Au pays de Jean-Luc Mélenchon, la nouvelle est passée pratiquement inaperçue : la Bolivie du socialiste «indigène» Evo Morales a connu un mois de mai socialement très agité, sous l'impulsion de la Centrale Ouvrière Bolivienne, avec les mineurs d'étain, casques sur la tête et bâton de dynamite en main, à l'avant-garde des luttes.
Cette indifférence est regrettable parce ce que dans la jeunesse trotskyste du «leader maximo» du Front de Gauche, la COB, ses dirigeants mineurs, la révolution de 1952, le manifeste révolutionnaire des «Thèses de Pulacayo», les combats de «Siglo XX», une des principales mines du pays, appartenaient à un imaginaire du «Grand Soir» à venir dans les vieilles démocraties bourgeoises condamnée par le «déclin irrémédiable des forces productives». Et ne voilà-t-il pas que les héritiers de Guillermo Lora déclenchent une grève générale illimitée, posent le marteau-piqueur et descendent sur La Paz pour affronter un gouvernement «socialiste».
A l'origine de ce bras de fer, la revendication des grévistes et des salariés d'autres secteurs d'obtenir des augmentations de salaires supérieures et des conditions de retraite égales à celles des...militaires, qui touchent 100% de leur dernier salaire, contre 70% seulement pour les mineurs. Après 18 jours de grève à Huanuni, qui assure la moitié de la production d'étain du pays, le mouvement a été suspendu, le gouvernement s'engageant à répondre aux revendications dans un délai d'un mois.
Contrairement aux autres amis latino-américains de Mélenchon, feu Hugo Chavez au Venezuela et le couple Kirchner en Argentine, Morales n'a pas ruiné le pays par une gestion calamiteuse de la rente des matières premières, pétrolière dans le premier cas, avant tout agricole chez les seconds. Il a procédé à des nationalisations occasionnelles d'actifs de société étrangères et joue abondamment de la carte «antiyankee» toujours utile au sud du Rio Grande. Mais la gestion budgétaire du pays a été prudente, et reconnue comme telle par les agences internationales de notation.
Sur le plan politique par contre, Morales, comme les Kirchner et feu Chavez, est moins partisan du «Que se vayan todos» (Qu'ils s'en aillent tous) cher à Jean-Luc Mélenchon que du «J'y suis, j'y reste». Après deux mandats présidentiels, il veut en obtenir un troisième, au mépris de la constitution qu'il a lui-même rédigée. En utilisant un truc classique, validé par une Cour Suprême aux ordres : le changement de loi fondamentale aurait remis le compteur à zéro. La présidence à vie n'est pas loin.
Au Venezuela, le successeur désigné de Chavez, Nicolas Maduro, a hérité, dans des conditions contestées par l'opposition, d'une situation économique catastrophique et d'une criminalité échappant à tout contrôle. Pour avoir refusé un résultat très serré et marqué par les fraudes, les députés de l'opposition ont été privés du droit de prendre la parole et de voter. Et certains d'entre eux rondement tabassés dans l'hémicycle par les «chavistas», quand ils eurent l'audace de protester. On aurait aimé connaître l'opinion d'un des promoteurs de la «VI République» sur ces intéressantes avancées «démocratiques» mais curieusement, la question ne lui est jamais posée.
Le sujet n'est pas de savoir s'il faut réduire les inégalités sociales criantes qui affligent encore les économies latino-américaines et freinent leur développement, mais comment. La logique économique voudrait que l'on mise sur l'amélioration du potentiel de croissance de ces pays, un meilleur usage des ressources matérielles et humaines, le sérieux budgétaire, la lutte contre le cancer de la corruption, l'investissement dans l'éducation et la formation, afin de financer un réel effort de redistribution, sous conditions. La voie brésilienne, en somme, en dépit de ses imperfections et nombreux dérapages. La voie populiste consiste à gaspiller la rente dans des politiques clientélistes, à laisser la bride sur le cou aux corrupteurs et aux corrompus, à truquer les chiffres. Jusqu'au jour où la rente se tarit, même temporairement, et où le système implose, généralement dans la violence politique. Le Venezuela y est. L'Argentine y retourne. Et la Bolivie hésite encore. Comme inspiration, on peut trouver mieux.
Publié initialement le 30 mai 2013, sur Orange.fr