial), inquiets pour leur emploi et celui de leurs enfants, les Français épargnent. En tout cas ceux qui le peuvent. Ils restreignent leur consommation, contredisant dans la pratique l'effet du «multiplicateur keynésien», en vertu duquel un euro de dépense publique supplémentaire aurait le pouvoir de créer plus qu'un euro de richesse nouvelle. Une fable.
Dans les cas où la dépense publique est financée non par l'endettement mais par la création monétaire (ce que réclame à cor et à cris tous les ayatollahs de la planche à billets), l'agent économique «ricardien» augmente de la même manière son taux d'épargne parce qu'il sait que l'inflation viendra demain éroder le pouvoir d'achat de ses économies.
Depuis le début de la crise financière mondiale, la quasi-totalité des gouvernants, dans la foulée de l'Administration Obama et de la Réserve Fédérale des Etats-Unis ont joué massivement des deux leviers : la «relance» budgétaire et la création monétaire. L'idée étant que le monde étant confrontée à «la pire crise» depuis la Grande Dépression de 1929, les remèdes qui avaient réussi à l'époque étaient la voie à suivre, mutatis mutandis. Sauf que ce n'est pas le New Deal de Roosevelt qui a tiré les Etats-Unis de la crise, la situation en 1937 étant pire qu'en 1932. Un détail.
Le bilan de ces recettes keynésiennes est consternant, dans la zone euro notamment. Il n'y a plus de marché interbancaire, la défiance entre banques étant encore plus grandes que celle des épargnants vis à vis des Etats. Le marché de la dette publique est en train de se fracturer sur des lignes nationales, les banques souscrivant exclusivement les obligations de leur pays d'origine (sauf pour l'Allemagne) avec l'argent que leur fournit obligeamment la Banque centrale européenne, par centaines de milliards d'euros. Et les finances publiques sinistrées imposent des politiques d'austérité budgétaires, au demeurant bien mal réparties. Le chômage s'envole et la croissance stagne, ou s'effondre, dans les pays les plus atteints. Pourquoi ? Parce que soigner une crise d'endettement, un sinistre bilantiel dans le système bancaire, en augmentant le niveau de la dette consiste à resservir un alcoolique.
La défense ultime de la doxa keynésienne est que la situation aurait été encore pire si «on» n'avait pas agi ainsi. Impossible à prouver comme à démentir. C'est l'argument qui tue, le point Godwin du débat économique.

Publié initialement sur Orange.fr, le 29 mars 2012

PS: cette démonstration serait incomplète sans rappel du précédent japonais, où les recettes keynésiennes et la stimulation monétaire ont été mises en oeuvre avec l'énergie du désespoir et qui n'a pas trouvé la porte de sortie, 15 ans plus tard. Il parait que la BCE, qui a mis mille milliards d'euros sur la table pour gagner du temps, serait partie à la recherche de la porte en question. Bonne chance!