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Billet de blog 10 août 2012

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Dressage aux J.O.: échec à l’Allemagne…pour une fois

Qu’est-ce qui rapproche la politique monétaire en Europe et l’équitation de dressage aux Jeux Olympiques ? Elémentaire : l’Allemagne fixe les règles et impose sa loi. Mais dans les deux cas, crise financière ici et changement de génération là, l’emprise germanique est sujette à contestation, sans que l’on puisse dire s’il s’agit d’un simple hoquet ou d’un renversement de tendance.

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Qu’est-ce qui rapproche la politique monétaire en Europe et l’équitation de dressage aux Jeux Olympiques ? Elémentaire : l’Allemagne fixe les règles et impose sa loi. Mais dans les deux cas, crise financière ici et changement de génération là, l’emprise germanique est sujette à contestation, sans que l’on puisse dire s’il s’agit d’un simple hoquet ou d’un renversement de tendance.

Depuis des décennies, l’équitation sportive allemande, appuyée par les clones que sont les Pays-Bas ou le Danemark, dicte la norme, à commencer par la nature des montures : chevaux énormes, surpuissants, Hanovriens, Westphaliens, Oldenburg ou Hollandais. Et conduits d’une main pesante. La recette est efficace puisque les cavaliers allemands, par équipe ou en individuels, ont raflé à ce jour quelque 18 médailles d’or en dressage. Les victimes de cette domination presque sans partage ont été les très anciennes nations équestres, comme la France, l’Italie ou le Portugal qui ont codifié la haute école à partir de l’équitation de combat du Moyen-Age et en perpétuent encore la tradition. Dans l’Europe du dressage aussi, il y a une division nord-sud. Victime aussi la Grande-Bretagne, plutôt mal récompensée jusqu’ici de l’amour fou que les «royals», à commencer par la Reine, portent à ces quadrupèdes.

Mais dans l’arène londonienne, superbement installée au parc de Greenwich, avec vue imprenable sur les temples de la finance de Canary Warf, l’équipe allemande de dressage a mordu la poussière. Médaille d’or par équipe pour les Britanniques, titre individuel pour Charlotte Dujardin, anglaise pur sucre comme son nom ne l’indique pas. Et troisième place sur le podium pour Laura Bechtolsheimer, qui est Britannique en dépit de ce patronyme.

Les chevaux enfourchés par les sujets de Sa Gracieuse Majesté anglais ne sont pas vraiment des demi-portions mais leurs cavaliers ne les ont pas robotisés comme les montures germaniques. Et même si les scores exceptionnels obtenus par la jeune et blonde Miss Dujardin, une nouvelle venue sur le circuit, s’expliquent peut-être en partie par le soutien délirant du public anglais, on doit saluer les risques pris dans les «figures libres» de l’ultime épreuve pour coiffer sur le poteau une adepte néerlandaise de «l’hyperflexion», cette monstruosité qui martyrise le cheval.

Mais bien entendu, les vrais artistes, conservatisme teutonique des juges aidant, on les retrouve dans les profondeurs du classement des 18 qualifiés pour les figures libres. A la 10ème place, le cavalier espagnol Juan Manuel Munoz Diaz, sur son merveilleux pur sang ibérique Fuego. Et plus loin encore, le jeune portugais Gonçalo Carvalho avec l’étalon Alter Real Rubi, une merveille d’élégance et de grâce. Qu’un cheval aussi petit et "hors norme" que Rubi ait atteint la phase finale relève déjà du miracle. Mais le public ne s’y est pas trompé, qui a conspué les juges, pas plus que la «consultante» de la chaine sportive du groupe Al Jazeera ou la consoeur du Monde (grâce lui soit rendue). La prestation de Carvalho, lié par son père à l’enseignement du maître Nuno Oliveira, et du cheval né à la Coudelaria d’Alter (d’où viennent toutes les montures de l’Ecole portugaise d’art équestre) était un délice et un vrai bras d’honneur à la «germanitude» de la discipline sportive.

Il est assez curieux que Nuno Oliveira soit regardé à peu près unanimement comme le plus grand écuyer de l’ère moderne mais que son enseignement soit méprisé dans les enceintes sportives. Les mouvements du haut du corps que les cavaliers germaniques doivent effectués pour «pousser» leurs bourrins dans les changements de pied font peine à voir. Le côté saccadé du passage est un exploit physique digne d’athlètes de foire mais tourne le dos à la liberté et à la fluidité du mouvement exigé par le maître. Reste le trot allongé où la grande taille de l’animal est un avantage optique indéniable. Grâce à l’enregistrement des épreuves de Londres disponible sur le site de l’EBU, le lecteur pourra se faire une opinion. Sachant que, vivant une partie de l’année non loin d’Alter do Chao, j’avoue volontiers être de parti pris.

Puisse enfin l’exploit de Rubi, dont la propriétaire est une Française passionnée, et de son cavalier, redonner courage aux promoteurs du pur sang lusitanien et enterrer l’idée détestable de développer par croisement une race «sportive» susceptible de rivaliser avec les colosses du nord de l’Europe. Que l’Allemagne garde ses médailles, les juges leurs préjugés et le Portugal son patrimoine millénaire.