Vu la gravité de son état, la Grèce aurait dû avoir à son chevet une équipe soignante de calibre Mount Sinai ou Pitié-Salpêtrière. En lieu de quoi, c'est une bande de Diafoirus en chapeau pointu et clystère en main qui ont prescrit le traitement, non sans s'être chamaillés bruyamment entre leurs moments de somnolence et leurs accès de panique. Le résultat est évidemment calamiteux.
Pour reprendre un distinguo fréquemment utilisé depuis le début de la crise financière, le plan de «sauvetage» de la Grèce adopté le 2 mai à Bruxelles devait régler temporairement la crise de liquidité de la République Hellénique. Il ne solutionne aucunement sa crise de solvabilité. L'absence de détente significative sur les primes de risque exigées par les marchés pour les différentes échéances de la dette publique grecque en témoigne.
Le calcul est simple: même au taux «bonifié» de 5% que les autres pays de la zone euro vont facturer à Athènes, il faudrait que la croissance nominale du pays (progression du PIB plus hausse des prix) soit supérieure à ce niveau pour que le poids relatif de la dette recule. Or, le régime de cheval inscrit dans un programme d'ajustement conçu selon les recettes et avec l'expertise du Fonds monétaire international va au contraire plonger la Grèce dans une récession prolongée. Ce qui veut dire qu'en remet à la seule saignée de l'austérité, pratiquée sur un malade privé du remontant de la croissance.
Méfiez-vous du premier mouvement, c'est le bon! Fût-ce pour des motifs électoraux discutables, Angela Merkel et les Allemands avaient raison d'estimer que la situation et le comportement de la Grèce posaient la question de son appartenance à la zone euro. Que faire d'un membre d'un club qui n'aurait jamais du y être admis, qui a menti effrontément sur son identité pour se faire accepter et a ensuite passé son temps à piller la cave et à pincer les fesses des serveuses, sans respecter le code vestimentaire?
Le grand argument de tous ceux qui ont fait pression sur le majordome allemand pour qu'il passe l'éponge est qu'une défaillance de la Grèce aurait fatalement provoqué un phénomène de contagion susceptible de faire tomber ensuite le Portugal, puis l'Espagne, voire l'Italie ou la France, conduisant ainsi à l'explosion de la zone euro. Est-on bien certain que le «sauvetage» de la Grèce, qui sécurise au passage les gains des spéculateurs, n'aura pas très vite le même effet, puisque la «spéculation» va pouvoir tranquillement ajuster une nouvelle cible en sachant que le contribuable européen sera appelé en garantie de ses placements ? Dès le 4 mai, c'est l'Espagne qui était sous pression, cible de la rumeur d'un appel massif au FMI. Et ce n'est qu'un début.
La solution rationnelle et politiquement courageuse consistait à traiter la Grèce comme le cas particulier qu'elle représente, à organiser sa sortie de la zone euro accompagnée d'une restructuration et d'un rééchelonnement d'une dette souveraine détenue en grande majorité par des non-résidents. C'était aussi la seule manière de «punir» les spéculateurs (ceux qui ne se seraient pas dégagés à temps) et de combattre le fameux aléa de moralité c'est-à-dire la prime à l'irresponsabilité des emprunteurs, fussent-ils des gouvernements, comme des prêteurs.
La meilleure façon également de faire contribuer à la résolution de la crise, non seulement les Grecs mais aussi ceux qui les avaient encouragés financièrement dans leurs errances, à commencer par les actionnaires des banques allemandes ou françaises. Avec une monnaie dévaluée et une dette allégée, la Grèce, sans échapper à une énergique remise en ordre, avait une chance de toucher le fond puis de rebondir, comme tant de pays avant elle.
Face à la gangrène, il faut savoir trancher. En refusant de le faire, les «dirigeants» de l'Europe ont pris un risque qui va bien au-delà de la centaine de milliards d'euros de crédits promis à Athènes et qui ont si peu de chances d'être remboursés.
Publié initialement sur Orange.fr, le 4 mai 2010