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Billet de blog 8 février 2010

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Banques: où sont les yachts des clients ?

Au temps de sa splendeur, la défunte Banque Indosuez possédait à Hong Kong un somptueux «cabin cruiser» à l'usage de ses dirigeants et (accessoirement) de ses clients.

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Au temps de sa splendeur, la défunte Banque Indosuez possédait à Hong Kong un somptueux «cabin cruiser» à l'usage de ses dirigeants et (accessoirement) de ses clients. La rentabilité hors norme du secteur financier depuis le début du XXIème siècle, qui a semé les germes de la crise mondiale, évoque cette vieille plaisanterie dirigée contre les seigneurs de Wall Street: «vous nous avez montré les yachts de vos employés, mais où sont ceux des clients?»

Tout débat sur la régulation des banques devrait commencer par un examen du graphique créé par le stratège de la Deutsche Bank Jim Reid. Il démontre que pendant la décennie 1997-2007, qui s'est conclue par la catastrophe globale que l'on sait, le secteur financier américain a été capable de dégager 1.200 milliards de dollars de «profits excessifs», c'est-à-dire déconnectés de la croissance économique et de l'évolution générale des résultats des entreprises non financières. 1.200 milliards de dollars.
Ceci d'abord pour clouer le bec aux dirigeants des banques qui osent mettre en garde, y compris en France, contre une «dérive réglementaire» ayant des retombées néfastes sur le financement de l'économie. Ces profits excessifs, et les salaires et bonus «obscènes» (dixit Barack Obama) allant de pair, traduisaient au contraire l'abandon par les banques de leur métier traditionnel de financement des ménages et des entreprises par le crédit, une activité à la rentabilité modeste, étroitement corrélée à la prospérité moyenne de la société. Ceci au bénéfice d'activités beaucoup plus juteuses mais aussi plus risquées (contrairement à ce qu'elles affirmaient), allant du financement des fonds spéculatifs à la distribution indiscriminée de cartes de crédit (assorties de taux usuraires) et de «subprime» en passant par toutes les facettes de l'ingénierie financière.
Le problème posé aux gouvernements et aux différentes instances qui planchent actuellement sur la réforme de la réglementation bancaire, Comité de Bâle, Commission européenne ou commissions du Congrès américain, est très simple dans son énoncé: comment faire rentrer dans le rang la rentabilité aberrante du secteur financier ? Les solutions elles-mêmes sont moins complexes que ne veulent le faire croire les intéressés. En voici une liste non exhaustive.
Certaines dispositions sont évidentes comme l'exigence d'une très forte augmentation des fonds propres des banques afin que le contribuable ne soit pas le seul à payer la facture en cas de défaillance. La règles de mise en oeuvre devraient être simple et général pour éviter les arbitrages réglementaires que les accords dits de Bâle II favorisaient par leurs complexités.
L'encouragement à la concurrence est également essentiel, même s'il va à l'encontre d'une tendance à la concentration que la crise a encore accentuée. La voie la plus efficace pour rogner les rentes de situation des acteurs en place est permettre l'émergence de nouveaux acteurs, en grand nombre. Dans la «règle Volcker», qui met en émoi la communauté bancaire, la réintroduction de seuils de concentration est d'ailleurs une idée beaucoup plus prometteuse que l'interdiction des transactions en compte propre, difficile à appliquer. Simplement «geler» la situation actuelle, comme semble s'y résigner l'administration américaine, apparaît très insuffisant. La meilleure manière de lutter contre le «too big to fail» est de limiter la taille des institutions financières, d'encadrer strictement leurs parts de marché, de combattre les nombreux comportements anti-concurrentiels. En Europe, ce serait la responsabilité de la Commission européenne, qui jouit en la matière de pouvoirs régaliens. Il paraît qu'elle y réfléchit...
Enfin, il faudrait s'attaquer aux conditions de marché qui enrichissent les banques. Exemple, la création de l'euro qui, en éliminant les transactions de change entre pays membres, les avait privées mécaniquement d'une rente et d'un outil de spéculation. Mais globalement, l'instabilité monétaire est une vache à lait pour les quelques très grands établissements qui contrôlent ce marché. Même chose pour la dette obligataire, notamment celle des gouvernements qui atteint désormais un peu partout des proportions inédites en temps de paix. Autrement dit, discipliner le système financier commence par remettre de l'ordre dans la gestion des Etats. Le grand économiste de l'école autrichienne Ludwig Von Mises l'avait très bien résumé: pas de «free banking» sans un contrôle rigoureux de la création de monnaie.
Dans l'immédiat, la lecture du graphique de Jim Reid prouve que les mesures exceptionnelles, monétaires et budgétaires, prises par les gouvernements et les banques centrales, loin de normaliser la rentabilité excessive du secteur financier, ont conduit en 2009 à un rebond spectaculaire, le passage à vide de 2008 (absorbé par le contribuable) apparaissant comme un simple accident. Ce qui plaiderait à la fois en faveur d'un abandon rapide de ces mesures exceptionnelles (notamment les taux d'intérêt directeurs voisins de zéro) et d'un ratissage intégral par l'impôt des profits des banques générés par cet environnement hors normes. Est-ce tellement difficile à comprendre ?

Publié initialement sur Orange.fr le 28 janvier 2010