Sur proposition de la Commission européenne, l'Union européenne a décidé fin décembre de reconduire pour 15 mois les mesures antidumping appliquées depuis 2008 aux chaussures en cuir importées de Chine et du Vietnam, qui auraient dû expirer le 31 décembre. Comme l'inénarrable saga des soutiens gorges et autres lingeries chinoises inondant le marché européen, ce compromis boiteux a mis en évidence les contradictions des Européens face à l'irrésistible montée en puissance de l'Asie orientale sur la scène économique mondiale.
Les pays «libéraux» du Nord de l'Europe et la Grande-Bretagne, où l'ancien Commissaire européen au Commerce Peter Mandelson, initiateur de la procédure contre la Chine et le Vietnam, veille désormais sur les intérêts des importateurs de la grande distribution, voulaient la fin pure et simple de ces mesures temporaires. Les «protectionnistes» du Sud, conduits par l'Italie, l'Espagne et le Portugal où subsiste une production significative, exigeaient au contraire une prolongation de cinq années supplémentaires des surtaxes douanières, allant de 9,7 à 16,5%, appliquées aux chaussures «à dessus de cuir» made in China. Les protectionnistes sont comme les alcooliques, il leur en faut toujours un dernier pour la route.
Les 15 mois représentent donc un compromis à la Bruxelloise, imposé à la Commission par le revirement de l'Allemagne, qui a déserté soudainement le camp «libéral» pour des motifs qu'il vaut mieux ne pas connaître. La Commission a justifié l'extension par la poursuite du «dumping» chinois et vietnamien et la nécessité d'accorder un délai d'ajustement supplémentaire à un secteur industriel qui emploierait encore 260.000 personnes sur le territoire de l'Union.
Toujours attachée à sauver la face, la Chine a aussitôt répliqué par une mesure antidumping visant un autre secteur de l'industrie européenne, tout en protestant que la production européenne de chaussures de moyen et haut de gamme n'était en fait pas affectée par la concurrence des entreprises chinoises, qui dominent les chaussures à bas prix.
Le perdant dans cette affaire, c'est évidemment le consommateur européen. Non pas en raison du renchérissement des produits du fait des surtaxes douanières, que la Commission juge insignifiant. Mais parce qu'aucune mesure de protection aux frontières ne peut corriger les dysfonctionnements du marché intérieur, qui font que, selon Bruxelles, des paires de chaussures livrées en Europe à un prix moyen de 9 euros sont revendues 50 euros au consommateur final, à comparer avec l'impact de 1,50 euro des droits de douane. La marge des distributeurs est restée supérieure à 20%, ce qui devraient les inciter à un certaine discrétion. Les larmes de crocodile qu'ils ont versées sur le sort du consommateur européen, victime collatérale du protectionnisme, doivent être considérées avec une large pincée de leur propre sel.
Dans ce secteur comme dans tous les autres, la seule question qui importe est celle de l'appropriation de la valeur ajoutée créée au cour de la décennie écoulée par l'intégration de l'abondante main d'œuvre chinoise dans la division internationale du travail. Par quels acteurs d'une chaîne de production et de distribution étendue et complexe, et dans quelle proportion ? Et en conséquence, quelles mesures politiques, fiscales ou structurelles (concurrence), peuvent prévenir l'apparition et combattre le maintien de rentes de situation aussi économiquement néfastes qu'elles sont socialement injustes.
Le mérite des procédures anti-dumping, s'il existe, est d'imposer un examen approfondi, et révélateur, de transactions que les statistiques du commerce extérieur, instrument aujourd'hui complètement obsolète, ne permettent évidemment pas de saisir. Et qui démontre une nouvelle fois que le protectionnisme est une fausse réponse à une question mal posée. Vouloir appréhender la mondialisation du 21ème siècle avec des outils hérités du mercantilisme du 19ème ne peut que conduire à de dangereux contresens.
Billet de blog 7 janvier 2010
Protectionnisme: vous en reprendrez bien une petite dose?
Sur proposition de la Commission européenne, l'Union européenne a décidé fin décembre de reconduire pour 15 mois les mesures antidumping appliquées depuis 2008 aux chaussures en cuir importées de Chine et du Vietnam, qui auraient dû expirer le 31 décembre.