Fauchée mais dispendieuse, la République sarkozienne tient table ouverte. Le 27 octobre, c'était au tour de nos "très chers" agriculteurs de recevoir la manne publique: 1,6 milliard d'euros. Du discours "réchauffé" (on le sait maintenant grâce au Petit journal) écrit par Henri Guaino, on retiendra surtout, outre les habituelles rodomontades, ce qui n'y est pas: une analyse de la dualité de l'agriculture, dont l'ignorance volontaire fait de la Politique agricole commune européenne une politique sociale...pour les gros, les riches et les têtes couronnées.
Là où Jacques Chirac, dit-on, donnait du plat de la main sur le cul des vaches, Nicolas Sarkozy les caresse sur le front...le poing fermé. Tout un symbole. Pour écrire le discours que l'ancien édile de Neuilly-sur-Seine est allé prononcer au pays du fromage de Comté afin de présenter le traitement national de la crise agricole, son conseiller spécial et «speech-writer» Henri Guaino avait manifestement trempé sa plume dans l'encrier de Charles Maurras, «l'identité nationale française» reposant sur un «lien charnel» avec («j'ose le mot») «sa terre».
C'est désormais au nom de la défense de l'identité nationale, promue au rang de politique interministérielle (après Hortefeux et Besson, c'est donc Le Maire, né à Neuilly, qui s'y colle), que la République sarkozienne vole au secours du «désespoir» agricole qui a toujours su se faire entendre, avec l'argent qu'elle n'a pas. Bonification d'un milliard d'euros de prêts bancaires et 650 millions de soutiens de l'Etat, qui va prendre à son compte, pour partie ou en totalité, les charges sociales liées à l'emploi des saisonniers, les taxes sur l'énergie, les cotisations à la Mutuelle sociale agricole, le remboursement à 75% de la taxe carbone, etc. On connaît la logique sociale de cette redistribution: des contribuables, même les plus modestes, vers les exploitants agricoles, y compris les plus gros.
La logique économique d'Henri Guaino n'est pas meilleure: c'est celle qui conduirait «le deuxième exportateur mondial de produits agricoles, et le premier exportateur mondial pour les produits agricoles transformés» (affirmations du texte présidentiel) à se faire l'avocat d'une politique de fermeture des frontières. Le dada de Guaino, qui en truffait déjà les discours du candidat Sarkozy, c'est le retour de l'Union européenne à la «préférence communautaire», renvoyant aux origines de la Politique agricole commune quand il s'agissait encore de nourrir à sa faim un Vieux Continent en pleine reconstruction. Propos d'autant plus incohérent qu'à bien lire Nicolas Sarkozy (enfin, Henri Guaino), une bonne part des difficultés des agriculteurs français sont en réalité «made in France».
La politique agricole, en Europe mais particulièrement en France, souffre en effet, et ce n'est pas nouveau, d'un vice de forme congénital: le refus d'accepter l'existence non pas d'une agriculture mais de plusieurs. Il n'y a aucun intérêt commun entre l'agro-industriel betteravier de l'Oise, son homologue céréalier de la Beauce et d'autre part, le petit producteur de lait en montagne ou l'oléiculteur de Provence. L'effort tardif de transparence sur l'identité des bénéficiaires des subsides agricoles de l'UE (effort auquel la France a opposé une résistance désespérée) a retiré toute légitimité à un système d'aides concentrées sur les exploitations les plus importantes, engagées dans un nombre limité de productions. Aucune des réformes conduites depuis 1992 n'a remis en cause cette tare originelle. Et surtout pas celle de 2003 qui a découplé la production d'un revenu toujours garanti sur des bases «historiques».
Dans un contexte certain de réduction drastique de la part des dépenses européennes consacrées à la PAC (encore près de 40% du budget de l'UE aujourd'hui) après 2013, ce que Nicolas Sarkozy s'est bien gardé de mentionner, l'acceptation de la diversité des agricultures devrait être la pierre angulaire d'une PAC rénovée. A l'agro-industrie des «grandes cultures», zéro subvention européenne ou nationale, l'application des principes généraux sur la concurrence et les aides d'Etat au sein de l'UE, l'exposition à la compétition internationale selon les nouvelles règles qui d'ici là (espérons-le) auront été définies à l'Organisation mondiale du commerce. Si les producteurs français sont, comme ils l'affirment, les plus compétitifs en Europe, ils y gagneront.
A l'agriculture familiale «multifonctionnelle», celle qui par sa présence entretient un environnement et une identité culturelle (et non «nationale) tout en maintenant l'emploi et la qualité alimentaire, l'exclusivité des aides européennes dans le cadre d'une politique ambitieuse et cohérente de développement rural. Dans cet esprit, la France devrait s'opposer fermement à la renationalisation des politiques agricoles en Europe, porte ouverte à toutes les dérives. Et sous cet angle également, le plan «français» présenté par Nicolas Sarkozy dans le Jura est un contresens.
Il est vrai que le Président de la République a confié à son audience: «Je veux refonder la politique agricole comme nous sommes en train de refonder le capitalisme financier». Ah bon! Alors tout s'explique.
Publié initialement sur Orange.fr, le 28 octobre 2009