L'Organisation mondiale du commerce a revu en hausse ses prévisions de croissance du commerce mondial en 2010, à 13,5 % (et 16,5% pour les économies en développement). Son directeur général Pascal Lamy a salué ce rebond spectaculaire, après la contraction brutale de 2009, estimant qu'il reflétait aussi «la sagesse dont les gouvernements ont fait preuve en rejetant le protectionnisme». «Jusqu'à présent», aurait-il dû ajouter.
Le 24 septembre, une importante commission de la Chambre des Représentants des Etats-Unis a donné feu vert à une législation destinée à faire pression sur la Chine pour qu'elle accélère le mouvement de réévaluation du yuan. Si elle était adoptée par la Chambre en session plénière et par le Sénat et acceptée par l'administration Obama (la route est longue), cette disposition permettrait aux entreprises américaines se jugeant victimes d'une concurrence déloyale par le biais de la monnaie de demander l'imposition de taxes douanières compensatoires sur les produits importés de Chine.
Par ailleurs, le gouvernement japonais a relancé, pour la première fois depuis six ans, une politique d'intervention unilatérale sur le marché des changes afin de renverser la très forte hausse récente du yen, qui menaçait de toucher les plus hauts niveaux historiques face au dollar atteints en 1995. On souhaite bien du plaisir à Nicolas Sarkozy, qui a proclamé son ambition de faire de la régulation des monnaies un des axes de la présidence française du G20, l'an prochain. Surtout si, comme à son habitude, le chef de l'Etat français tire la couverture à lui en oubliant qu'en ces matières, seule l'Union européenne, et plus spécialement la zone euro, seraient en mesure de se faire entendre...à condition bien sûr d'avoir une politique.
Car si la Chine refuse une réévaluation brutale du yuan, le Premier ministre Wen Jiabao ayant répété à New York qu'elle déclencherait une crise économique et sociale dans son pays, Pékin poursuit discrètement sa longue marche vers un régime de change libéralisé, visant à promouvoir très graduellement un usage plus large de la devise chinoise sur la scène internationale.
L'économiste Kenneth Courtis a fait la liste des mesures récentes, souvent ignorées de la presse internationale, qui sont autant de petits cailloux blancs marquant le chemin: accords entre la Chine et Hong Kong pour développer l'usage du renminbi (l'autre nom de la devise chinoise) sur cette place financière, préludes à d'autres conventions du même type avec Singapour et Taiwan; achat d'obligations en yuan par la banque centrale de Malaisie; annonce par la chambre de compensation européenne Clearstream (oui, celle de «l'affaire») du yuan comme devise de règlement; émissions d'obligations en yuan par des entreprises étrangères (McDonalds, par exemple); possibilités accrues données aux régions et entreprises chinoises pour effectuer en renminbi leurs transactions extérieures; ouverture progressive des marchés de changes aux investisseurs étrangers.
En résistant à la pression américaine tout en préparant à long terme (15 ou 20 ans) la fin de l'hégémonie du billet vert sur le système monétaire international, la Chine tire les leçons des mésaventures du Japon dans les années 80, quand la réévaluation brutale du yen après les accords du Plaza, en septembre 1985, a créé les conditions de l'énorme bulle spéculative dont l'éclatement en 1990 a plongé la seconde économie mondiale (jusqu'à cette année) dans une crise dont elle ne s'est pas encore vraiment extirpée. Sans d'ailleurs mettre fin au déficit extérieur des Etats-Unis vis-à-vis du Japon, qui était avant tout fonction du déséquilibre aux Etats-Unis entre épargne d'un côté, consommation et investissement de l'autre. Et le demeure aujourd'hui encore.
Que les membres du Congrès des Etats-Unis ne veuillent pas admettre que les déséquilibres globaux trouvent leur origine avant tout dans les dysfonctionnements de la première économie mondiale n'est guère surprenant. Leur horizon de temps est la prochaine échéance électorale, en l'occurrence les élections à mi-mandat de novembre. Mais le «China bashing», comme hier le «Japan bashing», est une voie sans issue. Et dangereuse, parce que la Chine, premier créancier du Trésor américain, n'est pas le Japon, dont la sécurité dépendait et dépend toujours du parapluie nucléaire américain.
Publié initialement sur Orange.fr, le 28 septembre 2010