Sur le papier, voici de quoi désespérer un peu plus le peuple de gauche qui, un an après l'élection de François Hollande, contemple comme Perrette, le lait renversé de ses espoirs de «changement» : ne voilà-t-il pas que Benoît Hamon, éminent représentant de la gauche du Parti socialiste, présente une réforme d'inspiration libérale introduisant en France, enfin, une pratique venue des Etats-Unis, l'action de groupe.
Présentant le 2 mai son projet (par exemple, dans la matinale de France Inter), la «loi Consommation», dont il refuse modestement qu'elle devienne la «loi Hamon», le ministre délégué à l'économie sociale et solidaire n'avait à la bouche que les mots de concurrence, de transparence, de protection des consommateurs face aux ententes et aux cartels.
Le mécanisme de l'action de groupe, «class action» outre-Atlantique, est de permettre à des individus qui s'estiment lésés dans l'achat d'un bien ou d'un service, de se regrouper pour faire appel conjointement à la justice afin d'obtenir une reconnaissance et une indemnisation du préjudice. Il s'agit, face aux ressources juridiques, financières et politiques dont disposent souvent les entreprises, surtout les grandes, de concentrer le pouvoir des consommateurs et des clients. Vieux principe : l'union fait la force.
Les Etats-Unis, qui ont inventé la «class action», sont aussi le pays qui a le premier mis en place des législations anti-trust face à la concentration du pouvoir économique par les «robber barons» ayant personnifié l'émergence du capitalisme américain à la fin du 19ème siècle. De fait, l'absence de concurrence est le premier ennemi du consommateur, la violation de sa liberté de choix. Il est significatif que Benoît Hamon ait justifié sa réforme avant tout par des comportements anti-concurrentiels.
Qu'un gouvernement socialiste français s'engage dans une démarche libérale ne surprendra que ceux qui ont la mémoire courte. Rappelons que des dérèglementations majeures de l'économie française ont été promues (même si on est encore loin du compte) à Bercy, du temps où Pierre Bérégovoy était ministre des Finances.
Certes, on ne se refait pas en un jour et l'action de groupe telle que la conçoit Benoît Hamon donne une rôle prioritaire, voire exclusif, dans le déclenchement aux associations de consommateurs, indépendamment même de leur représentativité. Au détriment des avocats (qui ne manqueront pas de se faire entendre dans le débat parlementaire, où ils sont largement représentés, comme chacun sait). Elle présente aussi l'inconvénient de favoriser les «passagers clandestins», ceux qui bénéficieraient d'une décision de justice sans s'être engagés pour l'obtenir.
On pourrait aussi relever que cette démarche clairement libérale de M. Hamon est en complète contradiction avec l'attitude de son parti, et la sienne en particulier, quand la Commission européenne avait tenté, avec la directive sur les services, dite Bolkestein, d'achever le marché unique dans ce secteur désormais dominant de l'activité économique, en y faisant entrer la concurrence et en s'attaquant aux rentes indues et aux avantages acquis, aux professions protégées, comme les notaires et les pharmaciens ou encore au racket...des plombiers hexagonaux. Au cours de débat, dans une harmonie touchante avec leurs homologues de la droite française, M. Hamon et ses amis avaient choisi les rentiers contre les consommateurs, les intérêts particuliers contre l'intérêt général, les corporatismes contre l'innovation et l'initiative.
Cette confusion intellectuelle et politique n'est guère surprenante : Benoît Hamon n'a pas la moindre idée de ce qu'est le libéralisme, partageant cette ignorance avec les neuf dixièmes (soyons optimiste !) des habitants de ce pays. En proposant, avec l'action de groupe, une réforme libérale, il se trouve comme M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir.
Publié initialement sur Orange.fr, le 2 mai 2013