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Billet de blog 8 février 2011

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Quand le libéral Slama se noie dans le Nil

Il n'y a pas que la pathétique MAM qui soit contrainte par les révolution tunisienne et égyptienne à des rétropédalages acrobatiques. Chroniqueur à «La Pravda» (en français, cela se dit«Figaro»), Alain-Gérard Slama est aussi la voix autoproclamée du libéralisme sur France-Culture, où il officie chaque matin.

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Il n'y a pas que la pathétique MAM qui soit contrainte par les révolution tunisienne et égyptienne à des rétropédalages acrobatiques. Chroniqueur à «La Pravda» (en français, cela se dit«Figaro»), Alain-Gérard Slama est aussi la voix autoproclamée du libéralisme sur France-Culture, où il officie chaque matin. Et le moins qu'on puisse dire,c'est qu'il a accueilli avec la plus extrême circonspection (c'est un euphémisme) l'irruption de peuples arabo-musulmans sur la scène d'une histoire «européocentrée» où on les avait priés de longue date de faire de la figuration muette.

Le 1er février donc, Slama, confronté au discours autrement positif de l'ancien ambassadeur de France à Tunis Yves Aubin de la Messuzière (mais non, ils ne sont pas tous nuls), livre aux auditeurs des «Matins» cette analyse sans appel: «L'ensemble du Sud se détache de plus en plus du modèle occidental. Vous avez vos modes de vie, c'est vraiment (sic) pas les nôtres. C'est ce qu'ils nous disent». Comme les autres intellectuels épinglés par ailleurs par Antoine Perraud (lire ici), Slama estime (pardon, il redoute,il craint...) que les peuples de la rive sud de la Méditerranée n'aient d'autres destins politiques possibles que la dictature militaro-policière ou le totalitarisme islamiste. C'est la thèse qu'il va soutenir avec une belle constance face aux «agneaux bêlants» que leur enthousiasme pour ces insurrections démocratiques rendrait aveugles aux lendemains qui déchanteront.

Défendre une telle position au nom du libéralisme ferait se retourner dans leurs tombes comme des toupies les pères fondateurs de la pensée libérale que Slama porte habituellement en bandoulière. Il a fini par s'en apercevoir puisque dans sa chronique du 8 février, il évoque enfin un «malentendu». C'est bien parce qu'il est libéral qu'Alain Gérard Slama se soucie de voir la révolution tunisienne récupérée par les barbus ou les soudards. Toujours cependant avec les mêmes arguments anecdotiques: certes, la femme tunisienne est la plus émancipée du monde musulman mais on ne la voit pas aux terrasses des cafés ; certes, les bidonvilles ont été rasés mais l'habitat se dégrade...

On est presque gêné de devoir rappeler à ce héraut du libéralisme à la Française (un oxymore) l'attitude que dicte, sans discussion possible, une vision du monde libérale devant les évènements historiques qui font trembler tous les régimes autoritaires, de Rabat à Aman et Damas: «Le soulèvement en Egypte peut rendre nerveux les Occidentaux mais quand lesEgyptiens demandent la liberté et l'autodétermination, ils affirment des valeurs qui sont celles de l'Occident. Il n'y a pas de garantie que la révolution égyptienne donnera des résultats positifs. La seule certitude, c'est que l'autocratie nourrit le soulèvement et que la meilleure garantie de la stabilité est la démocratie». C'est la conclusion de l'éditorial impeccable publié par The Economist, magazine dont les lettres de créances en matière de libéralisme (depuis 168 ans) valent bien celles de Slama.

Comme l'écrit encore The Economist, «si l'Ouest ne peut pas soutenir le peuple égyptien dans sa quête pour déterminer sa propre destinée,alors ses plaidoyers pour la démocratie et les droits de l'homme ailleurs dans le monde ne valent rien». C'est l'évidence même, non ?

Ajoutons qu'il y aurait un paradoxe à privilégier le rôle de l'individu comme producteur et comme consommateur mais à le nier dans sa dimension de citoyen, d'homme de la cité. Le libéralisme ne se divise pas plus qu'il ne s'arrête à la rive sud de «Mare Nostrum». Bien d'avantage, il y a pour les libéraux une formidable démonstration dans l'intelligence collective spontanée, sans organisation partisane, sans encadrement idéologique, manifestée par le peuple de Tunis puis du Caire. Tenir la place Tahrir face aux nervis de Moubarak, au prix de nombreux de morts et de centaines de blessés, était un acte d'une impressionnante lucidité politique. Le régime ne s'y était d'ailleurs pas trompé.

Il n'est pas exclu (mais pas du tout fatal) que les prophètes de malheurs à la Slama aient un jour raison. Et qu'ils puissent répandre sur les ondes leurs «on vous l'avait bien dit». Ici encore, on ne peut mieux écrire que The Economist: «Les pessimistes soulignent que l'Egypte n'a ni les institutions, ni le leadership politique pour garantir une transition harmonieuse. Mais si elle en avait disposé, le peuple n'aurait pas eu besoin de descendre dans la rue. Ce n'est pas demain qu'une démocratie parfaitement constituée émergera des débris du régime de M. Moubarak. Le désordre pourrait régner pendant un certain temps. Mais l'Egypte, bien que pauvre, a une classe moyenne bien éduquée et un sens élevé de l'honneur national. Il y a de bonnes raisons pour croire que les Egyptiens peuvent créer un ordre à partir de ce chaos».