Après les banques, les naufragés de la tempête Xynthia. Dans les deux cas, un risque de nature privée, mal évalué, une défaillance coupable des autorités de surveillance et en fin de compte, une prise en charge par la communauté nationale, c'est à dire par le contribuable. La comparaison va faire bondir tous les bien pensants, et même les autres: comment peut-on oser placer sur le même plan des banquiers rapaces, irresponsables et cousus d'or et ceux qui ont tout perdu, jusqu'à la vie même, dans le déchaînement des flots et des vents?
Pourquoi tracer un signe égal entre d'un côté, les dizaines de milliards en fonds propres et les centaines en garantie mobilisés par la puissance publique en 2008-2009 pour éviter le naufrage des institutions financières et de l'autre, quelques dizaines de millions d'aide d'urgence débloquée pour venir en aide aux communes et professions sinistrées?
On peut faire ce rapprochement, sous un angle et un seul: l'évaluation et la gestion du risque. Et en vertu des principes politiquement incorrects des «freakonomics», inventés par Steven Levitt (Université de Chicago) et qui ont conduit cet économiste «voyou» à se demander pourquoi les dealers de crack habitent chez leur maman ou comment des enseignants des écoles publiques de Chicago sont conduits à truquer les performances de leurs élèves.
De ce point de vue, les personnes qui achètent ou font construire sur les côtes en zone inondable, souvent des résidences secondaires, parce que les prix y sont, logiquement, moins élevés, suivent un raisonnement pas très différent des emprunteurs dits «subprime»: ils ne peuvent pas ou ne veulent pas apprécier le risque lié à cette démarche. Après tout, les Etats-Unis n'avaient jamais connu une chute du marché immobilier d'une telle ampleur et surtout n'épargnant pratiquement aucune région du pays. Et les conjugaisons météorologiques hors normes qui ont donné à Xynthia cette puissance dévastatrice défient l'imagination et la mémoire. Jusqu'au jour où l'impensable devient le réel.
Sans même invoquer la corruption explicite ou implicite (le clientélisme ordinaire), les maires qui accordent les permis de construire dans des zones à risque parfaitement identifiées s'inscrivent dans une démarche assez comparable à celle qui justifiait les «subprime» par le droit des plus modestes à l'accession à la propriété.
Les promoteurs, petits et grands, qui ont fait leur miel de la ruée vers le littoral, en dépit des dispositions législatives visant à la contrôler, ont montré aussi peu de scrupules que les courtiers véreux fourguant des prêts immobiliers à des clients «ninja», n'ayant ni revenu (income), ni travail (job) ni patrimoine (assets).
Et les préfets qui ont laissé faire évoquent irrésistiblement ces régulateurs américains, prisonniers de Wall Street, qui telles la Réserve Fédérale ou la SEC, roupillaient à la barre pendant que s'accumulaient les conditions d'une explosion financière sans équivalent depuis la crise des années Trente du siècle dernier.
Maintenant que Xynthia, comme la tempête financière, a provoqué une brutale réévaluation du risque dont l'existence même semble avoir été ignorée, se pose la question de la prévention du risque futur et de la répartition de la charge financière qui en résulterait. C'est un choix à réponses multiples.
D'abord, l'option technocratique consistant comme au Japon, pour combattre les crues provoquées par le «tsuyu» annuel (une mousson froide), à contrôler les éléments en bétonnant presque intégralement le littoral ou le cours des rivières. Choix écologiquement et financièrement exclu, s'il n'est pas, comme aux Pays-Bas, une question de survie nationale.
Ensuite, l'option légaliste qui conduirait à faire détruire toutes les habitations édifiées depuis un quart de siècle au mépris des réglementations et des règles de précaution. 100.000 ont été construites en zones inondables entre 1999 et 2006. En supposant que la volonté politique existe, ce dont on peut douter au regard de l'impunité dont jouissent, à de rares exceptions près, ceux qui violent un peu partout les POS (plan d'occupation des sols), c'est la garantie d'un marathon procédurier qui épuiserait les ressources financières de l'Etat.
Reste la solution de «marché», consistant à faire payer le risque par ceux qui s'y exposent volontairement tout en comptant sur la «solidarité nationale» si les choses tournent mal. L'équivalent en somme des banques «too big to fail». Comment ? Par le biais de surprimes d'assurance, calculées en fonction du coefficient de danger, qui viendraient alimenter un fonds de garantie mobilisable en cas de sinistre. Dans les secteurs les plus exposés, le niveau des primes jouerait en fait comme une barrière à l'installation. Une approche tellement simple et équitable qu'elle n'a pas la moindre chance d'être retenue.
Publié initialement le 4 mars 2010 sur Orange.fr